Presque vingt ans après la libéralisation, c’est le marché qui a décidé que RTL demeure le seul groupe véritablement viable dans le paysage audiovisuel luxembourgeois

Pâle PAL

d'Lëtzebuerger Land du 05.08.2010

Trop tard pour trop tard – autant tout refaire a dû se dire le ministre des Communications et des médias, François Biltgen (CSV), lorsque, le 27 mai dernier, il a fait retirer du rôle des affaires du parlement le projet de loi n° 5959 « portant modification de la loi modifiée du 27 juillet 1991 sur les médias électroniques », instigué par son prédécesseur à la maison de Cassal, Jean-Louis Schiltz (CSV) et déposé en novembre 2008 par le Premier ministre Jean-Claude Juncker. Le texte, très attendu surtout du côté du Conseil national des programmes, et dont le dépôt avait été accueilli avec enthousiasme par le régulateur de l’audiovisuel, devait lui attribuer des pouvoirs réels en mettant à sa disposition des sanctions disciplinaires graduelles, de l’avertissement en passant par le blâme jusqu’au blâme avec obligation de lire un communiqué à l’antenne.

Car actuellement, à défaut de véritables sanctions, le CNP n’a que la possibilité de communiquer les plaintes à l’encontre d’un programme de radio ou de télévision lorsqu’il est saisi par un spectateur ou auditeur. Outre ces sanctions, le texte prévoyait l’indemnisation des membres du bureau de cet organe constitué de représentants de lobbys – mais pas sa professionnalisation. Alors qu’au Luxembourg, personne ne semble véritablement se plaindre de la faiblesse de son autorité de régulation, au contraire, ce sont les obligations internationales qui demandent qu’un tel organe fonctionne de manière à peu près professionnelle. Au plus tard le retour, en 2006, de RTL TVi sous l’autorité luxembourgeoise et son lot de remous politiques causés en Belgique, obligea le Luxembourg à prouver que ses médias sont contrôlés rigoureusement.

D’ailleurs, en juin 2009, le minstre a signé un accord de coopération avec son homologue de la Communauté française de Belgique en matière de services de médias audiovisuels, qui vise plus particulièrement les programmes de la CLT-Ufa à destination du public francophone belge, et dans lequel le groupe est « encouragé » à « continuer à respecter un certain nombre de règles spécifiques en matière de protection des mineurs, de la promotion de la santé et du dispositif électoral » (rapport annuel 2009 du Service des médias du gouvernement). Le grand-duché ne veut pas avoir une renommée de pavillon pirate audiovisuel. Et RTL Group est le premier à avoir un intérêt à ce que le grand-duché dispose d’une autorité de régulation crédible vers l’extérieur – les quinze chaînes de télévision radiodiffusées à rayonnement international sous l’autorité luxembourgeoise sont toutes des filiales de la CLT-Ufa/ RTL Group ; en 2009, une nouvelle chaîne néerlandophone, Lounge TV, a même encore été lancée.

Dans son avis sur le projet de loi n° 5959, le Conseil d’État regrettait en octobre dernier que le législateur envisage de modifier la loi de 1991 en deux vagues successives – la transposition de la directive Services de médias audiovisuels, qui fait suite à celle sur la télévision sans frontière, devait se faire jusqu’à décembre 2009 au plus tard – et « aurait préféré voir les mesures projetées être intégrées dans le projet de loi censé transposer la directive de sorte à en faire un ensemble cohérent ». Mais cette phrase n’était qu’un détail dans son avis, en réalité, il fustigeait « l’amalgame de compétences » entre les trois surveillants du paysage des médias électronique : la Commission indépendante de la radiodiffusion (pour tout ce qui touche la technique de diffusion), le Conseil national des programmes (pour le contenu) et le ministre des Médias, amalgame qui risquerait de créer une insécurité juridique, et émettait quelques oppositions formelles sur des points d’application pratique.

En réaction à cet avis, François Biltgen a donc fait retirer ce texte du rôle, ce qui est assez rare, et l’a remplacé par un nouveau texte, le projet de loi n° 6145, déposé le 4 juin dernier, avec le même intitulé que le précédent, mais avec un contenu tout à fait différent : il se limite à adapter la loi luxembourgeoise à la directive, et ce dans un esprit assez libéral, car, comme le promet le programme gouvernemental 2009-2014 : « les règles luxembourgeoises ne vont pas au-delà de ce qui est exigé par la directive européenne ». Il s’agit avant tout d’adapter la terminologie – programme, élément de programme, services de médias audiovisuels... – et d’étendre le champ sur les médias à la demande. Mais, le projet de loi le précise lui aussi dans son exposé des motifs : « lorsque la directive laisse des options, c’est l’option la moins restrictive qui a été retenue, ceci dans l’intérêt de la compétitivité du site ». Une approche que le Conseil d’État salue dans son avis du 16 juillet.

Si l’abrogation de l’article 18 de la loi de 1991, qui limitait la participation d’un même propriétaire à une radio à 25 pour cent, inscrite dans le premier texte est retenue ici, exit par contre toute la partie sur la régulation et les sanctions possibles. Le gouvernement estime, lit-on dans l’exposé des motifs, « que des consultations des acteurs concernés ainsi qu’un débat plus large sont nécessaires avant d’arrêter la nouvelle structure en matière de surveillance et de sanctions. » Retour donc à la case départ.

Car il y a dix ans, François Biltgen, alors déjà ministre des Médias, avait lancé une grande consultation sur le bilan de la loi 1991, l’opportunité d’une télévision publique et surtout la réforme de la régulation. Sous le titre La médiamorphose, un colloque réunissant juristes, professionnels des médias autochtones, spécialistes internationaux et grand public sondait ces questions en profondeur, François Biltgen se mit à rêver de l’Ari, une « autorité de régulation indépendante » qui devait professionnaliser le contrôle des médias et miser sur la corégulation. Dans la foulée, le CNP développa un activisme sans précédent, commandita des études sur la représentativité des partis politiques dans les médias à l’Université de Trèves, publiée en 2003, et une deuxième sur le service public auprès d’un cabinet d’avocats luxembourgeois, publiée en 2006.

Or, durant la législature 2004-2009, le ministre Jean-Louis Schiltz (CSV) ne se donna pas beaucoup de mal pour cacher que la régulation ne l’intéressait pas du tout. Au contraire, il mit les grands projets en veilleuse, tout en promettant au nouveau président du Conseil national des programmes, Tom Krieps (LSAP), élu en 2007, que le CNP allait avoir un peu plus de moyens humains, financiers et donc de sanction. Mais le CNP lui-même s’est endormi depuis lors. En trois ans, il a émis un seul avis concernant le contenu des programmes, en octobre 2008, adressant « un vif appel » aux médias audiovisuels de ne pas citer la nationalité des suspects dans les reportages sur des faits divers ou crimes. Pour le reste, il vivote, son activité de 2009 se résume sur deux pages et demie, dont la majeure partie est consacrée aux activités internationales – participation à des colloques et réseaux de régulateurs.

Le CNP est donc devenu exactement ce que, visiblement, on lui demande d’être : un alibi, un service minimum. Car le principe du pays d’origine responsable du contrôle des contenus a été maintenu dans la directive européenne de 2007, donc le CNP a un rôle théorique de régulateurs de ces programmes qui émettent à partir du Luxembourg – à côté des fréquences terrestres, il contrôle huit programmes par satellite à destination d’un public international. Mais a-t-il seulement les capacités techniques et linguistiques à constrôler des chaînes turcophones ?

Au Luxembourg, en tout cas, le CNP ne semble plus jouer aucun rôle. Peut-être que c’est suite à ses prises de positions virulentes, lors de ses débuts, le plus souvent à l’encontre de RTL Luxembourg, ou peut-être parce que c’était dans l’air du temps, les principaux médias audiovisuels se sont donnés des codes de déontologie internes, tout comme l’a fait le Conseil de presse à l’usage des journalistes détenteurs d’une carte professionnelle. Depuis la disparition de Tango- puis T.TV, le paysage télévisuel s’est de toute façon calmé, l’enthousiasme des premières années de la libéralisation, lorsque plusieurs nouvelles chaînes, comme Tango, Nordliicht, .dokTV ou KuebTV furent lancées l’une après l’autre est retombé comme un soufflé. Car les opérateurs, vieux lascars de la télévision ou jeunes entrepreneurs dynamiques, semblent être tombés des nues lorsqu’ils ont constaté que faire de la télévision coûte très cher. Aujourd’hui ne subsistent, à côté de RTL Tele Lëtzebuerg, que les McGywer qui font de la télévision de proximité, par idéalisme, comme Uelzecht TV, une chaîne faite par des élèves à Esch, .dokTV, qui est davantage une plateforme de diffusion qu’un programme à proprement parler, et Nordliicht TV, la chaîne du couple Pissinger-Engelmann, qui couvre tout le nord du pays. Toutes celles qui ont survécu se positionnent sur les marges de RTL, en misant notamment sur la proximité régionale, voire locale. Les communes les plus riches, comme Mamer ou Steinsel, aiment même à se promouvoir par le biais de programmes de télévision.

Car même RTL, tout en dominant aussi bien la part d’audience (35 pour cent d’auditoire, selon l’étude TNS-Ilres-Plurimedia 2009) et le marché publicitaire, n’a jamais réussi à faire suffisamment d’entrées publicitaires pour offrir un programme complet 24 heures sur 24. Exception faite des événements politiques ou sportifs d’envergure qui sont retransmis en direct en journée – fête nationale, déclaration sur l’état de la nation ou Tour de France –, où soit la mission de service public, soit l’intérêt des spectateurs et des annonceurs le demandent, le programme principal reste limité à une heure quinze (avec le magazine pour jeunes), rediffusé en boucle. Le plafond légal de ses entrées publicitaires a été fixé à 8,1 millions d’euros en 2009 ; rien que la migration vers la haute définition lui aura coûté trois millions d’euros. Cela devient prohibitif pour les petits opérateurs, sans réserves financières.

Mais peut-être que la télévision en soi est un médium obsolète, du XXe siècle, dont le mode de fonctionnement – une stratégie d’offre, alors que les consommateurs d’aujourd’hui agissent selon une stratégie de demande – n’est plus adapté à l’ère d’Internet et de YouTube. Or, quoi qu’en disent ses détracteurs, RTL Lëtzebuerg est aussi le premier média dans l’offre cross-media : rtl.lu atteint presque dix pour cent d’audience, toujours selon Plurimedia 2009, soit plus du double du deuxième site d’information wort.lu. Outre du texte et des images fixes, RTL offre aussi ses programmes de télévision soit par live-stream, soit en éléments d’archives. Selon une étude Limos réalisée pour elle, un tiers des personnes interrogées déclaraient regarder un programme de télévision par Internet au moins une fois par mois. Et chaque jour, 6 600 personnes regarderaient RTL Télé Lëtzebuerg via livestream (Plurimedia 2010). Durant le Tour de France, 19 pour cent de l’ensemble des personnes qui suivaient une étape le faisaient sur rtl.lu ou via l’application pour iPhone (étude TV Sports de TNS-Ilres réalisée pour RTL cette année), qui répondent aux besoins d’accès mobile. Le nouvelle directive, et le projet de loi afférent incluent les nouvelles technologies et les programmes à la demande. Reste à voir si le CNP sera à même de suivre l’évolution.

josée hansen
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