Dans Les morts ont tous la même peau, le roman de Boris Vian (publié sous le pseudo de Vernon Sullivan en 1947), le protagoniste Dan, un sang-mêlé, noir à peau blanche, évoluait dans une société essentiellement dirigée par les Blancs et en arriva à tuer son propre frère de peur qu’il dénonce ses vraies origines à son entourage. C’est ce qui le mena ensuite à sa perte. De nombreux Africains se blanchissent la peau tout en sachant qu’il s’agit d’une pratique à risque, voire mortelle, de là à en faire une question de vie ou de mort. Michael Jackson a toujours voulu paraître plus blanc que noir, sinon métis. Historiquement, dans le contexte de l’esclavage et des colonies, dans les situations enclines au racisme interethnique et du rejet des couleurs, dans l’ère postcolonialiste, mais aussi dans le monde du showbizz ou de la politique aujourd’hui, le blanchiment de la peau est couramment usité par les communautés noires.
Les œuvres de l’artiste Alexis Peskine, exposées à la galerie Zidoun dans l’exposition au titre évocateur Identité Internationale, sont justement centrées sur le problème de la couleur de peau. L’artiste d’origine métisse, né à Paris d’un père russe et d’une mère brésilienne, vivant à Paris et New York, est sensible à la question et la cultive dans son art. Designer graphique au départ, puis pratiquant différents médias artistiques suite à un Master of Fine Arts obtenu au Maryland Institute College of Art en 2005, l’artiste développe un processus de création atypique, surprenant et complexe, évoquant le transfert technique, identitaire et dermatologique.
Il photographie des modèles de femmes noires, belles et célèbres ou anonymes (sa petite amie), ainsi que des personnalités médiatiques et intellectuelles vivant en France s’opposant au racisme comme l’ancien footballeur Lilian Thuram, pour ensuite numériser ses clichés et les retoucher afin d’obtenir un effet graphique contrasté entre noir et blanc formant des silhouettes noires. Les images sont ensuite imprimées et servent à peindre sur des surfaces de bois à la bombe, ajoutant des couleurs flashy, s’inspirant de la technique du Street art, pour ensuite rendre les zones d’ombres, le volume et le relief à l’aide de la perforation de clous dans la surface.
Les images très visuelles d’Alexis Peskine à l’esthétique publicitaire, léchées et aux couleurs parfois claquantes sont érotiques (nu des corps, postures, formes). L’utilisa-tion d’une superposition entre symboles de la culture populaire occidentale et de la culture afro, crée un mélange formel multiculturel. On retrouve notamment Monsieur Propre avec son inséparable tee-shirt blanc et son crâne chauve, déversant son fameux détergent au moyen de gros splashes, éclaboussures blanches suggestives et fantasmagoriques sur la poitrine d’une femme noire entièrement nue à l’attitude Black Power. Dans un autre portrait de grande envergure, Astérix le Gaulois, peint en blanc le buste d’une femme noire au rouleau et l’image disparaît de la représentation. Le portrait politique de Lilian Thuram avec lunettes (l’image avait fait la couverture du quotidien français Le Monde en 2010), porte sur son épaule une Marianne noire arborant fièrement le drapeau républicain, habillée d’un pagne coloré antillais.
Alexis Peskine dépeint l’image idéalisée d’une nouvelle République française multiculturelle et postraciale célébrant la diversité et la pluralité comme condition de l’unité du genre humain. Dans une autre œuvre, un noir est en garde-à-vue, les mains posées sur un rideau en fer dans la rue, image intense suggérant certaines tensions de la scène qui se déroule. Le sport, le sexe, la politique, la culture urbaine et le design graphique sont ainsi mêlés dans des œuvres fraîches, colorées, blanchies ou effacées. L’impact visuel est indéniable, cependant les modalités du message manquent de violence et de gravité dans l’exposition et se résume parfois à des images de facture « illustrative », même si l’utilisation du cloutage crée un subtil parallèle avec l’esclavage et l’enchaînement des bagnards dans les colonies.
Néanmoins Identité Internationale fait prendre conscience du problème toujours actuel, et pose les questions de la couleur de peau et de l’égalité des hommes et des femmes. En effet, que reste-t-il de l’humanité après la mort, sinon les mêmes os et les mêmes cendres retournant à la terre ?