Soulagée, l’équipe de José Manuel Barroso a finalement passé le cap de l’investiture du Parlement européen avec une large majorité, mardi 9 février à Strasbourg, en dépit des réserves exprimées tant à droite qu’à gauche. Les eurodéputés se sont prononcés par 488 voix en sa faveur, 137 votant contre et 72 s’abstenant. Ce sont les trois principales formations politiques – Parti populaire européen (PPE), Alliance des socialistes et démocrates (S[&]D) et Démocrates et libéraux (ADLE)– qui ont adoubé la première Commission européenne constituée selon les règles du traité de Lisbonne. Néanmoins, certains réfractaires, tels les socialistes français, ont voté contre l’investiture aux cotés des Verts, de la gauche communiste et des eurosceptiques.
Le coprésident des Verts/ALE, le Franco-Allemand Daniel Cohn-Bendit, a dénoncé l’attitude des trois grands groupes, comme étant une « coalition des hypocrites », où certains disent « on va réfléchir, alors que tout le monde sait que vous allez soutenir la Commission ». Il a aussi critiqué leur manque de courage pour n’avoir pas déposé de résolution commune expliquant pourquoi ils ont voté en faveur du collège. Selon lui, cela prouve qu’ils ont dit « oui » à la Commission pour défendre leurs commissaires respectifs. Pour Daniel Cohn-Bendit, l’important aujourd’hui est de savoir si la future équipe aura « une vision, de l’ambition et de la détermination » et il déplore que la plupart des commissaires ne disposent pas de ces qualités.
Globalement, on ne peut pas dire qu’il y ait eu de déclarations enjouées quant à la nomination formelle du nouvel exécutif européen. Bien au contraire. À l’image de la position du socialiste luxembourgeois Robert Goebbels, qui qualifie le vote de mercredi comme n’étant « rien de plus qu’une formalité, un oui administratif », destiné à combler le « vacuum politique » qui régnait « depuis les élections européennes de juin 2009, vacuum aggravé par l’entrée en vigueur retardée du Traité de Lisbonne ». Guy Verhofstadt, le président du groupe ADLE, a souligné que cette entrée en fonction mettait fin à une « mauvaise » période pour l’Europe. Ne pas avoir de Commission avec de vrais pouvoirs pendant six mois, c’est une chose à ne pas répéter à l’avenir, surtout à un moment où l’on a une crise économique et financière et de grands dossiers comme sur le réchauffement climatique », a estimé l’ancien Premier ministre belge.
D’autres parlementaires ont été plus critiques quant aux compétences de certains commissaires. En première ligne le Français Joseph Daul, président des conservateurs (PPE), qui a n’a pas manqué de constater que malgré le fort soutien de son groupe à la Commission, la mécanique européenne avait vraisemblablement encore besoin de réglages, notamment sur la fonction de la Haute représentante pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton : « Cette personnalité doit être la voix de l’Europe dans le monde, elle doit incarner une présence et une ambition conformes à ce qu’est l’UE. Or, d’Haïti à l’Iran, de l’Afghanistan au Yémen, de Cuba aux relations transatlantiques, la voix européenne n’a pas été à ce stade à la hauteur de nos espérances, nous appelons donc à une action énergique pour rectifier le tir et repartir d’un bon pied ».
En effet, l’investiture de la nouvelle Commission met fin à la gestion de la Commission sortante en mode affaires courantes, qui l’empêchait de présenter tout texte politique ou d’envergure. De son coté le chef des socialistes et démocrates, l’Allemand Martin Schulz, a comparé le processus des auditions de l’équipe Barroso « à l’ordre des trappistes », où « l’abbé José Manuel a ordonné à ses novices de ne rien dire plutôt que de dire des bêtises ». Des personnalités comme Neelie Kroes s’en sont ainsi tenu à des généralités, alors que « d’autres n’ont pas respecté ce vœu de silence tels qu’Almunia, Barnier, Sefcovic ou Georgieva ». Le député S[&]D n’est pas tendre non plus sur la répartition des portefeuilles qui « est tellement contradictoire, avec des structures tellement incompréhensibles, que l’on assistera sûrement à un conflit de compétences ». Et de mettre en garde Barroso contre le « Diviser pour mieux régner », car « la Commission est un organe collectif, il ne faut pas la transformer en système présidentiel ».
La gauche radicale (GUE/NGL) a dénoncé quant à elle les « démarches libérales » de la Commission qui « ne sont pas une stratégie de justice sociale ».
En réponse à ces pics, José Manuel Barroso a particulièrement orienté son intervention en vue de séduire essentiellement les socialistes et libéraux, en mettant l’accent sur l’importance à accorder à la dimension sociale de l’Europe : « Ce n’est pas la Commission que vous devez convaincre, mais quelques capitales qui pensent que l’Europe c’est le marché. Moi, je ne suis pas d’accord. Il faut une dimension sociale qui combine ce que l’on peut faire au niveau communautaire et au niveau national ». Ce qui, poursuit-il, signifie « insérer une dimension sociale dans les politiques d’aides d’État, de concurrence, etc ». Il a par ailleurs repris à son compte la notion libérale de gouvernance économique, apostrophant Guy Verhofstadt et les siens : « Mais aidez-nous pour la gouvernance renforcée, moi, je suis pour, nous sommes en train de vivre un moment pas comme les autres, nous avons besoin de plus de détermination ! ». Il a en outre appelé de ses vœux une « vraie Union économique dans la zone euro, nous n’avons pas seulement besoin d’une Union monétaire…Le traité contient des dispositions et j’ai l’intention de m’en servir ».
Il a aussi insisté sur l’importance d’avoir une Europe qui parle « d’une seule voix ». Sur le plan économique, « certains politiciens nationaux ne sont pas pour une approche plus coordonnée des politiques économiques », a-t-il déploré. « Si nous voulons renforcer notre base industrielle (...), il faut une coordination économique plus forte », a-t-il ajouté.
Les défis que cette nouvelle équipe va devoir relever durant son mandat soit jusqu’en 2014 sont colossaux. L’eurodéputé français (PPE) Alain Lamassoure n’a pas manqué de le rappeler : « Dans un monde bouleversé par la crise, sur un continent qui a perdu tous ses repères, qui compte plus de 20 millions de chômeurs et qui est menacé d’un déclin durable face aux puissances émergentes, l’Europe a besoin d’un pilote. D’une direction. D’une ambition. D’un grand projet fédérateur, capable de mobiliser nos 27 nations et un demi-milliard de citoyens libres. Alors, Président Barroso, n’ayez pas peur ! Osez ! Objectifs, stratégie, méthode, financement : tout est à réinventer(…) Le soutien du Parlement sera proportionnel, non à votre prudence, mais à votre audace ! » À José Manuel Barosso maintenant de démontrer qu’il n’y a pas eu une erreur de casting.