Peut-être que c’est le fait de la canicule des derniers jours et semaines. Il y a aussi le passage du Tour de France où à chaque étape on voit un diablotin surgir d’un coup au bord de la route, comme sortant de sa boîte d’enfer, encourageant de sa fourche les coureurs, de préférence dans les étapes de haute montagne où il peut les accompagner de sa course s’éloignant de la sorte un moment de ses brûlantes profondeurs. Diablotin, plutôt que diable, bien qu’il soit de nationalité belge, car cette créature démoniaque ne fait de mal à personne, terrible seulement en apparence. Pareil diablotin, pris de même dans sa course, comme arrêté à la limite de l’image, est sur l’un des premiers papiers d’Erik Dietman, dans l’exposition de la galerie Ceysson& Bénétière, au Windhof. Mais s’il court, cherche à fuir, c’est que face à lui se trouve un personnage autrement imposant, carrément effrayant.
Il est tentant de qualifier Erik Dietman lui-même de diablotin. Pour son art piquant (affaire de fourche, continuera-t-on), art vif, surprenant, d’un bout à l’autre, rien que par l’immense variété des matériaux, des techniques, et bien sûr par l’esprit caustique des objets, des images. Des titres des œuvres non moins, car Erik Dietman était (l’artiste, d’origine suédoise, est mort en 2002 à Paris) autant du côté des mots, de la poésie que du côté des arts plastiques. Avec toujours le même penchant pour les jeux, ça s’appelle des fois des rébus, des contrepèteries, des fois des collages, ou toutes sortes d’assemblages.
Au visiteur de déchiffrer, mais il faut commencer par se laisser aller à tant d’humour et plus, à tant de virtuosité drôle. A-t-on jamais vu pareil bestiaire, ours, souris par exemple, ou semblable rangée d’objets en verre, qui peuvent avoir la forme de vases, mais s’avèrent très vite déformés, détournés, il suffit de l’ajout d’autre chose, comme d’un gant, ou de morceaux de bois. Quant aux bronzes, leur univers n’est pas moins saisissant, et les sculptures plus grandes, en fonte de fer, surprennent autant, de la zoomorphie revue et corrigée. « Dietman s’ébroue dans le hasardeux et l’à peu près, attentif à déjouer les codes, les idées reçues, bricoleur de l’invisible », tel l’a vu Roland Topor, son ami et complice en esprit et en attitude.
Des installations, au fil de l’exposition, peuvent parfaitement servir à caractériser la manière d’Erik Dietman. Cela s’appelle Préfiguration d’une pipe-line lingotique, date de 1990, est fait de blocs de bronze par terre qui ont des trous d’où sortent des pipes en bois ; légèreté du jeu de mots VS poids des bronzes et envergure des éléments. Plus loin, ça s’appelle le Proverbe turc (pourquoi, allez savoir en ces temps d’Erdogan), et c’est toujours le grand nombre, une quarantaine de paires de chaussures, et de chacun des souliers sort une bougie électrique ; la gravité l’emporte dans ce parterre qui tient même du memento mori.
L’art d’Erik Dietman le confirme une fois de plus. C’est hors de l’extrême vulnérabilité, en constante conscience de la mort que naît une distanciation faite d’éclat de rire, la liberté justement qui reste à l’homme face à l’inéluctable. D’où ces têtes de mort qui à la limite ne sont qu’autant de célébrations de la vie. On sait, de façon peut-être moins acérée qu’Erik Dietman, il n’est pas d’êtres plus tristes que les clowns. Lui nous ravit avec des clowneries qui sont des pieds-de-nez à la tristesse, à la déprime, en même temps des hommages à l’imagination. Et c’est contagieux, on sort requinqués d’une exposition d’Erik Dietman, il y a à voir, tellement l’invention est grande, est riche, et il y a à laisser vagabonder l’esprit, sur des chemins de traverse. Il fut un temps où Erik Dietman disait « panser » les objets de son quotidien, c’est sûr, le sparadrap, en l’occurrence, est d’ordre plastique, intellectuel.