Dans la banque, la menace des « nouveaux entrants » est tout, sauf nouvelle. Cela fait des décennies que les banques sont concurrencées dans leurs différentes activités par des sociétés issues du monde de la finance mais parfois aussi par des acteurs venus de tout autres horizons. Eux-mêmes engagés dans des stratégies de diversification, ils se sont appuyés sur des atouts spécifiques très variés (image, réseau commercial, liens avec la clientèle) pour se positionner soit sur des activités financières lucratives, soit sur des segments délaissés par les banques.
Le crédit, les moyens de paiement, l’épargne et le conseil ont fait l’objet d’assauts répétés, avec plus ou moins de succès. Ainsi les banques font face, depuis très longtemps, à la concurrence des sociétés de crédit automobile. Très tôt convaincus que le financement était la clé de la vente de voitures, les grands constructeurs ont commencé à créer leurs « captives » il y a près d’un siècle. GMAC, filiale spécialisée de General Motors, date de 1919 et DIAC, filiale de Renault, de 1926. En France, bien qu’elles proposent depuis peu des livrets d’épargne, elles restent cantonnées au crédit, alors qu’aux États-Unis et en Allemagne elles sont devenues de véritables banques avec une large gamme de produits et services. Selon Standard & Poor’s, les captives sont deux fois mieux capitalisées que la moyenne des plus grands établissements financiers européens et leur rentabilité est trois à quatre fois supérieure !
Dans le même esprit, plusieurs enseignes d’équipement de la maison ont développé leur activité de crédit dès les années 1950, avant l’irruption de la grande distribution : Carrefour s’est lancé dans les services financiers en 1981 et Auchan en 1983 par le biais des cartes de paiement. Leur offre est aujourd’hui très diversifiée (crédits, produits d’épargne, assurance) mais les résultats restent modestes : Carrefour Banque gère 2,3 milliards d’euros d’épargne et l’encours de crédits s’élève à 3,2 milliards.
Il n’en va pas de même du côté des assureurs, concurrents traditionnels des banques dans l’assurance-vie qui est, pour l’essentiel, un acte d’épargne. Leur poids est considérable. En France, où elle bénéficie d’importants avantages fiscaux, les ménages y ont investi quelque 1 600 milliards d’euros contre 1300 en épargne bancaire !
Dans le domaine du conseil et des placements, les banques sont concurrencées par d’autres acteurs du monde de la finance : conseillers indépendants (très nombreux dans des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Italie) ou sociétés de gestion de portefeuille (la France en compte plus de 600). Mais de longue date le marché est aussi pénétré par les professionnels « du droit et du chiffre », comme les notaires, les avocats et les experts-comptables, avec toutefois d’importantes différences d’un pays à l’autre, les réglementations nationales étant historiquement très variées.
Au cours des années récentes, c’est surtout dans le domaine du crédit que les banques ont « perdu des plumes » : le poids de la réglementation est devenu tel que la « désintermédiation » s’est accélérée, en grande partie avec la bénédiction des autorités européennes qui souhaitaient développer le recours direct des entreprises aux marchés financiers. Mais des acteurs alternatifs en ont aussi profité, comme les assureurs et les fonds d’investissement, donnant naissance au phénomène de « shadow banking » dont l’ampleur est devenue d’autant plus préoccupante qu’il échappe encore à la régulation bancaire traditionnelle. Dans la seule zone euro, le financement hors banques porte sur 23 000 milliards d’euros !
Mais, par ailleurs, les nouvelles technologies et Internet ont donné à la concurrence un nouveau visage. Cette fois, les nouveaux entrants ne sont plus, la plupart du temps, des acteurs déjà installés dans une autre activité et qui cherchent à se diversifier. Ce sont pour l’essentiel des structures qui développent d’emblée un projet innovant propre à « tailler des croupières » aux banques. Pour la même raison, il ne s’agit pas de sociétés importantes comme pouvaient l’être les constructeurs automobiles ou les grands distributeurs, mais en général de « start-up » de taille modeste. Dans son numéro d’avril, le magazine Capital (édition France) donne les exemples étonnants d’une vingtaine de ces jeunes pousses, dont le point commun est de proposer des services en ligne propres à « dynamiter la banque ».
Ces « fintechs » peuvent être regroupées en quatre catégories. Sans grande surprise, la première, qui est aussi la plus ancienne et la plus importante en termes de capitaux gérés, relève du financement participatif (crowdfunding) avec des sites orientés sur le financement des PME (Lendix, Finsquare, Unilend), le secteur de l’immobilier (Wiseed, Lymo) et le micro-crédit (Babyloan).
On trouve ensuite les sociétés qui proposent des applications de services de paiement, comme les transferts d’argent à l’étranger (PayTop) les échanges de devises entre particuliers (Weeleo), les paiements entre personnes ou à des petits commerçants (Lydia, Payname) sans oublier une plate-forme de règlement en bitcoins (Paymium).
Une troisième catégorie est constituée de sociétés offrant des solutions de gestion des finances personnelles et de la trésorerie (pour les PME), avec notamment des systèmes d’agrégation des comptes bancaires (Bankin’, Linxo, Moneydoc).
Enfin le quatrième groupe, dont font partie Marie Quantier, Smartdays, Fundshop et Anatec, est composé de fintechs proposant la gestion de placements en ligne, sous la forme de recommandations plus ou moins détaillées (allocation d’actifs, suggestion de valeurs à acheter ou à vendre) élaborées, à partir de l’enregistrement du profil des clients, par des algorithmes qui s’appuient sur de gigantesques bases de données financières. Ces « solutions automatisées » semblent promises à un bel avenir dans le domaine du conseil.
Ces start-up doivent naturellement se conformer à la législation bancaire existante, extrêmement sourcilleuse sur certaines questions (le risque de blanchiment notamment) mais plus libérale sur d’autres (le financement des PME par exemple, pour des raisons macro-économiques). Au final, le poids de la réglementation ne semble pas avoir été un frein au foisonnement de l’innovation, malgré la persistance de problèmes juridiques (lire encadré).
La majorité de ces start-up étant très récentes, il est difficile de s’exprimer sur leur pérennité, d’autant que leurs concepts sont assez faciles à copier et génèrent déjà une vive concurrence. Ils peuvent d’ailleurs être repris à leur compte par les banques elles-mêmes ! Par le passé les banques ont toujours fait preuve d’une grande capacité de réaction pour contrôler la concurrence venue d’autres secteurs.
La manière la plus simple a été de créer elles-mêmes, ex nihilo, des entités de crédit spécialisé ou d’assurance. Le Crédit Agricole par exemple a créé en 1986 sa propre filiale d’assurance de personnes, Predica, devenue la troisième compagnie française. Une autre manière de réagir était de prendre une participation voire le contrôle pur et simple des nouveaux entrants. Une troisième stratégie a consisté à tisser des alliances, en back-office ou en distribution, permettant de profiter du concept ou du dynamisme commercial du partenaire. Ainsi la plupart des sociétés de crédit de la grande distribution sont adossées à de grands groupes bancaires, qui gèrent également les produits d’épargne investie (OPC) proposés par ces enseignes.
Vis-à-vis des fintechs, les stratégies mises en œuvre sont quasiment les mêmes. Certaines banques en ligne proposent leurs propres services d’agrégation des comptes (comme le Money Center de Boursorama). Des établissements importants sont entrés au capital de sociétés de crowdfunding. Quant au syndicat français des bureaux de change, après avoir vivement combattu le site d’échange de devises entre particuliers Weeleo, il a fini par conclure un partenariat avec lui. Cela dit, si ces stratégies sont envisageables vis-à-vis de petits acteurs, elles pourraient être inefficaces vis-à-vis des géants du Net.
Or c’est bien d’eux que vient désormais le danger. Le 25 mars le vice-président de Facebook (un ancien de PayPal) a dévoilé un projet qui vise à transformer Messenger (600 millions d’utilisateurs) en plateforme de transactions financières. Google n’est pas en reste. Déjà en place dans le paiement mobile avec Google Wallet, il travaille sur un projet nommé Pony Express, qui va permettre de régler ses factures avec la messagerie Gmail (425 millions d’utilisateurs). Twitter et Snapchat ont des ambitions identiques.
Les banques se rassurent en constatant que les comportements changent moins vite que les technologies. Mais compte tenu du capital de confiance que les géants du Net possèdent après des jeunes, le risque d’une « ubérisation » des banques par les réseaux sociaux est bien réel et sans grande parade.