Jean Comes appartenait à la promotion syndicale de l’an 1937. Âgé de 21 ans, originaire d’Esch, il fut engagé comme secrétaire syndical en même temps que Jean Gallion, de deux ans son aîné et originaire de Differdange. Leur mission : reprendre en main l’organisation de jeunesse du syndicat. Gallion comme « Jugendleiter », Comes comme « Jugendsekretär ».
La Jeunesse ouvrière (« Arbeiterjugend ») avait été fondée en 1930 par Jean Fohrmann.1 Rebaptisée Jeunesse ouvrière socialiste puis Jeunesse socialiste, elle avait contribué au succès de la grande manifestation contre le fascisme organisée par le parti ouvrier en novembre 1933, avait chassé en février 1935 les nazis allemands de la ville minière de Rumelange, avait fait barrage aux « jaunes » de l’ingénieur Thewes, envoyé des volontaires en Espagne et participé à la campagne contre la loi-muselière lancée par La Ligue pour la défense de la démocratie.2 Son tort ne fut certainement pas de n’avoir pas fait assez, mais d’avoir été trop active, trop politique, trop à gauche.
La 11e Journée fédérale du « Luxemburger Berg-, Metall- und Industriearbeiter-Verband » réunie le 11 avril 1937 à Dudelange parla beaucoup de contrats collectifs, de législation sociale et du Conseil national du travail. Après les succès obtenus en janvier 1936, le « mouvement ouvrier moderne » avait besoin de fonctionnaires capables de représenter les ouvriers dans les organismes de conciliation. « Das neue Arbeitsrecht, das durch das unermüdliche Wirken und das zielbewusste Vorgehen des Verbandes errungen wurde, verpflichtet mehr denn je die leitenden Organe der Gewerkschaftsbewegung für einen tüchtigen und geschulten Nachwuchs Sorge zu tragen. »3
Comes offrait toutes les garanties requises. Il avait accompli un apprentissage de serrurier, suivi les cours de l’École des artisans. Il était un jeune homme tranquille sans activités militantes connues, appliqué, consciencieux. Il savait rédiger un rapport, apprit très vite la rhétorique des textes de résolution et devint un redoutable forgeron de phrases à rallonges, où on pouvait placer tout et son contraire. Ses mots préférés étaient devoir, fidélité, discipline, responsabilité, fierté. « Es ist unsere Pflicht, das Werk, das von unseren Vätern begonnen wurde, fortzusetzen, damit auch wir Jugendliche später unsere Kinder, stolz auf das von unsren Vätern begonnene Werk, aufmerksam machen können und dass auch sie dann uns in der Organisation unterstützen wie es unsere Pflicht ist, unsere Väter in den Reihen der Organisation zu unterstützen. »
Priorité à l’organisation donc, place à un syndicalisme assis quittant les clameurs de la rue et l’agitation des ateliers. « Die Jugend als junges Produkt des Gesamtverbandes » rassemblait les membres inscrits au syndicat âgés de moins de 25 ans, ne recrutait pas, ne prenait pas d’initiatives. Le « Jugendleiter » et le « Jugendsekretär » étaient élus d’office et les contacts avec les autres organisations de jeunesse étaient soumis à l’autorisation de la direction.4
Quand le pays fut envahi en mai 1940, Jean Comes fit comme tout le monde, comme la Grande-Duchesse, comme les ministres, les dirigeants et l’épicier du coin. Il partit. À Luxembourg les bureaux syndicaux restaient fermés pendant ce temps. En cas de problèmes, les membres n’avaient qu’à s’adresser à la Croix Rouge et à la Caritas. Fin juillet, Comes prit la décision de rentrer au Luxembourg, après Jean Fohrmann, le président de la Commission syndicale, et Michel Hack, le président de la Fédération des cheminots. Fohrmann et Hack avaient été alertés par les mesures conservatoires prises par l’administration luxembourgeoise à l’encontre des entreprises, dont les propriétaires étaient absents…5
La décision de rentrer était courageuse et risquée. La « Geheime Feldpolizei » d’abord et la « Geheime Staatspolizei » ensuite avaient fait irruption dans les bureaux syndicaux, les Maisons du peuple et le siège du Tageblatt. Elles avaient trouvé dans le bureau de Fohrmann, boulevard de la Pétrusse, la liste des hommes de confiance du syndicat des cheminots allemands, dans les bureaux du capitaine Archen à Belair la liste des hommes de confiance du IIe Bureau français et dans les caves de la Maison du peuple les quatre caisses d’explosifs que Fohrmann et Antoine Krier avaient ramenées en février 1940 de leur séjour à l’École militaire à Paris.6
Au moment de franchir la Ligne de démarcation, Fohrmann s’expliqua dans une lettre à Antoine Krier : « Qu’est-ce qu’ils pourraient bien faire de nous ? Nous n’avons rien fait d’interdit. Du ‘paquet’ nous ne savons rien et même sa présence prouvera que nous n’avons rien fait de mal. En tout cas je ne crois pas que nous nous exposons à des risques en retournant. D’ailleurs il y a certaines affaires à régler là-bas qui exigent notre présence. Je pense aux Syndicats et surtout à nos coopératives et nos maisons syndicales. De prime abord il faudra démontrer que tout a été géré minutieusement et que nous n’avons pas à craindre aucun contrôle. »7
En tant que syndicaliste, Fohrmann avait appris à s’adapter aux circonstances et à tenir compte des rapports de force. Tout n’était peut-être pas perdu, il fallait sauver ce qui pouvait être sauvé. L’infrastructure matérielle et peut-être un syndicalisme réduit à sa fonction purement gestionnaire. Un modus vivendi pouvait être trouvé avec un occupant soucieux de s’assurer la paix sociale pendant la difficile étape de l’intégration de l’économie luxembourgeoise à l’espace économique allemand.
Le 23 août 1940, le Gauleiter promulgua par voie d’affiches l’interdiction des partis politiques et des groupements professionnels. Une ère nouvelle commençait, sans querelles partisanes et luttes d’intérêts. Le Gauleiter promit l’impunité pour le passé et procéda sans tarder à « la dissolution des partis et des syndicats ainsi qu’à la confiscation de leur patrimoine » en enregistrant les noms des responsables, les structures internes et les biens des organisations politiques et syndicales. Le rapport ne mentionna pas les noms des membres. Simple inventaire donc.8
Une entrevue eut lieu fin août 1940 au siège de la Gestapo en présence de Fohrmann, de Comes et de « représentants des autorités allemandes ».9 Le cadre élargi des entretiens signifiait qu’il ne s’agissait pas d’un interrogatoire, mais d’un échange de vue en vue de fixer les règles du jeu. Contrairement à ce que le Gauleiter avait proclamé, les autorités allemandes ne voulaient plus entendre parler d’une dissolution immédiate des syndicats. Trop de biens et donc d’emplois étaient en jeu, ainsi que des prestations matérielles comme le payement des assurances-vie, des indemnités de chômage et des rentes complémentaires ou encore le fonctionnement des structures de représentation du personnel au sein des entreprises. Des mesures transitoires s’avéraient nécessaires.
Le 8 septembre 1940, une réunion publique fut convoquée par le « Gauobmann » de la « Deutsche Arbeitsfront », Hugo Dörner. Aucun dirigeant syndical ni patronal ne manqua au rendez-vous. « In dem festlich geschmückten kleinen Saal des Bürgerkasinos hatten sich alle Vertreter der Gewerkschaften einschliesslich ihrer Präsidenten und die Führer der Arbeitgeberorganisationen eingefunden. »10 Les responsables des syndicats libres n’avaient aucune raison de boycotter la « Deutsche Arbeitsfront », dans la mesure où il s’agissait d’une simple structure de supervision réunissant patronat et salariat et que l’existence des syndicats n’était pas remise en question.
L’attitude des syndicats chrétiens n’était pas différente de celle des syndicats libres, sauf que le Sozialer Fortschritt parut encore sous leur responsabilité exclusive jusqu’en août 1940. Dans une circulaire du 11 septembre 1940 le LCGB fit savoir à ses militants : « Der Christliche Gewerkschaftsbund wird demnach wie bisher, seinen statutarischen Verpflichtungen nachkommen, soweit dies den Anordnungen des Generalbeauftragten Hugo Dörner, resp. seiner Vertreter entspricht. Daraus ergibt sich, dass die Gewerkschaftler zur Einhaltung der eingegangenen Verpflichtungen anzuhalten sind, sowohl was die Bezahlung der Gewerkschaftsbeiträge wie der Vita-Beiträge anbelangt. Infolgedessen besteht auch für die Vorstände der Ortsgruppen die Pflicht zur Weiterführung der Gewerkschaftsgruppen. Vorstandssitzungen und Mitgliederversammlungen bedürfen jedoch der vorherigen Anfrage und Genehmigung des für den betreffenden Kanton zuständigen Vertreters. »11
En apparence, rien n’avait donc changé. Les comités continuaient à se réunir, composés des mêmes hommes. Les cotisations étaient perçues et les prestations payées. Les correspondances se faisaient toujours sur papier à lettre du « Letzebuerger Chreschtleche Gewerkschaftsbond » respectivement du « Luxemburger Berg-, Metall- und Industriearbeiter-Verband », dont le siège se trouvait toujours au « Gewerkschaftsheim » d’Esch. Les lettres ne contenaient aucune des formules qui pouvaient être interprétées comme un ralliement au nouveau régime. Il fallait seulement avertir Thomas Putz en tant que « Beauftragter des Still-haltekommissars », respectivement « Kommissar des Organisationswesens » ou encore « Kreisobmann der DAF » et lui soumettre l’ordre du jour et le rapport de séance.
Après son retour de France, Jean Comes avait trouvé un emploi dans un garage à Esch. Début septembre, il fut convoqué par les autorités allemandes afin de reprendre sa place au sein de l’appareil syndical. Avant d’accepter, Comes consulta les hommes de confiance du syndicat à Esch, Léon Weyrich, Jos. Haag, Michel Flammang et Nic. Welter. Leur avis fut unanime : il fallait que quelqu’un y aille pour informer les collègues sur ce qui s’y passait. Albert Peters, un autre jeune syndicaliste, fit de même. Dans la hiérarchie syndicale, Comes était devenu le numéro 2, derrière Fohrmann et devant Peters. Il portait le titre de « Kontrollsekretär », convoquait les caissiers des sections locales pour le contrôle de l’encaissement.
Le rapport de la réunion du « Hauptvorstand » du LBMIAV du 20 octobre 1940, indique que douze collègues étaient présents : Lambert, Mannes, Hochstrass, Haag, Brendel, Conrady, Fellens, Dondelinger, Comes, Peters, Haupert et Fohrmann. Comes parla de la fanfare syndicale dans le contexte des contrôles financiers. Fohrmann fit le rapport d’activités et présenta les lignes de conduite pour le travail futur. Le comité exécutif constata que les indemnités de chômage étaient dues pour la période d’évacuation à condition que les cotisations en retard soient versées. Pour ce qui concernait la reparution du Escher Tageblatt, le comité exécutif nota « mit Befremden » qu’aucun accord n’avait été pris concernant l’indemnisation des propriétaires de l’imprimerie coopérative.
Le personnel de l’imprimerie coopérative avait été réuni le 1er octobre. Il fut informé que l’entreprise était passée sous le contrôle du « Nationalverlag », que le Tageblatt reparaîtrait à partir du 19 octobre et que le personnel serait repris sans exception. Après la réunion un, entretien eut lieu entre Thomas Putz d’une part et Fohrmann et Hack d’autre part. Les syndicats avaient cédé la propriété du journal en échange d’une garantie d’emploi. Une seule question restait en litige, celle d’une éventuelle indemnisation.12
Les syndicats avaient obtenu peu de choses. Ils avaient renoncé au journal qui leur appartenait depuis 1927. Ils avaient lâché l’imprimerie, se contentant d’une vague promesse d’indemnisation, dont ils savaient qu’elle ne serait jamais tenue. Ils avaient appelé les membres à régler les cotisations sachant l’usage qui en serait fait. Il ne restait pour le moment que la satisfaction amère d’avoir prouvé que les livres de comptes étaient bien tenus.
Le « Ortsgruppenleiter » de Niedercorn de la « Volksdeutsche Bewegung » n’était pourtant pas content de cette solution en demi-teinte. « Die in den vorhergehenden Berichten erwähnte Unzufriedenheit der Hütten- und Bergarbeiter ob der gegenwärtigen Lohnverhältnisse dauert an. Die gegenwärtigen Lohnverhältnisse sind auch der Grund, warum eine ganze Anzahl Arbeiter (…) der V.d.B. fern bleiben, und auch bereits Mitglieder der V.d.B. Schwierigkeiten beim Erheben der Monatsbeiträge machen. Es ist eine Tatsache, dass viele, sogar sehr viele Arbeiter jetzt weniger verdienen als vor dem 10. Mai. Ausserdem herrscht bei den Arbeitern Verwunderung darüber, dass als Obmänner der D.A.F. wieder die alten Kanonen der früheren Gewerkschaften auftauchen. (…) Unzufriedenheit herrscht auch bei der Arbeiterschaft, dass neben den Beiträgen der V.d.B. und der D.A.F. auch die Beiträge der früheren Gewerkschaften errichtet werden müssen, so dass sie monatlich Beiträge in Höhe von 3-4 RM zu zahlen (haben).“13
Le docteur Schneider, « Generalbeauftragter für Arbeitgeber- und Arbeitnehmerorganisationen », annonça en janvier 1941 la fin prochaine des syndicats qu’il appela les « Zentralstellen, welche ehedem diese Kraftströme (der Arbeit) lenkten ». L’intégration à l’espace économique allemand exigeait des entreprises luxembourgeoises qu’elles soient compétitives. Si les salariés luxembourgeois voulaient bénéficier des avantages des travailleurs allemands, ils devaient rejoindre la « Deutsche Arbeitsfront ».
En février 1941, les délégués d’entreprise élus furent remplacés par des « Obmänner » nommés qui n’avaient plus pour mission de défendre les ouvriers, mais de les encadrer et de leur transmettre des directives que ceux-ci devaient écouter debout au cours des « Betriebsappelle ». Le chef d’entreprise était investi de tous les pouvoirs en vertu du « Führerprinzip ». « Aus den bis dahin klassenbewussten Proletariern wurden die Gefolgschaftsmitglieder. » « In den Betrieben herrscht Ordnung und Ruhe, die Menschen sind willig, fleissig und tüchtig. »14
Le 22 mars 1941, Jean Comes et Albert Peters firent paraître, l’un comme secrétaire et l’autre comme trésorier du « Luxemburger Berg-, Metall- und Industriearbeiter-Verband » un appel informant les membres qu’ils appartenaient désormais à la « Deutsche Arbeitsfront » sous la condition de mettre à jour leurs cotisations. La capitulation était complète. La signature du président du LBMIAV manquait sous l’appel. Dans une lettre datée du 27 septembre 1941, le « Ortsgruppenleiter » de Dudelange demanda des sanctions contre Fohrmann, qui n’avait toujours pas rejoint la DAF. 15
Il restait un dernier bastion de l’ancienne forteresse syndicale : les coopératives d’achat. N’étant plus payé par le syndicat ni par la DAF, Fohrmann reprit en mars 1941 le poste de gérant de la coopérative « La Solidarité » à Dudelange. L’Ortsgruppenleiter exigea en septembre 1941 la fermeture du « Geschäftshaus Fohrmann », ce qui fut fait en août 1942. Les différentes associations et coopératives des cheminots avaient été dissoutes le 10 juin 1942. Le temps des compromis, des demi-mesures, des faux espoirs était terminé.
Les nazis pouvaient interdire le syndicalisme, ils ne pouvaient pas faire disparaître le besoin de syndicalisme. Ils ne pouvaient empêcher que les raisons qui avaient fait naître le syndicalisme conduisent à faire renaître un syndicalisme authentique, un syndicalisme de résistance et de combat et que le silence forcé des organisations syndicales aient pour résultat que cette renaissance syndicale se produise hors des structures du syndicalisme. Les rapports du « Sicherheitsdienst » abondent sur ces mouvements d’abord individuels et spontanés.
Le 9 septembre 1940, un rassemblement anti-allemand se produisit devant l’ancienne maison syndicale de Rumelange, à l’instigation de Pierre Goetz. « Er hatte sich zu diesem Zweck ein Efeublatt an den Rockaufschlag geheftet. (…) G. ist ein unverbesserlicher Marxist und nahm als solcher an dem spanischen Bürgerkrieg teil. » Le 14 septembre, cinq Luxembourgeois mirent des douaniers allemands à la porte du café Bosco d’Obercorn en chantant l’Internationale et « Mir wëlle bleiwen wat mer sinn. » En octobre, l’ouvrier de la laiterie René Lanners de Bonnevoie salua ses camarades de travail par « Heil Moskau ! » – un mot d’ordre signalé à trois reprises –, et à Grevenmacher les ouvriers-mineurs Georges et Michel Schilz furent arrêtés pour avoir chanté l’Internationale en levant le poing, un incident signalé également à trois reprises. Les 15, 20 et 28 octobre, le SD signala des arrêts de travail dans les minières, notamment à la minière Doihl de Lasauvage. Le 19 octobre, lors de la « Großkundgebung » du Gauleiter à Esch, une vingtaine de personnes traversèrent les rues en camion en chantant des chansons antiallemandes, parmi eux des Differdangeois et des Italiens. Les Italiens étaient souvent en première ligne de cette guerre patriotique, comme à Dudelange René Igniti de Gubbio. À Schifflange, l’instituteur socialiste Albert Wingert fut arrêté après un échange de coups de fusil.16
Dans son rapport du 31 octobre 1940, le SD chercha une explication politique de ces informations concordantes : « Die bei den Arbeitern vorherrschende Unzufriedenheit über die Lohn-und Preisentwicklung brachte in den letzten Wochen auch ein Anwachsen kommunistischer Strömungen. (…) Das Wachsen der Gruppe kommunistisch Gesinnter ist teilweise auch bedingt durch die Anlehnung des sogenannten linken Flügels der verbotenen marxistischen Partei. Andererseits stossen gewisse Intellektuellengruppen zur extremen Linken. (…) Besondere Beachtung verdienen die früheren marxistischen Gewerkschaftsführer. Es ist nicht ausgeschlossen, dass der kommunistische Gedanke auch von dieser Seite Zutrieb erhält.“17
Si le SD parlait d’aspirations communistes dans le sens de réactions spontanées d’un milieu communiste, signalait la radicalisation de l’aile gauche du parti ouvrier et se méfiait des dirigeants syndicaux, Arthur Useldinger critiqua sévèrement l’attitude de Fohrmann et Comes dans un rapport interne du parti communiste saisi par la police allemande en juillet 1942. Useldinger mentionna deux réunions des hommes de confiance syndicaux qui eurent lieu en juillet 1940 : « Das Verdienst gebührt den Mitgliedern der früheren gewerkschaftlichen Opposition (…) Die Wiederkehr der Fohrmann, Comes und Konsorten besiegelte das Schicksal der Bemühungen zur Erhaltung selbständiger Gewerkschaften. Diese Elemente gingen zu den Faschisten und halfen ihnen die Überführung der Gewerkschaften in die DAF zu vollführen. »18
Les événements ultérieurs démentirent ce jugement trop hâtif et trop définitif pour ce qui concerne la personne de Fohrmann, mais n’infirmèrent en rien les faits évoqués. Les réunions évoquées par Useldinger ont eu lieu dans les cafés Dumont, Bourkel (Differdange), Arensdorf (Schifflange). Une vingtaine de militants de l’aile gauche avaient été exclus du parti ouvrier en janvier 1940. Parmi eux Nic Moes, candidat socialiste aux élections de juin 1937 et les cheminots Keiffer et Michels. Ce groupe fut rejoint par la direction de la Jeunesse socialiste, dont Victor Humbert, secrétaire général de 1930 à 1940 et Jean Gremling. Jos Grandgenet, le vétéran du syndicalisme communiste, ne prit pas part à ces réunions. Ayant occupé les fonctions de maire faisant fonction pendant l’évacuation de la commune de Sanem dans le Nord du pays, il dut s’imposer une période de quarantaine. Quant aux intellectuels d’extrême-gauche mentionnés par le SD, il pourrait s’agir du groupe Wingert-Bisdorff-Biermann.19
En septembre 1942, Fohrmann fut exilé avec sa famille dans les camps de déportation de Silésie. Après l’attentat de juillet 1944 contre Hitler, il fut arrêté et envoyé dans le camp de concentration de Gross Rosen. Les nazis n’avaient rien de précis à lui reprocher, mais ils savaient que ses convictions n’avaient pas changé. Jean Comes et Albert Peters continuèrent sur le chemin emprunté en 1940. Ils n’avaient pas connu les grandes grèves et les bagarres contre le fascisme. Ils étaient venus en 1937 et ne connaissaient qu’un syndicalisme de conciliation et de loyauté envers le pouvoir. Contrairement à Fohrmann ils s’affichèrent dans l’uniforme jaune du NSDAP, Peters pendant une semaine, Comes jusqu’à la fin. Peters aurait demandé conseil à J.P. Brendel, qui lui aurait dit : « Du hast A gesagt, du musst auch B sagen. Wenn die Sache vorbei ist übernehme ich die Verantwortung. » En 1944, Brendel ne fut plus là pour confirmer. Peters fit tout pour échapper au piège qui se refermait, il participa aux « Betriebsappelle » non rasé et sans insigne, les mains dans les poches, se fit renvoyer et sa femme participa aux transports de vivres pour les Luxembourgeois déportés en Silésie. On lui pardonna.20
Comes suivit les formations à Bad Neuenahr, cumula les postes, « Organisationsleiter der DAF », « Kreiswart » de « Kraft durch Freude », participa au décrochage des portraits de Pierre Krier dans les maisons syndicales et prononça en octobre 1941 à Rumelange un discours contre la Grande-Duchesse, participa aux beuveries, arracha dans les bistrots et dans les rues de Neudorf les insignes patriotiques et les insignes syndicaux, se fit traiter devant 50 témoins de vaurien et de traître, parada en uniforme, « stets und ständig, als ob er keine Zivilkleider mehr hätte. » S’il fut démis de ses fonctions, ce ne fut pas pour des faits de résistance. Il obligea en septembre 1944 les cheminots de Pétange à livrer leurs locomotives, contrôla les listes de présences, le révolver à la main et partit en panique pour le Grand Reich. « Par bêtise », avoua-t-il.21
Fohrmann rentra à Dudelange en mai 1945, amaigri et marqué par les souffrances subies. Aux élections, il connut un triomphe. L’heure n’était pas au débat serein sur la justesse des décisions prises en 1940. Les Allemands avaient réussi à faire taire les syndicats. Les dirigeants syndicaux n’avaient pas réussi à empêcher cette entreprise de spoliation et de domestication. Ils avaient joué sur le temps, en retardant les échéances, espérant sans doute un revirement miraculeux de la conjoncture internationale, hésitant à se lancer dans un affrontement, dont ils connaissaient l’issue fatale. Après la guerre, ils se justifièrent en faisant état de la possibilité de garder des contacts et de diffuser des directives de bouche à oreille. La prudence extrême, le silence imposé et la paralysie progressive des activités syndicales laissaient le champ libre aux nazis. Cette politique de loyauté à l’égard de l’occupant s’inspirait de celle pratiquée par ce qui restait d’autorités luxembourgeoises, la Commission Wehrer et la Commission Reuter. Les mots d’ordre du gouvernement en exil n’étaient pas d’un très grand secours. Lors de sa première intervention à la radio anglaise, Pierre Krier exhorta ses « Aarbechts-kameroden » à rester fidèles à leurs traditions démocratiques et à se considérer comme « l’avant-garde de la résistance morale » et les appela à rester le 1er mai 1941 à la maison entre 7 heures et 8 heures du soir en boudant les cafés et les cinémas. Il demanda : « Ginn ons Kollektivverträg agehâlen ? (…) Suergt dofir dass d’Virschrëften iwerall agehal ginn. »22 C’était un peu vague.