Les conditions économiques continuent à s’améliorer au niveau mondial. Le chômage se résorbe progressivement des deux côtés de l’Atlantique, ce qui laisse présager une croissance des salaires plus dynamique et donc une augmentation graduelle de l’inflation. Les principales banques centrales ont commencé à préparer le marché à un arrêt progressif du soutien monétaire exceptionnel de ces dernières années. Ainsi la Réserve fédérale aux États-Unis a déjà relevé ses taux directeurs d’un point de pourcentage, et les prévisions actuelles de ses gouverneurs laissent supposer une hausse additionnelle d’un point avant fin 2018. La Fed devrait également réduire prochainement ses achats d’obligations afin de diminuer graduellement la taille de son bilan. La Banque centrale européenne de son côté n’évoque plus la possibilité de baisses de taux additionnelles, et si les conditions économiques continuent à s’améliorer, une réduction du volume de ses achats d’obligations serait envisageable dès le début de l’année prochaine. Contrairement aux autres banques centrales, la Banque du Japon a une cible officielle pour le niveau des taux d’intérêt à dix ans et elle pourrait relever celle-ci dans les mois à venir. Finalement, la Banque d’Angleterre fait face à une accélération de l’inflation suite à la dépréciation de la livre sterling, ce qui rend probable un resserrement de la politique monétaire au cours des mois à venir.
Après une décennie de soutien monétaire d’une ampleur sans précédent, on se trouve donc à un moment clé où toutes les grandes banques centrales devraient graduellement diminuer leur soutien. Si l’amélioration des conditions économiques continue, on pourrait ainsi assister à une hausse graduelle des taux d’intérêt au niveau mondial au cours des mois et des années à venir. Même si les banques centrales vont sans doute se montrer prudentes dans la gestion de cette transition, on peut se poser la question de risques éventuels pour la stabilité financière au niveau mondial.
On se souvient que la dernière crise financière globale était partie des marchés de l’immobilier aux États-Unis. En théorie, les marchés de l’immobilier sont une source de risque potentiel dans un contexte de remontée des taux d’intérêt. En effet, ces derniers représentent un facteur essentiel dans la décision d’investissement immobilier. Des taux d’intérêt en hausse peuvent induire un déséquilibre entre l’offre et de la demande et, partant, avoir un impact sur les prix de l’immobilier. De par leur incidence sur les prix, ils peuvent également avoir une influence sur le patrimoine net des propriétaires. Une telle évolution peut à son tour impacter la confiance économique et, par conséquent, la consommation.
Afin d’évaluer les risques potentiels pour la stabilité financière mondiale, il convient d’examiner les valorisations actuelles des marchés du logement à travers le monde et de les placer dans une perspective historique. Le présent article se base sur les résultats d’une analyse récente des marchés de l’immobilier résidentiel au niveau mondial1. Cette analyse se fonde sur le rapport entre les prix de l’immobilier résidentiel et le revenu disponible des ménages (ci-après ratio prix/revenus)2. Ce ratio est un indicateur macroéconomique de valorisation. L’analyse concerne 21 pays et porte sur la période allant de 1975 à 2016. L’idée est de comparer le ratio prix/revenus actuel d’un pays aux données historiques de ce pays depuis 1975, ce qui permet de placer la valorisation actuelle du marché de l’immobilier dans un contexte historique.
L’axe horizontal du graphique montre dans quel décile de la distribution historique le ratio prix/revenus se situait en 2016. Par exemple, un décile de 10 signifie que le ratio en 2016 se situait dans le top 10 pour cent des valeurs depuis 1975, un décile de 5 ou 6 signifie que le ratio se situe dans la moyenne historique etc. Pour un certain nombre de pays, les valorisations se situent actuellement à des sommets historiques ou s’en approchent. C’est notamment le cas du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, de la Suède et du Luxembourg. Les valorisations semblent aussi assez élevées (huitième ou neuvième déciles) en France, en Belgique, au Danemark et en Afrique du Sud. Un élément plus rassurant en termes d’effets de contagion potentiels et d’implications pour la stabilité financière globale est que, pour les trois principales économies de l’échantillon, les niveaux de valorisation semblent modérés : dans le quatrième décile pour les États-Unis, le premier décile pour le Japon et le troisième décile pour l’Allemagne. En Italie et en Espagne, les valorisations sont également faibles. Par conséquent, s’il existe des signes indiquant des valorisations élevées dans certains pays, il ne s’agit pas d’un phénomène d’ensemble.
Outre les niveaux de valorisation, il convient aussi d’examiner l’évolution de ces ratios sur la période récente. En effet, une valeur élevée en déciles est moins préoccupante si le pays a une valorisation élevée depuis déjà un certain temps. L’axe vertical du graphique montre l’évolution du ratio prix/revenus sur la période 2011-2016. Parmi les pays qui affichent des valorisations élevées, nombreux sont ceux dont la valorisation a nettement augmenté au cours des cinq dernières années, notamment la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Luxembourg et le Canada ainsi que, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni et la Suède. Cette situation contraste avec celle de la France où les valorisations ont nettement reculé au cours des cinq dernières années même si elles restent relativement élevées en comparaison historique. En Belgique, au Danemark, en Norvège et en Afrique du Sud, les ratios prix/revenus n’ont guère évolué au cours des cinq dernières années.
Le cas de l’Allemagne est assez intéressant. Malgré le réajustement récent des prix à la hausse dans le secteur allemand du logement, le ratio prix/revenus n’en continue pas moins de se classer à peine dans le troisième décile de la distribution historique. En effet, la hausse récente est partie de valorisations historiquement basses : le ratio prix/revenus a régulièrement baissé en Allemagne depuis le début des années 1980 jusqu’aux environs de 2012.
Aux États-Unis également, les prix des logements ont grimpé d’environ dix pour cent sur les cinq dernières années, mais le ratio prix/revenus se situe à peine dans le quatrième décile de la distribution historique. S’agissant des États-Unis, cela s’explique par le fait que le ratio prix-revenus a reculé de près de trente pour cent au lendemain de la crise financière 2007-2008. En Italie et en Espagne, la chute régulière des ratios de valorisation au cours des cinq dernières années a simplement ramené ces ratios autour de leur moyenne historique (quatrième et cinquième déciles, respectivement).
En conclusion, les valorisations du secteur du logement semblent actuellement élevées dans un certain nombre de pays. Néanmoins le phénomène n’est pas général : dans les trois plus grandes économies de l’échantillon, les valorisations apparaissent modérées en comparaison historique. Aux États-Unis en particulier, c’est plutôt le secteur des entreprises qui soulève actuellement des interrogations. Contrairement aux ménages, les sociétés américaines sont aujourd’hui fortement endettées et le Fonds monétaire international a récemment souligné la vulnérabilité des entreprises américaines face à une remontée des taux d’intérêt.