Les tentatives de l’administration américaine de faire taire Wikileaks ont mis en lumière une nouvelle fois le besoin d’une meilleure gouvernance internationale du Net et du Web. Les initiatives visant à priver le site de révélations en ligne de son nom de domaine et à l’empêcher de fonctionner, prises dans la panique et sans base juridique, ont montré que les États-Unis disposent d’outils de contrôle puissants – même si, en définitive, leur portée et leur efficacité s’avèrent malgré tout limitées. Lors de consultations qui se sont déroulées cette semaine aux Nations Unies, les questions de gouvernance du Net ont à nouveau été discutées, avec en point de mire la proposition de trois pays émergents, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, de mettre en place un nou-veau groupe de travail consacré à Internet, qui serait composé exclusivement de représentants gouvernementaux. Sans surprise, certains pays occidentaux, les États-Unis en tête, se sont opposés à ce projet, défendu principalement par le représentant brésilien.
En toile de fonds de cette discussion, il y a la fin prévue, l’an prochain, du contrat confié à l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) pour la gestion du cœur du système de nommage des sites Internet. Cette gestion est assurée par IANA (Internet Assigned Numbers Authority), l’organisme qui régit l’espace d’adressage IP et constitue donc une des pièces essentielles de la gouvernance du Net.
Les pays qui s’opposent à l’avancée brésilienne reconnaissent généralement le besoin d’une gouvernance plus internationale du Net, mais estiment que ce besoin est couvert par l’Internet Governance Forum (IGF), un organisme de réflexion et de déli-bération créé à la suite du WSIS, le forum mondial sur la société de l’information qui s’est tenu en 2005, en vue de ce que les diplomates ont baptisé « enhanced cooperation » et qui vise justement un partage plus international de gestion des systèmes centraux de nommage du Net. L’IGF se réunit une fois par an (les dernières rencontres ont eu lieu à Sharm El Sheikh, Hyderabad, Rio de Janeiro, Athènes et Vilnius), mais les pays émergents regrettent qu’ils n’aient qu’un rôle consultatif. Pour corser le débat, il y a ceux qui estiment qu’il est inutile de créer de nou-velles structures pour discuter de la gouvernance d’Internet, alors qu’il existe au sein du système des Nations Unies une organisation par-faitement capable de s’en charger, l’Union internationale des télécommunications, et des discussions pas toujours très transparentes sur le rôle que les uns et les autres sont prêts à accorder dans la formulation des politiques d’Internet et dans sa gestion à la société civile et aux représentants des entreprises.
L’Onu doit décider cette semaine si elle accorde un nouveau mandat de cinq ans à l’IGF. Les fronts bougent relativement peu dans cette discussion, et la situation risque donc de rester bloquée pendant quelque temps. En attendant, que faire pour s’assurer qu’Internet reste ouvert et démocratique ? L’inventeur du Web, Tim Berners-Lee, a proposé quelques pistes à cet effet dans une tribune publiée le mois dernier par Scientific American. « Le Web est devenu un outil puissant et omniprésent parce qu’il a été construit sur des principes égalitaires et parce que des milliers d’individus, d’universités et d’entreprises ont travaillé, à la fois de manière indépendante et ensemble en tant que membres du World Wide Web Consortium, pour étendre ses fonctionnalités sur la base de ces principes », écrit Berners-Lee. Les menaces sont multiformes : certains réseaux sociaux grignotent ces principes en isolant les informations publiées par leurs utilisateurs du reste du web, des fournisseurs d’accès mobile à Internet sont tentés de ralentir le trafic vers des sites avec lesquels ils n’ont pas passé d’accord, et des gouvernements espionnent les habitudes en ligne de leurs citoyens, au mépris de leurs droits élémentaires. La ré-ponse adéquate, dit Berners-Lee, est que les utilisateurs prennent conscience de leur rôle pour défendre un Web ouvert et universel, décentralisé, fondé sur des standards ouverts et sur la neutralité du Net. Le défi pour les internautes-citoyens est donc de s’assurer que ces principes soient pris en compte dans les querelles sur la gouvernance du Net qui se livrent dans les arcanes de l’Onu.