Mine de rien et sans trop en parler, Erna Hennicot-Schoepges (CSV) aura peut-être été une des plus grandes féministes de cette législature. Profitant de son pouvoir de ministre de Travaux publics et de la Culture, elle a peu à peu nommé des femmes à de hauts postes de l'État : Marie-Claude Beaud au Mudam, Monique Kieffer à la Bibliothèque nationale, Josée Kirps aux Archives nationales et récemment Maryse Scholtes en tant qu'administratrice générale du ministère des Travaux publics. Avec, bien sûr, des réactions sarcastiques de la part des hommes - du genre «dans ce pays, il faut désormais être une femme pour être nommé à un poste à responsabilité !» Or, pour rattraper le retard de la représentativité des femmes dans la prise de décision, il faudrait encore beaucoup de telles nominations. Les temps sont anti-féministes, la tendance s'est encore amplifiée ces dernières années, et il est à craindre que lorsque, après le 13 juin, la députée verte Renée Wagener se retirera, comme elle l'a annoncé, de la vie politique, les voix qui s'élèvent pour la parité hommes/femmes, l'égalité sur tous les plans, celui des salaires, mais aussi celui des droits, se feront encore plus rares. Non pas qu'il n'y ait plus du tout de femmes, mais elles représentent souvent une image plus classique de la femme politique : combien d'entre elles estiment que leur mission est de s'engager pour la défense de la famille, des enfants et des animaux ? Le 8 mars est la journée internationale de la femme. Après la folie Halloween, le Luxembourg importe aussi pour la première fois le concept américain de V-Day, V comme «vagina», avec, forcément, des lectures et une représentation des Monologues du vagin d'Eve Ensler. Le but de toutes les manifestations étant de sensibiliser contre la violence toujours persistante envers les femmes, ce qui est très bien. Mais c'est un de ces thèmes pour lesquels on ne peut pas être du mauvais côté : qui pourrait légitimement être pour la violence ? L'adoption de la loi sur la violence domestique, avec l'obligation de déguerpir imposée à l'homme, est d'ailleurs une des avancées les plus notables pour les femmes de toute la législature 1999-2004. Cette dernière fut, par ailleurs, marquée par la polémique déclenchée en 2002 par les propos de l'ancienne juge Marguerite Biermann à la télévision, estimant qu'être femme au foyer n'est pas aussi fatiguant comme job que d'être mère qui travaille. On la traita de tous les noms, allant de «sorcière» à «lesbienne» (où est l'insulte?). Et ce furent les années de la véritable guerre de tranchées déclenchée en 2001 par la sculpture Lady Rosa of Luxembourg de Sanja Ivekovic, qui rappelait banalement que la souffrance des femmes est toujours oubliée dans les commémorations de guerre. Elle aussi se fit insulter, avant tout par les hommes, mais pas uniquement. Et le débat public qu'elle provoqua ainsi - sur l'identité nationale, sur la deuxième guerre mondiale - dépassait très vite ses intentions initiales. Depuis lors : calme plat. Le ministère de la Promotion féminine, pourtant lancé en grandes pompes en 1995 par Jean-Claude Juncker, s'est réduit à un éditeur de brochures en quadrichromie sur le gender mainstreaming, ou en organisateur de conférences sur des thèmes très «soft». L'étude Élues sur la participation des femmes à la politique communale, réalisée par la cellule Stade de l'Université du Luxembourg pour le ministère, n'a même jamais été publiée. Concrètement, on n'avance plus, au contraire, il y a comme une tendance réactionnaire sur les sujets féministes. «La patience des femmes est le pouvoir des hommes,» titrait très justement l'association Lidia pour la Journée de la femme en 2002. Car où sont les femmes dans la prise de décision, dans les structures du pouvoir ? Où sont les crèches et garderies annoncées en 1999 - qui seules garantissent le libre choix aux femmes de travailler si elles le veulent. Aujourd'hui, faute de place, elles choisissent souvent de rester à la maison pour que l'hypothétique homme à leur côté puisse poursuivre sa carrière prometteuse. Où sont les réformes sociales auxquelles on s'attendait de la part d'un gouvernement libéral : le nom patronymique de l'enfant, le partenariat, la réforme du divorce, voire même l'avortement ? Où sont les mesures législatives concrètes pour abolir les inégalités de salaires scandaleuses et persistantes entre femmes et hommes ? Cette stagnation de la société est même encore amplifiée dans le monde politique : là où les femmes sont nommées, comme au gouvernement, elles font leur boulot aussi bien ou aussi mal que leurs collègues masculins, ni plus ni moins. Mais là où elles doivent être élues, par exemple à la tête de leur groupe parlementaire, les hommes, qui restent largement majoritaires à la Chambre des députés, font souvent blocage. Ou les femmes, qui ont une tendance à se sous-estimer, ne vont même pas jusqu'à présenter leur candidature. Ne trouvez-vous pas choquant que la conférence des présidents ne compte pas une seule femme ? Alors forcément, de tels organes à dominante masculine inventent, pour se montrer magnanimes, dans une approche très paternaliste, des mesures comme le forfait éducation, qui est une sorte d'aumône, un geste de gratitude envers leurs mères et leurs grands-mères, au lieu de s'engager enfin sur la voie d'une individualisation des droits, qui permettrait aux femmes d'avoir leur propre carrière sociale. Conscient du poids des femmes au foyer aux urnes, le CSV a réussi un joli coup en demandant à la présidente de Famill 2000, Yolande Roller-Lang, de figurer parmi ses candidats aux élections législatives : elle représente cette image de la femme au foyer bien dans sa peau parce qu'elle a choisi d'abandonner sa carrière bancaire pour élever ses enfants. Ceci dit, et contrairement à son image de vieille dame, le CSV peut se vanter d'être plus progressiste que le LSAP : non seulement il a introduit un quota dans ses statuts, mais en plus il le respecte, avec une moyenne de 33 pour cent de femmes parmi ses candidats dans le pays (voir p. 2/3). Seule la circonscription Nord n'a pas respecté cette règle. Le pire est que chez les socialistes, cela ne semble même plus un sujet de débat. Ils sont tellement obsédés par la volonté de se montrer unis et solidaires entre eux pour ne pas prêter le flanc au CSV - à l'image du célèbre «qui fait une coalition avec les socialistes adopte les querelles de famille dans son gouvernement» du Premier ministre - que même les femmes socialistes semblent s'être endormies quelque part entre Vianden et Dudelange. Ne trouvez-vous pas incroyable que tous les dignitaires du parti, qui se veut pourtant moderne, soient des hommes ? Qu'ils donnent toujours des conférences de presse où les femmes ne figurent qu'en mascotte ? En mars dernier, le Cid-femmes a commandité une enquête sur des thèmes spécifiques aux femmes à l'Ilres : 94 pour cent des personnes interrogées, hommes et femmes, estimaient qu'il fallait faire un effort pour l'égalité des salaires, 89 pour cent s'exprimaient pour l'introduction de l'égalité femmes/hommes dans la Constitution et 88 pour l'individualisation des droits. 78 pour cent des personnes interrogées étaient pour la parité en politique, ce pourcentage étant nettement plus élevé chez les femmes (85 pour cent) que chez les hommes (71). Dont, bizarrement, seuls dix pour cent se disent radicalement contre l'introduction de quotas. Mais ceux-là n'ont pas à s'en faire, les femmes restent elles-mêmes les meilleures ennemies de quotas, trouvant toujours qu'elles devraient être choisies «parce qu'elles sont compétentes» et non parce qu'elles correspondent au quota exigé. Mais est-ce que vous avez déjà entendu un ministre ou un député du Nord ou de l'Est refuser un poste qui lui revenait grâce au système de représentativité régionale, donc aussi une sorte de quota, en disant qu'il fallait plutôt choisir quelqu'un(e) de plus compétent pour ce poste?