« Le chef » comme Romain Schmit, le directeur de la Fédération des artisans, appelle le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV), se serait personnellement engagé, dans une lettre, avec la promesse que le gouvernement prendrait l’absentéisme très au sérieux. « Nous l’avons vu, c’était un samedi, le 21 juillet. Ce n’est que sur base de ses promesses, qu’il a formalisées dans une lettre envoyée à notre président Norbert Geisen, que j’ai pu convaincre notre assemblée générale du 23 juillet d’adhérer à l’accord sur le statut unique des ouvriers et des employés privés, » affirme Romain Schmit. Or, dans le projet de loi n° 5750, déposé le 3 août au parlement, on cherche, en vain selon lui, des engagements concrets. Comme ce chiffre magique de quarante contrôleurs supplémentaires « promis » par le Premier ministre lors d’une réunion. Parce que ces détails manquent, la Fédération des artisans a annoncé, lors de sa conférence de presse du 5 octobre, qu’elle risque de retirer son accord de principe à l’introduction du statutunique.
« Personne ne veut faire une chasse à l’homme, rassure Romain Schmit, et en fait, la situation de l’absentéisme est loin d’être dramatique au Luxembourg. Mais pour nous, il s’agit avant tout de faire baisser lapression psychologique qui pèse sur les patrons – ils se sentent abandonnés dans cette question ! »
Le même jour, le 5 octobre, la Fédération des industriels (Fedil) s’est prononcée dans le même sens. « Le conseil d’administration a constaté que certains éléments dudit projet de loi ne correspondent pas aux termes de l’accord tripartite d’avril 2006, notamment en ce qui concerne les mesures préconisées en matière de réduction de l’absentéisme, en général, et en ce qui concerne l’organisation du contrôle administratif et médical des personnes portées malade en particulier, » écrit elle dans un communiqué de pressedaté au 9 octobre.
Face à ces accusations, le ministre de la Sécurité sociale, Mars Di Bartolomeo (LSAP), enrage. Il a négocié le statut unique avec son homologue du ministère du Travail, François Biltgen (CSV), et sait les engagements pris. « Mais on ne peut pas tout mettre dans un projet de loi, on ne va pas fixer dans ce texte qui fait les contrôles et comment, ce sera aux partenaires sociaux de définir ces pratiques dans le cadre de la mise en place de la nouvelle Caisse nationale d’assurance-maladie. » Pour le ministre, le texte du projet de loi serait néanmoins assez parlant sur le sujet dans son exposé des motifs. On y lit : « Le souci de la maîtrise de l’absentéisme doit être partagé par tous. (…) Sans vouloir mélanger la discussion sur le statut unique et le problème de l’absentéisme, le Gouvernement a invité les partenaires sociaux à faire, de concert avec lui même et les organismes publics compétents, de la maîtrise de l’absentéisme en général une priorité, de profiter du délai jusqu’à la mise en vigueur du statut unique (prévue le1 er janvier 2009, ndlr.) pour déterminer les causes exactes des absences, pour s’engager dans une démarche commune afin de prendre des mesures positives tendant à la responsabilisation de tous les acteurs pour agir sur les causes de l’absentéisme et pour envisager des mesures pour enrayer les abus dûment constatés. »
Et, cette perspective : « La détermination des différentes causes d’absentéisme fera l’objet d’une étude circonstanciée » (page 7). Lors du bilan intermédiaire à dresser trois ans après l’introduction du statut unique, des mesures complémentaires en matière de lutte contre l’absentéisme sont envisageables.
Les organisations patronales ont toujours affirmé, durant la longue procédure de consultation du comité tripartite et en vue de l’introduction du statut unique, ces deux dernières années, que la lutte contre l’absentéisme abusif des ouvriers était une conditio sine qua non pour qu’ils acceptent cette réforme fondamentale du droit du travail. Dans sa prise de position du 21 août 2006, l’Union des entreprises (UEL) en faisait même aussi bien une prémisse qu’une finalité, on trouve le mot « absentéisme » 44 fois sur seize pages de texte.
Car une des nouveautés du futur statut unique est l’introduction de lacontinuation de la rémunération du salarié en cas de maladie – Lohnfortzahlung en allemand : si, actuellement, le congé maladie des ouvriers est indemnisé dès le premier jour par la Caisse de maladie des ouvriers (CMO), les futurs « salariés » seront tous alignés sur le système actuel des employés privés, c’est-à-dire une indemnisation par le patron, qui continue à verser le salaire de l’employé malade durant les treize premières semaines de l’incapacité de travail. Donc, les cas de maladie des ouvriers non seulement représentent un défi organisationnel pour l’entreprise, surtout dans les PME/PMI, mais commencent à leur coûter directement. Même si les effets seront réduits par le biais de la réforme du financement de l’assurance accident, également en voie d’élaboration, et qui pourrait « atténuer l’impact de l’introduction du statut unique » dans les « secteurs économiques actuellement grevés d’un taux de cotisation élevé en matière d’assurance accident ».
En outre, le projet de loi prévoit la création d’une Mutuelle des entreprises « ayant pour objet d’assurer les entreprises contre les charges salariales » des cas de maladie des salariés (article 52). L’affiliation des entreprises est obligatoire, seules sont exemptes les entreprises assurées auprès d’un assureur privé (article 53).« Soyons sincères, invective Romain Schmit, jusqu’à présent, tout le monde se foutait de l’absentéisme, c’était la Caisse de maladie qui payait. » D’ailleurs, les patrons se seraient découragés à la longue à appeler la Caisse de maladie des ouvriers pour demander un contrôle d’un ouvrier soupçonné d’abuser, tellement ils se seraient fait remballer par un « mêlez-vous de ce qui vous regarde, c’est nous qui payons ! » ou autres insultes. Chaque patron sait ainsi raconter des histoires de tel ouvrier qui fait systématiquement le pont entre un jour férié et un week-end, qui part en vacances ou retape tranquillement sa maison grâce à un certificat de maladie – et où lui, le patron, moqué de la sorte, se sentirait pieds et poings liés, impossible de dépêcher un contrôleur sur place.
« C’est faux, archi-faux de prétendre que nous ne faisons rien ! » rétorque Francis Brebsom, administrateur de la Caisse de maladie des ouvriers (CMO) interrogé sur la question. « Bien sûr que nous dépêchons l’un de nos cinq contrôleurs administratifs sur place ou demandons aux concernés de se présenter au contrôle médical pour vérifier s’ils sont vraiment malades ! » Actuellement, la CMO ne dispose pas de statistiques fiables sur l’absentéisme, « les chiffres qui circulent ne sont que de la spéculation » affirme Francis Brebsom. « L’absentéisme ne peut être déterminé que dans les entreprises elles-mêmes. »
Car actuellement, sur quelque 200 000 dossiers maladie traités par an à la CMO, il y a ceux qui ont une incapacité de travail d’un jour et ceux qui en ont pour toute une année. Or, dans les entreprises, notamment dans des secteurs comme l’horeca ou le nettoyage, les horaires de travail sont tellement exceptionnels qu’il serait difficile d’établir des statistiques. L’administrateur de la CMO estime aussi qu’aujourd’hui, « c’est trop facile pour tout le monde d’être en maladie ». Toutefois, il a aussi entendu parler de ces patrons de petites entreprises qui, lors de phases conjoncturelles difficiles, demanderaient à leurs ouvriers de se faire déclarer malade par un quelconque médecin bienveillant, permettant ainsi de libérer la société temporairement de quelques salaires à payer sans devoir licencier. « Je crois que la lutte contre l’absentéisme est une responsabilité mutuelle que tout le monde doit assumer, aussi les patrons ! » conclut Francis Brebsom.
C’est d’ailleurs aussi ce qu’énonce clairement le projet de loi dans son exposé des motifs : « Il faut tenir compte du fait que l’introduction de la continuation de la rémunération de 13 semaines pour les ouvriers aura certainement un impact sur l’attitude des employeurs vis-à-vis de l’absentéisme. (…) Chaque employeur aura un intérêt financier direct à analyser les facteurs à l’origine de l’absentéisme et à prendre les mesures adéquates au niveau de l’organisation du travail pour agir sur les facteurs en vue d’en atténuer les conséquences. » (p.6)
Les premières propositions du patronat dans les discussions préliminaires, comme la réduction de la continuation de la rémunération à quatre ou six semaines, l’introduction d’un jour de carence ou la facilitation du droit de licenciement en cas de litige sur le bien-fondé de la maladie ont tous été rejetés suite à l’opposition ferme des syndicats. La solution retenue ne doit pas pénaliser ceux qui sont actuellement employés selon le statut de l’ouvrier – ils sont 91 322 hommes, essentiellement dans le secteur de la construction (27 350) et de l’industrie manufacturière (19 038), et 37 107 femmes, notamment dans les services aux entreprises comme le nettoyage (6 645) et l’horeca (5 584), selon le Statec/IGSS.
« Les patrons sont tout à fait prêts à assumer la nouvelle gestion du personnel que le statut unique implique, affirme l’entrepreneur Roland Kuhn, mais il nous faut des moyens pour faire des contrôles ! » Chose qui ne serait pas garantie dans le projet de loi. Les frontaliers poseraient un problème supplémentaire, comme le contrôle y est plus difficile.
Et en plus, les médecins y seraient plus rapides à écrire des certificatsd’incapacité de travail – alors qu’au Luxembourg, un accord signé entre l’AMMD (association des médecins et médecins dentistes) et le gouvernement mis en place en 2006 pour enrayer le phénomène des certificats de maladie abusifs aurait, selon le ministre Mars di Bartolomeo, déjà apporté les premières améliorations. « Nous venons d’ailleurs de prendre contact avec nos homologues français, affirme-t-il, qui sont tout à fait intéressés à lutter contre les abus avec nous. Un avant-projet de convention allant dans ce sens serait finalisé dans un avenir proche. »
Mais le ministre tient aussi à tempérer : « Il faut quand même dire que l’absentéisme n’est pas vraiment un sujet aussi catastrophique que les patrons veulent bien le faire croire. En 2006, nous avions un taux d’absentéisme de 2,7 pour cent en moyenne, soit 1,7 pour cent auprès des employés et 4,6 pour cent des ouvriers. Dès lors, on ne peut vraiment pas prétendre que les Luxembourgeois sont un peuple d’absentéistes ! » Mars di Bartolomeo veut régler cette question « dans le calme », dans le cadre du Groupe de travail de haut niveau qui fut mis en place dans la mêlée des accords tripartites, et qui regroupe les syndicats, le patronat et les deux ministres di Bartolomeo et Biltgen. Le groupe s’était réuni une première fois en mai et doit se revoir la semaine prochaine. Ce soir, les mêmes ministres doivent rencontrer l’UEL pour parler des problèmes qui subsistent, selon eux, dans le projet. L’ambiance sera pour le moins électrique, suite à la remise en cause du principe par la Fedil et la Fédération des artisans : « Je dois vous dire que, selon mon expérience, les syndicats sont très durs dans les négociations, mais au moins, une fois qu’on arrive à un accord, ils le respectent, juge Mars di Bartolomeo, furieux. Alors que les patrons se retournent au moindre coup de vent. Visiblement, ils ont été contestés par leur membres et veulent nous transmettre cette pression – ce n’est pas sérieux ! »