C’est un récit en plusieurs chapitres qui s’appelle Antidote Fiction. La galerie Nei Liicht et la galerie Dominique Lang mixent le travail de sept artistes. Elles présentent ainsi plusieurs facettes d’une ville sidérurgique du sud du Luxembourg. Son passé industrieux, son futur peut-être improbable et son présent tel qu’il est vu via les arts plastiques, vivant.
Le lien entre les deux lieux se fait par la présence d’une œuvre de Edwin Cuervo à la galerie Nei Liicht – alors qu’il est exposé principalement à la galerie Dominique Lang – et, à l’inverse, d’une pièce de Keita Mori, dans l’ancienne gare – le reste étant dans la villa. On peut bien sûr regarder le travail de Nathalie Noé Adam, Pascale Noé Adam, Edwin Cuervo, Olga Karpinsky, Keita Mori, Agathe Simon et Claire Thill individuellement. Mais c’est un tout et le passé éclaire le futur de Dudelange comme dans les deux vidéos juxtaposées de Nathalie Noé Adam, Une fin certaine. On y voit d’une part s’effondrer le site industriel lors de sa démolition, quand la crise sidérurgique des années 1970-80 signa la fin de la richesse du sud du Luxembourg, dont les solides poutres d’acier étaient exportées jusqu’à New York pour la construction des gratte-ciel et sur l’autre écran, un bombyx du mûrier, autrement dit le ver à soie, dont le cocon produit le ténu fil précieux. Poétique, léger, le bombyx de Nathalie Noé Adam s’envole, virevolte (papiers découpés et encre noire), mais meurt recroquevillé : a-t-il terminé son propre cycle de vie ou est-ce son manque de concordance avec celui de l’homo industriel qui l’a tué ? Ces temps ne sont en tout cas pas synchrones.
On peut aussi y voir le fil conducteur du récit d’Antidote Fiction. Juste dans la pièce à côté, Keita Mori a tiré ses fils (de soie et métalliques) où l’on peut aussi bien reconnaître des installations industrielles locales passées que des installations futuristes dans une autre ère. Le Bug Report de Keita Mori met là, dans l’instant d’une création spécialement faite pour et par les données du lieu, le visiteur au centre de deux temporalités. Le charbon actif, dans des œuvres bidimensionnelles, toujours de Nathalie Noé Adam, vivant, prolifère et recouvre une feuille d’or de pustules noires. Le minerai qui a enrichi le pays l’a aussi pollué et de diverses manières. Ainsi la vie domestique des femmes. Mais un cocon de Keita Mori se niche comme un clin d’œil d’un avenir libéré dans le coin de la pièce à vivre ouvrière de Pascale Noé Adam.
Les femmes d’ici sont en colère (Wut / Colère). Elles l’ont amenée avec elles de leur pays du sud du Sud pour immigrer avec leur homme dont elles lavent les chemises et sauvent la paye pas totalement dépensée en coups au bistro. Pascale Noé Adam raconte le quartier Petite Italie. Elle incarne cette colère inscrite dans leur ADN dans une performance libératrice en tapant à coups de gants de boxe dans un sac de frappe. Elle est les mères, les filles, les sœurs, toutes les femmes qui ont la rage dans la robe de soie et les talons aiguille où elles vont quand même danser le samedi soir.
Ce monde patriarcal remonte à loin. Le corps de la femme, est juste au-dessus, à la galerie Dominique Lang. C’est Olga Karpinsky qui l’honore. Avec ses rondeurs, il vient du fond des âges, du Hearth Earth. On voit ici des déesses réalisées à l’ordinateur en 3D. Leur volume y est comme en fils d’acier ou corseté. Mais les dessins entourent trois petites déesses primitives, mises en valeur sur un piédestal, protégées par un caisson de plexiglas. Ce sont comme ces matriarches au tronc archaïque que l’on a déterrées dans des sites archéologiques et que depuis, le monde entier admire dans les musées, fasciné par celles qui ont assuré la continuité de l’espèce humaine.
Peut-être y en a-t-il dans le sol noir d’une de ces mines à ciel ouvert que Edwin Cuervo a photographiées de nuit ? Lunas Blancas nous donne à voir ces reliefs du sol creusé, tant au sens géographique que des restes en friche, que seule module dans la nuit la lumière de l’astre lunaire. Claire Thilll nous emmène elle, à la galerie Nei Liicht, dans la performance des sons qu’elle a glanés à Dudelange. Le mix sonore d’informations sociologiques du Golden Voyager est celui de la Minette. Si des extra-terrestres tombaient un jour futur sur cette mélopée, penseraient-ils à de la science-fiction ou à la réalité terrestre ? Sa mémoire est nostalgique, parce que subjective.
Antidotes Fiction l’illustre parfaitement à travers le travail que permettent les arts visuels et le choix judicieux fait par Dudelange pour participer à l’année culturelle.