Deux questions parlementaires du parti CSV et une heure d’actualité du parti déi Gréng, voilà à quoi se résume le débat politique du scandale des crimes de violences sexuelles sur mineurs subis par plus d’une centaine de personnes adultes.
En 2010, de nombreuses personnes aux États-Unis, mais surtout en Europe ont été choquées par l’ampleur des crimes de violences sexuelles sur mineurs commis au sein de l’église catholique. Une après l’autre, de nouvelles accusations fondées et justifiées ont été énoncées et les abuseurs dénoncés. Tous les niveaux hiérarchiques de l’église catholique sont concernés, que ce soit en tant que coupable ou complice pour n’avoir rien fait. Les médias ont considérablement contribué à la prolifération des témoignages et des accusations. Un tabou est définitivement brisé. On peut désormais demander des comptes à l’institution « église catholique » d’une part, mais fait beaucoup plus important car universel, on en parle. Les victimes arrivent à dénoncer, la société est à même d’écouter et d’accepter les faits. Le phénomène de reconnaissance et de réparation apparaît finalement aussi pour les violences sexuelles subies par des mineurs. Reste à définir comment traiter les crimes de violences sexuelles sur mineurs, comment s’occuper de la victime, comment s’occuper du coupable.
Les victimes du passé se heurtent à deux obstacles ; un lieu d’écoute visible, neutre, compétent et discret inexistant à ce jour au Luxembourg et les délais de prescription. Car avant l’aboutissement de leur plainte au Tribunal de Justice, le chemin à parcourir par une victime est long et douloureux, souvent irréalisable sans aide externe. Tous en témoignent, sans exception. L’église catholique au Luxembourg, préoccupée de ne pas se laisser égratigner sa réputation, opte pour une « fuite en avant » et instaure en avril 2010 une « hotline cathol ». Trois mois plus tard, 138 personnes avaient témoigné, 114 dossiers ont été remis au Procureur de l’État. L’archevêché remet à la ministre de l’Éducation nationale et la ministre de la Famille des dossiers concernant leur ressort. C’est à peine si un accusé de réception se fait entendre.
Mi-novembre, une conférence de presse bien médiatisée fait le rapport du travail que l’église catholique a réalisé elle-même dans ses institutions, un genre d’auto-nettoyage. L’étape suivante est un « mea culpa » et une demande de pardon à toutes les victimes, orchestrés par l’archevêque lui-même. L’église catholique semble être devenue en quelques mois la spécialiste de la reconnaissance des crimes sexuels sur mineurs au Grand-Duché, l’unique interlocutrice. Elle prévoit de créer un fond pour dédommager « ses » victimes et leur offre des thérapies. Mieux encore, elle ne se gêne pas à faire des recommandations aux responsables et élus politiques !
La question qui se pose face à cet ensemble de démarches est de définir si une institution, que ce soit l’église ou une autre, peut élucider en toute transparence elle-même ce genre de crimes. En a-t-elle seulement le droit ? Mais aussi bien les instances politiques exécutives que législatives restent muettes à ce sujet. Bien sûr, il existe des institutions qui prennent en charge les victimes de crimes sexuels ou maltraitances graves sur mineurs, et bien sûr les instances juridiques sont confrontées avec des plaintes de ce genre. Pourtant, il faudra bien admettre que pour les victimes du passé, le système actuellement en place n’aura pas suffi pour accueillir ne fut-ce que ces 138 personnes représentant probablement un nombre de victimes beaucoup plus élevé.
Lors des festivités de 125 ans des Maisons d’enfants de l’État en 2009, les responsables avaient fait réaliser un film laissant témoigner des anciens pensionnaires, des témoignages émouvants. Déjà en 2009, les responsables de cette institution avaient soutenu l’idée de donner la possibilité aux enfants du passé de témoigner de leur vécu douloureux, soulignant à juste titre que cette démarche devrait regrouper toutes les institutions du Grand-Duché. C’est exactement la demande des Verts ; étudier et reconnaître l’Histoire des pensionnats et internats, maisons d’enfants et d’orphelins et créer un lieu où les personnes ayant subi par le passé des violences notamment sexuelles sur mineurs peuvent se rendre. À ce point, le passé et le futur se rejoignent.
La fraction des Verts a déposé en séance plénière une motion invitant le gouvernement « à mettre en place dans les meilleurs délais un Centre d’écoute pouvant garantir aux personnes victimes de violences sexuelles sur mineurs la neutralité idéologique et religieuse, l’indépendance par rapport aux institutions qui pourrait être concernées, la visibilité nécessaire pour garantir l’accès à toute personne concernée et la discrétion qui s’impose ». Un centre d’écoute facilement accessible aux enfants et aux jeunes parce que visible. Une demande que formulent en vain depuis des années les pédiatres et autres professionnels de l’enfance, et qui s’avère être une des recommandations de l’archevêché. Une recommandation qui s’impose !
La ministre de la Famille est d’avis qu’au Grand-Duché, « tout le monde connaît Madame Rodesch », et qu’il n’y a donc pas d’urgence par rapport à une meilleure accessibilité et visibilité pour les enfants et jeunes en détresse. Or, les représentants du « Ombuds-Comité fir d’Rechter vum Kand » avait le matin même décrit leurs besoins au sein de la Commission de la Famille de la Chambre des Députés et insisté sur une meilleure visibilité et des locaux adéquats pouvant recevoir les enfants. Non seulement cette motion à elle seule est déjà une preuve de l’immobilité politique du gouvernement et plus spécifiquement de la ministre de la Famille, mais elle a été refusée par les députés de la majorité CSV-LSAP, à trois exceptions courageuses près !
Cette situation est absolument intolérable. Les députés de la majorité, les socialistes y compris, sont effectivement d’avis qu’il n’y a pas un besoin d’agir au Grand-Duché et laissent de façon nonchalante l’église catholique continuer à assurer le monopole de la reconnaissance des crimes sexuels du passé. L’église catholique qui a d’ailleurs créé un centre d’écoute en date du 10 janvier 2011.
À la demande des Verts de créer un « Fonds de réparation aux victimes », la ministre de la Famille répondait en se demandant en séance plénière d’où le gouvernement pourrait trouver les moyens financiers. Aucune réponse sur la demande de faire réaliser par des experts une analyse approfondie des profils des auteurs des crimes sexuels sur mineurs et d’améliorer le suivi des coupables. Tous ces refus systématiques dénoncent une politique de l’autruche de la part des responsables politiques. Le diagnostic, la reconnaissance, la réparation des crimes sexuels sur mineurs sont des missions qui doivent être garanties par l’État.
Assurer les meilleures mesures de prévention, en se basant sur les recommandations d’experts indépendants ayant étudié les lacunes manifestes du système actuel est une obligation de l’État. Définir les crimes et les sanctions en vue de leur application par la Justice est un devoir de l’État.
Depuis avril 2010, la commission juridique de la Chambre des Députés travaille sur un projet de loi devant notamment ratifier une Convention du Conseil de l’Europe, dite Convention de Lanzarote. Cette convention concerne la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels. Une bonne occasion pour adapter certains articles du code pénal, notamment le délai de prescription. Lors du débat en séance plénière initié par la fraction des Verts, tous les partis se sont positionnés pour l’augmentation du délai de prescription. Le ministre de la Justice a ensuite déclaré publiquement qu’il ne voulait pas (ou plus) s’y opposer et qu’il voulait en discuter dans les meilleurs délais au sein de la commission concernée.
Mais également au niveau des instances législatives, la volonté de s’occuper du dossier des violences sexuelles commises et d’en tirer des conclusions adéquates continue à faire gravement défaut. La proposition des Verts d’instaurer une commission spéciale temporaire afin d’organiser un débat d’orientation et se faire assister par des experts pour élaborer des propositions concrètes aux niveaux des différentes commissions concernées a été refusée par tous les membres de la majorité.
Le Conseil pour l’Europe a lancé en novembre 2010 une vaste campagne s’intitulant « UN sur CINQ », un enfant sur cinq en Europe serait victime de violences sexuelles, sous une forme ou une autre. Dans 70-85 pour cent des cas, l’enfant connaît bien son agresseur qui se trouve dans son environnement, l’école, la famille, le club des jeunes, le club de sport, les maisons relais ou pensionnats d’enfants, les maisons d’éducation, … Combien de faits faudra-t-il encore pour qu’on réagisse enfin ?