La très active galerie Vis-à-Vis de Metz réunit jusqu’au 19 mars d’élégantes vues d’Olivier Christinat, dont l’œuvre vient de faire l’objet d’un ouvrage aux éditions Actes Sud (Pas un jour sans une nuit). Une reconnaissance qui nous rappelle que l’artiste suisse manie aussi bien la caméra que le dessin, tout en se confrontant aux grandes œuvres de la littérature à travers Virgile, Dante ou Verlaine, poète natif de Metz convoqué dans le parcours. Le titre de l’exposition, Nouveaux souvenirs (2017) est emprunté à un autre ouvrage de Christinat.
D’abord des cimes alpestres, éclairées par la lumière naturelle qui pénètre à travers la baie vitrée de la galerie. De moyen format identique, les deux exemplaires retenus ici déploient de fines nuances de blanc et de gris pour dévoiler à chaque fois un paysage montagneux. Le sujet se devine, transparaît, prend forme dans la durée de la contemplation. L’idée d’entamer cette série lui est venue en observant une affiche publicitaire, et de son intérêt prononcé pour sa partie la moins destinée à être contemplée : l’arrière-plan. C’est ce pan secondaire de l’image que l’artiste choisit de réhabiliter, en lui confiant tout le champ, tout en lui conservant son aspect évanescent et diffus. L’œuvre se distingue de l’image publicitaire car elle n’a pas besoin de netteté pour définir le sujet de son commerce, pour vendre et vanter sa marchandise, vanité immuablement plantée au premier plan. C’est pourquoi Olivier Christinat assume pleinement dans ses paysages la visibilité des pixels, une imperfection plastique devenue intentionnelle qui rapproche le geste photographique du geste pictural. Chaque pixel y fait l’effet d’une touche, confère aux compositions enneigées une facture impressionniste. Les photos deviennent tableaux.
Pareille démarche est transposée à l’environnement urbain d’Osaka avec une vue générale prise au téléobjectif depuis un lieu élevé. Le champ regorge d’habitations, enveloppé d’une brume laiteuse qui délave les couleurs et uniformise l’atmosphère lumineuse. Tout y est pris dans un camaïeu gris-beige, sans aucune présence de végétation, pour faire ressortir la minéralité de cette ville que le photographe affectionne. Les plans sont confondus, mis à plat, créant d’innombrables illusions optiques. Labyrinthique Osaka, aux perspectives dissoutes, rythmée par le mouvement des corps : là, le déhanchement d’homme en conversation, ici la solitude d’une femme qui se détache de la foule. Une approche inspirée par la lecture d’Orhan Pamuk : « Dans Mon nom est Rouge, l’écrivain turc évoque l’absence de perspective dans la peinture persane et donne une explication qui a été pour moi un déclic : le peintre persan ne représente pas la perspective parce qu’il montre le monde de très loin, depuis un point de vue divin. Avec l’écrasement de la distance, on perd la notion de perspective. J’ai voulu photographier le monde de cette façon-là », précise l’artiste. Ailleurs, Olivier Christinat saisit la contorsion des corps pris dans les cadences effrénées du néolibéralisme, à l’image de ces voyageurs entassés dans le métro de Berlin qui forment une improbable chorégraphie. Sont ainsi privilégiés les lieux de concentration humaine, tels que la rue ou la plage, ce dont le téléobjectif prend acte en nous plaçant, tel un voyeur, au plus près des corps représentés.
La dernière partie du parcours permet de découvrir le travail graphique de Christinat. S’emparant de textes littéraires illustres, qu’il reproduit à chaque fois dans leurs langues d’origine, l’artiste les comprime au point de parvenir à les éditer en une seule page. Le texte garde ainsi sa lisibilité, son intelligence, même s’il faudra se munir d’une bonne loupe pour s’assurer de sa lecture. À ces chiffres littéraires font face deux belles compositions sylvestres ; le visiteur chemine à présent dans un bois de bouleaux, à hauteur de cimes, ultime motif ascendant qui vient boucler ce parcours en forme de montagne russe. De la montagne aux forêts dépeuplées, de la photographie à la peinture et aux lettres, l’œuvre d’Olivier Christinat circule subtilement entre les arts et les éléments.