d'Lëtzebuerger Land: La situation sur le marché du logement est une des priorités politiques de cette période législative. Comment la situation se présente-t-elle après les différentes mesures qui ont été prises pour réguler l'offre et la demande?
Fernand Boden: Pendant cette dernière décennie, le nombre de logements construits a augmenté de 2700 logements par an. Parallèlement, le nombre de ménages s'est aussi accru considérablement, de 2000 unités environ, ce qui fait que les retards ont été absorbés légèrement. Mais ils continuent d'exister ; la demande de logements est toujours supérieure à l'offre. Les prix de la construction sont plus ou moins stables voire légèrement en hausse, mais le problème majeur du coût - pratiquement prohibitif - des terrains à bâtir n'est toujours pas sous contrôle.
Quel est l'impact des mesures fiscales visant à augmenter le nombre des terrains à bâtir disponibles et, par là, à faire baisser les prix?
Les propriétaires fonciers ont trois ans pour vendre leur terrain et profiter d'un taux fiscal réduit sur leurs plus-values. Selon les dires de certains promoteurs, beaucoup de terrains ont pu être libérés de cette façon. Ils ont donc pu en acquérir davantage ces derniers temps et devraient par conséquent pouvoir augmenter l'offre. Maintenant, c'est une autre question de savoir s'ils les ont eu meilleur marché. Pour être franc, j'en doute. Nous devrons attendre encore un peu avant d'évaluer le réel succès de cette mesure. De toute façon, une mesure décidée aujourd'hui prendra quelques années avant de porter ses fruits.
Ces mesures fiscales expirent le 24 décembre 2004. Qu'arrivera-t-il ensuite?
Le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, en parlera probablement dans sa prochaine déclaration sur l'état de la nation. Je ne pense pas qu'une prolongation de cette mesure soit à exclure, sous condition qu'elle ait un impact réel sur les prix fonciers. Si la spirale des prix n'est pas freinée, nous devrons recourir à d'autres mesures. L'État imposera sans doute parallèlement un impôt foncier substantiel pour sanctionner les propriétaires qui retiennent leurs terrains pour des raisons de spéculation. D'autre part, il est difficile de faire une analyse approfondie de la situation du logement à court terme. Les procédures de construction avec l'élaboration des plans d'aménagement particuliers peuvent être extrêmement longues, de trois, cinq ou dix ans même. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de raccourcir les délais d'autorisation, car ils ont aussi un impact sur les prix. Les intérêts déboursés par un promoteur sur un terrain en attente d'être exploité auront forcément leur répercussion sur le prix définitif.
Les communes jouent un rôle primordial dans ce dossier. Que fait le gouvernement pour les encourager à prendre des initiatives dans le domaine du logement?
Beaucoup dépend de la bonne volonté des communes qui devront elles aussi accélérer leurs procédures d'autorisation et contribuer à augmenter l'offre de logements. Nous avons fait de gros efforts pour les sensibiliser à ce problème et je suis confiant que le message soit passé. Parallèlement, le gouvernement leur garantit un soutien financier si elles sont confrontées à des dépenses importantes - comme la construction d'écoles, de foyers de jours et d'autres infrastructures - liées à l'augmentation du nombre d'habitants. Le problème a été résolu partiellement par la loi du 8 novembre 2002 sur les constructions d'ensembles. Le ministre de l'Intérieur aussi est habilité pour signer des conventions avec les communes pour couvrir une partie de leurs dépenses.
Mais certaines communes sont toujours réticentes à prendre des décisions forcément impopulaires. Elles avancent des arguments comme la perte d'identité ou leurs capacités d'absorption limitées.
Certaines d'entre elles sont effectivement réticentes et ne prennent pas d'initiatives dans ce domaine. Elles craignent les initiatives populaires contre des projets de lotissements par exemple. Il est alors plus facile de retarder ou de refuser un projet, car ceux qui l'approuvent ne s'affichent que rarement en public. Mais je crois que la plupart des responsables locaux ont compris l'urgence d'agir. La loi de novembre 2002 les encourage même à jouer un rôle de promoteur public. L'État est prêt à leur financer 75 pour cent de la somme investie dans la construction de logements locatifs subventionnés, ce qui est considérable. Prenez le programme pluriannuel des constructions d'ensembles: de 4 500 unités de logement, nous sommes passés à pratiquement 11 000 unités actuellement. On voit là qu'un effort substantiel - surtout du Fonds du logement - a été réalisé. Parallèlement, nous avons adopté des règlements qui nous ont permis d'augmenter les barèmes maximaux des revenus des particuliers pour pouvoir être éligibles à l'acquisition d'un logement subventionné. Même des personnes aux revenus moyens peuvent maintenant devenir propriétaires d'un logement construit par le Fonds ou un autre promoteur public. Cela signifie que si le Fonds ou une commune lancent un lotissement, les personnes qui bénéficient d'une prime de construction - même si elle n'est pas très élevée - remplissent la condition d'éligibilité pour pouvoir acheter dans ce lotissement. L'État finance entre quarante et cinquante pour cent du coût des infrastructures et s'occupe du préfinancement des coûts, c'est-à-dire que ces logements et ces lotissements sont finalement moins chers que sur le marché normal et plus de personnes y ont accès. Le Fonds du logement et la Société nationale des habitations à bon marché ont repris l'idée du bail emphytéotique, ce qui évite que le prix du terrain soit répercuté dans le prix d'achat du logement.
Les aides au logement sont cependant souvent considérées comme contre-productives. Certaines aides contribueraient même à la surchauffe parce qu'elles sont calculées d'office dans les prix de vente ou les loyers.
Je ne partage pas cet avis. D'un côté, l'accent principal est mis sur les mesures qui augmentent l'offre en logements. De l'autre, nous sommes confrontés au voeu des habitants de devenir propriétaires. Pratiquement 70 pour cent des familles luxembourgeoises sont propriétaires de leur logement, ce qui est un pourcentage considérable par rapport à l'étranger - ce qui montre que les aides ont eu leur effet bénéfique. Prenez un couple avec deux enfants ayant revenu mensuel de 3 000 euros et une épargne de 40 000 euros et qui souhaite s'acheter une maisonnette de 250 000 euros, ce qui n'est pas du luxe. Sur le prêt, il devra rembourser une mensualité de 1 600 euros, ce qu'il ne peut pas se permettre compte tenu du principe qu'il ne faut pas dépenser plus d'un tiers de ses revenus pour le logement. Avec l'intervention de l'État, les mensualités se limiteront à 850 euros. La loi de novembre 2002 prévoit un autre instrument: la prime épargne logement. Elle sert à encourager les gens à épargner pendant plusieurs années et leur permettra de bénéficier d'une prime d'épargne supplémentaire à la construction ainsi que d'une garantie bancaire de l'État qui couvre quarante pour cent du montant emprunté. Sans cette garantie, il ne leur serait pas possible de se voir accorder le prêt nécessaire. Vous voyez, ces aides ont quand même leur raison d'être, quitte à ce qu'une petite partie se retrouve finalement dans les poches des vendeurs.
Les banques n'ont-elles pas leur part de responsabilités? Certaines n'hésitent plus à accorder des prêts sur quarante ans, d'autres refusent d'accorder des prêts alors que le client peut démontrer qu'il a été capable de payer un loyer de mille euros pendant des années. Est-ce que le gouvernement a des possibilités de les influencer dans ce domaine-là?
Un moyen efficace est la garantie de l'État dont on vient de parler. D'un autre côté - et j'ai insisté plusieurs fois sur ce point au Conseil du gouvernement - il faudrait les encourager les banques à faire preuve de plus de flexibilité. Si une personne a payé mille euros de loyer mensuel pendant des années, on peut raisonnablement partir du principe qu'elle sera capable de verser le même montant à sa banque sans que celle-ci ait besoin de garanties supplémentaires. Mais nous n'avons aucun moyen de forcer les banques pour s'engager sur cette voie-là. D'un autre point de vue, il n'est pas réaliste non plus de vouloir devenir propriétaire de son logement, dès lors qu'on a son diplôme en main. Cette idée aussi est très répandue. Ce n'est pas exceptionnel de louer un logement avant d'en acquérir un. Mais le problème se pose lorsque les loyers sont tellement élevés qu'on n'a plus les moyens de mettre de l'argent dans le bas de laine. C'est le capital de départ qui pose souvent problème et je suis d'avis que les banques devraient afficher plus de flexibilité dans le traitement de ces dossiers.
L'année dernière, vous avez déposé le projet de loi sur le bail à usage d'habitation principale. Depuis, les critiques ont fusé de toutes parts. On vous reproche de démanteler la protection des locataires au profit des propriétaires. La Chambre des employés privés, par exemple, a émis un avis très sévère.
Oui, c'est l'avis le plus dur, les autres sont plus mitigés ou même positifs. En refixant les conditions et les délais de déguerpissement du locataire en cas de vente ou de besoin personnel du propriétaire d'un logement loué, nous voulons trouver un équilibre entre locataires et propriétaires pour encourager ces derniers à investir davantage dans le locatif. On nous reproche surtout de balayer les différences entre les immeubles datant d'avant-guerre et les plus récents. Mais il faut se rendre compte dans quel taudis certaines personnes sont obligées de vivre, parce que les propriétaires ne sont pas motivés à les rénover correctement! Ou bien les propriétaires préfèrent les abandonner, les laisser sans habitants. Un de nos principes de base est que celui qui investit dans la pierre doit pouvoir demander un revenu équitable en échange. Ce qui ne veut pas dire que les locataires sont sans protections, bien au contraire leur protection est largement maintenue dans le projet de loi. Et de toute manière, la plupart des loyers dans les maisons d'avant-guerre sont d'ores et déjà supérieurs aux limites fixées par la loi. Le marché a évolué en dehors du cadre législatif. Il n'est pas normal non plus qu'un propriétaire d'un tel logement doive se limiter à percevoir un loyer ridicule, même si le logement est d'une qualité correcte. D'un autre point de vue, les plus démunis devront avoir la possibilité de se loger correctement. C'est la tâche des promoteurs publics d'y veiller et c'est la raison pour laquelle les communes sont soutenues à 75 pour cent, si elles investissent dans le logement locatif subventionné. Mais de toute manière, je suppose que ce ne sont que cinq ou six pour cent des ménages qui seront concernés par ces changements, pas plus. Cette problématique me tient quand même à coeur et je n'exclus pas que le texte sera amendé sur certains points. Je le répète: il ne s'agit pas de désavantager les locataires de bonne foi ou de faire déguerpir les gens, mais il faut encourager les propriétaires à investir dans le logement locatif!
Si vous dites que le marché locatif a sa propre dynamique, qu'il évolue en dehors du cadre législatif, pourquoi doit-on continuer à prendre des mesures, si elles ne sont pas respectées? Le marché ne pourrait-il pas se réguler lui-même, comme on l'a vu dans le domaine des bureaux?
Non, ce ne serait pas bien. Les gens ont un droit de se loger et si les loyers prennent une ampleur démesurée à cause d'une dérégulation, ce droit n'est plus garanti. Chacun a besoin d'un logement, mais pas forcément d'un bureau. C'est une provocation que d'avancer cette idée qui montre que les intérêts sont très éloignés: promoteurs, propriétaires, locataires ont tous un discours fondamentalement opposé. Il est évident que dans cette période où la demande est supérieure à l'offre, le locataire est la partie faible et doit être protégé.
On vous reproche aussi d'avoir attendu trop longtemps, que la situation du logement a été laissée à l'abandon depuis trop longtemps.
Qu'en est-il des 2700 logements construits par an? Ce n'était pas le cas dans les années soixante. Depuis 1989, la construction de logements a connu un essor sans précédent, surtout grâce à l'action des promoteurs publics et aux aides substantielles accordées par l'État. Il faut continuer à faire des efforts au niveau des prix de terrains à bâtir. Ils ne peuvent pas continuer à grimper à cette allure-là, sinon il faut s'attendre à des réactions négatives, mais fondées, par les concernés. Les jeunes n'acceptent plus cette situation. Tous les acteurs du secteur doivent s'en rendre compte et ont un intérêt à ce que les prix baissent - les promoteurs privés aussi. Nous leur avons adressé un message clair en augmentant le plafond des revenus éligibles pour pouvoir acquérir un logement subventionné: «Si vous ne rendez pas les prix abordables, nous sommes obligés de renforcer davantage l'action des promoteurs publics qui deviendront alors une réelle concurrence!»