Liberté journalistique

Du devoir de discrétion

d'Lëtzebuerger Land du 10.02.2011

Il aura fallu dix ans au journaliste français Denis Robert pour obtenir sa réhabilitation après avoir fait face à une cascade de condamnations pour diffamation lorsqu’il a publié ses livres Révélation$ et La boîte noire sur Clearstream, la chambre de compensation luxembourgeoise, et expliqué les résultats de son enquête dans une émission diffusée par Canal+. La Cour de cassation française a reconnu jeudi dernier qu’en condamnant le journaliste, les juridictions de première et de deuxième instance avaient violé les principes de la liberté d’expression, car l’intérêt général du sujet et le sérieux de l’enquête « autorisaient les propos et les imputations litigieux ». La plus haute juridiction française a donc confirmé le moyen de cassation avancé par le journaliste que « la liberté journalistique comprend, lorsqu’est en cause un débat public d’intérêt général, le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, dans les propos ». Denis Robert n’a donc pas manqué de prudence en assimilant les comptes non publiés de la société à des comptes occultes servant à enregistrer des transactions prétendument frauduleuses, ni d’en avoir tiré la conclusion que Clearstream tirait ses bénéfices de la complicité avec des entreprises présumées criminelles.

Indépendamment du sujet, l’arrêt de la Cour de cassation est important pour le Luxembourg, car il servira de jurisprudence pour le juge qui sera peut-être saisi un jour par une affaire similaire contre un journaliste trop audacieux au goût de certains. Or, aujourd’hui la situation du journalisme au Luxembourg est désastreuse, le problème majeur demeurant l’autocensure des médias. La culture du secret et de la dissimulation est répandue au point d’en arriver à une situation pénible, provoquant une crise de confiance profonde du public vis-à-vis de la presse.

Car chaque transgression due à un abus de pouvoir par une personne investie d’un mandat officiel est d’intérêt public, qu’il s’agisse de l’affaire Schmit ou d’une autre. Outre le fond du problème, ce qu’il y a à retenir de cette affaire, c’est le message transmis au public par plusieurs médias : surtout pas de fuites, vous êtes tous liés par votre devoir de discrétion ! Le commentaire du rédacteur en chef de RTL du 26 janvier par exemple – la radio qui a chauffé le débat pendant plusieurs jours, lancé par le journal satirique Feierkrop, et qui a sans aucun doute augmenté sa part d’audience en faisant cuire l’affaire à petit feu – a rendu éclatante sa position vis-à-vis des autorités et surtout vis-à-vis de son public. Alors qu’il aurait fallu resserrer les rangs pour montrer que les journalistes défendent bec et ongles le secret des sources, ancré dans la loi. Que si leurs ­rédactions estiment que l’information vaut la peine d’être ­publiée – parce que le public a le droit de savoir comment se comportent leurs représentants – elles lancent le débat.

D’ailleurs, les Luxembourgeois n’ont de toute manière pas le réflexe de s’adresser à la presse, préférant râler entre proches plutôt que de prendre le risque de se mouiller. Par excès de loyauté ou par manque de courage ? Peut-être les deux. Toujours est-il que la chasse aux informateurs focalise généralement davantage l’attention que les suites à donner aux faits dénoncés. Cette tendance à vouloir flinguer l’indic ne concerne bien sûr pas uniquement le grand-duché, mais ici, le panel d’informateurs potentiels est assez réduit pour en décourager plus d’un.

Aujourd’hui, les esprits se sont apaisés concernant l’affaire Schmit, mais sous les apparences d’eaux calmes, les dégâts collatéraux de cette affaire sont énormes et l’image de la presse en sort considérablement ternie.

anne heniqui
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