Il est communément admis que dans le contexte de concurrence exacerbée que nous connaissons au niveau mondial, le salut des pays développés, singulièrement en Europe, réside dans leur potentiel de recherche et d’innovation. Mais une étude publiée par la Commission européenne le 1er février, peu avant une réunion des dirigeants de l’UE sur la même question, montre que dans les 27, où existent des écarts considérables entre les pays, reste en retard sur les États-Unis et le Japon. Et elle se fait progressivement rattraper par la Chine, dans des conditions qui soulèvent de nombreuses interrogations.
L’Innovation Union Scoreboard (IUS) est un tableau de bord, publié pour la première fois, destiné à aider à surveiller la mise en œuvre de l’initiative-phare « Europe 2020 : une Union de l’Innovation », adoptée en octobre 2010, en fournissant une évaluation comparative des performances d’innovation des États membres de l’UE et en analysant les forces et les faiblesses de leurs systèmes de recherche. Une liste de 25 indicateurs a été établie à cet effet1. Ils ont permis la construction d’un indice de synthèse. L’IUS 2010 concerne aussi des pays tels que la Croatie, l’Islande, l’ancienne république yougoslave de Macédoine, la Norvège, la Serbie, la Suisse et la Turquie. L’étude comprend également des comparaisons entre l’UE, les États-Unis, le Japon et les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) fondées sur un ensemble plus réduit d’indicateurs.
D’importants écarts existent au sein même de l’UE : alors que l’indice d’innovation moyen s’établit à 0,516 en 2010 (contre 0,505 en 2006), la performance de la Suède (0,75) est 3,7 fois supérieure à celle de la Lituanie (0,2). Compte tenu de cette hétérogénéité, les États membres peuvent être répartis en quatre groupes de performance :
- Les leaders de l’innovation : ce sont les pays dont l’indice est supérieur d’au moins 20 p.c. à la moyenne de l’Union, soit plus de 0,62. On trouve ici le Danemark, la Finlande, l’Allemagne et la Suède, avec des valeurs qui s’échelonnent entre 0,69 et 0,75.
- Les suiveurs : l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Estonie, la France, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Slovénie et le Royaume-Uni affichent tous une performance proche de la moyenne de l’Union (entre 10 p.c. au-dessous et 20 p.c. au-dessus, soit entre 0,46 et 0,62)
- Les innovateurs modérés : la République tchèque, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, Malte, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie et l’Espagne ont un indice inférieur à la moyenne de l’UE (entre 10 p.c. et 50 p.c. de moins, soit de 0,26 à 0,46)
- Les innovateurs modestes ont un indice inférieur de plus de 50 p.c. à la moyenne (moins de 0,26). La Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie et la Roumanie sont dans ce groupe.
La croissance moyenne de l’indice en Europe, sur la période 2006-2010, a été de 0,85 p.c. par an. La Bulgarie, l’Estonie, Malte, la Roumanie, le Portugal et la Slovénie ont connu une croissance annuelle nettement supérieure à 5 p.c., alors qu’elle est restée inférieure à 0,7 p.c dans le groupe des quatre leaders, ce qui traduit un processus de rattrapage qui demande à être confirmé au cours des années à venir.
Les pays en tête du classement de l’indice composite d’innovation partagent un certain nombre d’atouts dans leurs systèmes nationaux de recherche de l’innovation. Bien qu’il n’y ait pas une seule manière d’être très performant, la plupart des leaders de l’innovation affichent des dépenses élevées de recherche et développement dans les entreprises.
Tous les leaders de l’innovation ont aussi des scores plus élevés que la moyenne en matière de coopération public-privé, ce qui prouve la bonne qualité des relations entre les milieux scientifiques et les entreprises. Ils se distinguent également dans la commercialisation de leurs connaissances technologiques, comme le montre leur réussite en matière de revenus des brevets et licences vendus à l’étranger.
Parmi les pays européens hors UE, la Suisse est le leader mondial de l’innovation, surpassant tous les États membres, avec un indice de 0,831. Ce pays connaît également une croissance de ses résultats presque cinq fois plus rapide que celle de l’Union (+ 3, 78 p.c. par an) et affiche une performance exceptionnelle pour les indicateurs « actifs intellectuels » et « effets économiques ».
En opérant une comparaison sur une batterie d’indicateurs plus limitée (douze au lieu de 24), on constate que les États-Unis et le Japon maintiennent leur avance sur l’UE, avec une performance moyenne supérieure respectivement de 49 p.c. et de 40 p.c. La performance américaine reflète un système d’innovation caractérisé par le haut niveau de l’enseignement supérieur, d’excellentes liaisons entre le dispositif scientifique public et le secteur privé, l’importance des investissements des entreprises dans la R [&] D et la commercialisation réussie des connaissances technologiques. Les États-Unis creusent d’ailleurs l’écart en ce qui concerne le nombre de doctorats, les revenus des brevets et licences et les co-publications internationales.
Toutefois, l’UE devance les États-Unis sur des indicateurs tels que les dépenses publiques de R [&] D et les exportations de services à forte intensité intellectuelle. Sa performance augmente plus rapidement sur six indicateurs, soit la moitié des critères.
L’avance du Japon sur l’UE est moins marquée, mais ne diminue pas pour autant. Ce pays performe notamment dans les dépenses de R[&]D des entreprises et connaît toujours dans ce domaine une croissance plus rapide que celle de l’UE.
Par rapport aux quatre pays du groupe BRIC, la même comparaison (sur une douzaine d’indicateurs) montre que l’Union européenne conserve son avance. Mais si elle se maintient avec l’Inde et la Russie (dont les indices sont respectivement de 53 p.c. et de 37 p.c. inférieurs à la moyenne européenne) elle se réduit avec le Brésil et avec la Chine. Ces deux pays rattrapent leur retard en termes de brevets déposés, de dépenses publiques et privées et de recherche académique sur les technologies avancées. En 2010, l’indice chinois est de 55 p.c. inférieur à celui de l’Europe, contre 61 p.c. quatre ans plus tôt.
Le journal en ligne EUobserver note toutefois, dans un article publié le 2 février que le dynamisme de la Chine dans le domaine de la recherche est entaché par une série de scandales d’espionnage industriel en Europe et aux États-Unis. En France, trois cadres de Renault ont été licenciés en janvier pour avoir fourni (ce qu’ils nient énergiquement) des informations concernant un projet de voiture électrique à des bénéficiaires chinois. Les services de renseignement accusent Pékin d’utiliser des prostituées, des fausses offres d’emploi et des stagiaires pour subtiliser les secrets industriels de sociétés françaises. La Chine ferait preuve de « curiosité » pour tous les secteurs économiques du pays et présenterait « une menace aussi grande que l’Amérique » en termes d’espionnage industriel.
De l’autre côté de l’Atlantique, un ancien ingénieur a été condamné à 32 ans de prison pour la fourniture à la Chine des données techniques militaires. Il aurait reçu au moins 110 000 dollars, après six voyages dans le pays entre 2003 et 2005 pour aider à la construction d’un système de missiles de croisière. Dans une autre affaire, une jeune femme de 29 ans a été condamnée à quatre ans de prison pour avoir tenté d’obtenir un emploi à la CIA, avec un objectif d’espionnage : elle a reconnu avoir rencontré vingt fois des officiels chinois et reçu 70 000 dollars pour sa mission.
La commissaire européenne en charge de l’innovation, la recherche et la science, l’Irlandaise Maire Geoghegan-Quinn, a décrété l’état d’urgence en Europe, à cause de l’avance prise par les États-Unis et le rattrapage des pays émergents. La Commission de Bruxelles propose de modifier « radicalement » les conditions de financement de la recherche. Douze pays (dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) ont même décidé fin 2010, en l’absence d’un accord à 27, d’accélérer entre eux la procédure de création d’un brevet européen, une des principales faiblesses de l’Europe où les coûts de protection de l’innovation sont dix fois supérieurs à ceux des États-Unis à cause des problèmes juridiques et de traduction.