Quand Google décide d’avoir pignon sur rue à New York, les agents immobiliers n’ont qu’à bien se tenir. Le géant du Net était déjà locataire depuis 2006, d’un des plus grands immeubles de la ville, au 111, Huitième Avenue, l’ancienne adresse de la New York Port Authority dans le quartier de Chelsea. On a appris cette semaine que la société venait d’acheter l’édifice pour la modique somme de 1,9 milliard de dollars, ce qui fait de la transaction, haut la main, la plus grosse opération immobilière de l’année aux États-Unis.
Le monstre en briques rouges de quinze étages achevé en 1932, qui occupe tout un pâté de maisons – l’équivalent de deux terrains de football – et s’enorgueillit d’un héliport sur le toit, représente quelque 280 000 mètres carrés de surfaces utiles, soit 50 pour cent de plus que l’Empire State Building. Certains de ses ascenseurs peuvent accueillir les plus gros gabarits de poids lourds. Mais Google ne l’a pas seulement choisi à cause de sa taille. Il se trouve qu’il est situé à un endroit stratégique par rapport aux grands backbones, ces installations qui forment la moelle épinière d’Internet ; mieux, il a été farci ces dernières années de faisceaux d’accès rapides en fibre optique vers ces backbones, ce qui en fait un véritable centre nerveux du Net. C’est d’ailleurs ce qui a attiré dans ce bâtiment ces dernières années, aux côtés de Google, des sociétés comme Verizon, Sprint, Level 3, WebMD, Nike, BarnesandNoble.com qui y ont installé des bureaux.
Lorsqu’en 2006, Google avait commencé à occuper de l’espace dans ce bâtiment, en tant que locataire, ses dirigeants s’étaient gardés de le crier sur les toits. Était-ce pour ménager la susceptibilité de ses employés, dont la majorité travaillent au siège historique de la société, le fameux « campus Google » de Mountain View dans la Silicon Valley ? Ou voulaient-ils éviter de dévoiler leurs intentions auprès des propriétaires de ses bureaux, un consortium emmené par Taconic Investment Partners, en vue des négociations à venir ? À présent que la transaction est bouclée, il faut bien se demander si elle témoigne d’un changement de cap stratégique de Google. Taconic Investment Partners restent les gérants de l’immeuble, mais le nouveau propriétaire pourra évidemment prendre ses aises s’il en éprouve le besoin.
La première adresse de Google à New York était un modeste café Starbucks. Plus tard, elle s’était installée sur Broadway. Aujourd’hui, la société emploie 2 000 personnes à New York et y recrute à tour de bras.
Malgré sa discrétion, lorsque Google avait investi les lieux en 2006, un de ses représentants avait pris la peine d’expliquer l’importance pour la société de diversifier sa base géographique. « Pouvez-vous construire des produits globaux avec une force de travail qui se trouve exclusivement à Mountain View, en California ? », avait demandé un de ses vice-présidents, Alan Eustace, de manière quelque peu rhétorique, devant un parterre de banquiers de Wall Street rassemblés par Citigroup, avant de répondre par la négative : « Tout le talent technique dont nous avons besoin pour résoudre la prochaine génération de problèmes en matière de recherche ne réside pas à Mountain View ».
En l’absence d’indications claires sur les intentions de la part de Google, il faut donc se contenter de spéculations sur l’importance à venir de ses effectifs à New York, et sur une possible montée en puissance de ses équipes sur la Côte Est. Mais le prix payé pour le gigantesque immeuble du quartier de Chelsea est éloquent.
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 16.12.2010