La question de la neutralité du Net reste plus que jamais d’actualité aux États-Unis, et c’est clairement une des grandes batailles non pas seulement du Net, mais de la liberté de parole qui est en train de se tramer à Washington. Après l’attaque éhontée contre la Commission fédérale des communications (FCC) de Tea Partiers et autres représentants républicains frais émoulus au Congrès, emmenés par Marsha Blackburn qui n’a pas hésité début janvier à comparer cet organisme à un vampire, deux membres démocrates du Sénat ont pris le taureau par les cornes et rédigé un projet de loi qui dit tout le contraire : à savoir que la FCC ne va pas assez loin pour garantir la neutralité et protéger la liberté de parole sur le Net.
Le projet de loi est signé par Maria Cantwell et Al Franken. Intitulé « Internet Freedom, Broadband Promotion, and Consumer Protection Act of 2011 », leur projet entend étendre les règles relatives à la neutralité du Net à toutes les formes d’accès à Internet, y compris les accès sans fil. « Le dernier règlement de la FCC sur la neutralité du Net est loin d’en faire assez pour protéger les consommateurs, et ce projet de loi est conçu pour maintenir un Internet libre et ouvert », a asséné Franken. Pour lui, la neutralité du Net est « la question de liberté de parole de notre temps », ni plus ni moins.
Pour remédier à l’actuelle proposition de réglementation de la FCC, trop complaisante à leurs yeux à l’égard des fournisseurs d’accès et opérateurs, Cantwell et Franken entendent encadrer strictement ce qu’ils ont le droit de faire en leur interdisant en particulier de « faire payer certains contenus, applications ou pres-tataires de service pour l’accès à leur réseau et leurs abonnés en faisant intervenir des niveaux de qualité de service différenciés ou sur la distribution de paquets de données en fonction de niveaux de priorite ». Il deviendrait donc contraire à la loi qu’un fournisseur d’accès crée une hiérarchie entre différents types de contenus, applications ou services – à moins que le consommateur ne le lui demande explicitement. Le projet de loi va jusqu’à interdire aux FAI de forcer leurs abonnés à souscrire à des services additionnels pour des prestations telles que la téléphonie ou la vidéo.
C’est tout l’enjeu de la neutralité du Net, décrit en quelques termes clairs et univoques. Certains ont jugé que les chances qu’une telle législation soit adoptée au Congrès issu des élections de cet automne comme tellement basses que ses auteurs auraient mieux fait de mettre d’emblée 2013 dans son intitulé que 2011. Mais d’autres commentateurs font valoir, à juste titre, que le projet de loi, court et rédigé en langage simple, œuvre si clairement en faveur des consommateurs qu’il sera difficile à la ma-jorité républicaine du Congrès de le qualifier de bureaucratique ou de contraire aux intérêts de l’économie américaine.
Cette initiatve a valu à Franken une onde de reconnaissance dans la blogosphère. « Please, Al, please run! », a lancé un contributeur du blog de technologie Slashdot sous le titre Franken 2012, jouant sur l’homonymie avec l’ancien vice-président candidat malheureux aux élections présidentielles de 2000.
Maria Cantwell, l’autre auteure du projet, n’a pas non plus mâché ses mots, pointant du doigt les énormes enjeux économiques du débat. « Si nous laissons les oligarques des télécommunications prendre le contrôle d’Internet, ce sont les consommateurs qui seront perdants. Les actions que la FCC et le Congrès vont adopter aujourd’hui vont établir les règles de base sur la concurrence concernant l’accès à Internet à haut débit, avec des impacts sur l’innovation, les investissements et les emplois des années à venir. Mon projet de loi revient à remettre le policier du haut débit en patrouille et crée une série d’obligations indépendantes de la façon dont les consommateurs accèdent au haut débit ».
L’adoption du « bill » de Cantwell et Franken, annoncerait en effet, pour les FAI et opérateurs, y compris certains intervenants comme Google qui s’est récemment acoquiné avec Verizon dans cette perspective, l’effondrement de tout un Eldorado. Mais au-delà des questions éthiques, est-il acceptable de laisser les grands opérateurs mettre le Net en coupe réglée à coup de filtres et d’accords entre grands intervenants, sans aucune innovation technologique à la clé ?