Depuis déjà plusieurs années, les épargnants intéressés par la pierre – et ils sont nombreux –, peuvent assouvir leur passion en achetant, directement ou par le truchement de fonds, les titres émis par des sociétés cotées spécialisées dans le real estate, dont la capitalisation mondiale s’élève à 1 700 milliards de dollars. Au risque d’accroître une exposition déjà très élevée au risque immobilier.
Dans un contexte de recherche de rendements les foncières cotées (souvent connues sous l’appellation anglaise de « public real estate investment trusts » ou plus simplement Reit) se révèlent très attractives, comme l’a montré une étude réalisée en France par l’IEIF (Institut de l’épargne immobilière et foncière). Sur vingt ans, entre 1995 et 2015, les actions des foncières affichent le meilleur couple rendement/risque. Leur taux de rentabilité interne s’établit en moyenne annuelle à 13,5 pour cent, ce qui en a fait le placement le plus rentable sur la période, devant les actions, l’immobilier en direct, l’or et l’assurance-vie. Sur les cinq dernières années, l’indice de l’Epra (European Public Real Estate Association) pour la zone euro a progressé de 63,4 pour cent, alors que le FTSE Eurozone ne gagnait que 22,2 pour cent, soit trois fois moins, et que l’Euro Stoxx 50 est aujourd’hui au même niveau que début 2014 !
Début janvier 2019, l’Epra, qui célébrait à cette occasion son vingtième anniversaire, organisait son évènement annuel à Bruxelles, dans un pays où l’immobilier coté a bien performé en 2018 (plus 8,7 pour cent). Ce fut loin d’être le cas partout, et d’ailleurs l’indice Epra Euro zone a baissé de 8,2 pour cent l’année dernière. Mais c’est toujours mieux que les principaux indices actions et les professionnels restent optimistes car « les fondamentaux sont bons », en raison de la conjoncture économique, de l’évolution de la démographie et des nouveaux usages de l’immobilier.
Les foncières cotées permettent d’investir sur des actifs très variés, en majorité de l’immobilier d’entreprise sous forme de bureaux et de locaux commerciaux, mais aussi, et de plus en plus, sur d’autres segments porteurs : hôtels, maisons de retraite, résidences étudiantes, data centers, antennes pour les télécommunications et entrepôts (ces derniers enregistrent une croissance soutenue, y compris pour l’usage des particuliers avec le concept de self-storage). Les investissements dans l’immobilier résidentiel sont minoritaires en Europe, mais restent très importants en Allemagne, un « pays de locataires » où la fragmentation des ménages et l’immigration entraînent une hausse de la demande de logements.
Contrairement aux actions classiques, dont les valeurs « sont davantage soumises à la psychologie collective des acteurs de marché », selon un spécialiste, celles des foncières cotées bénéficient de la publication régulière, par des experts externes, de la valeur de leurs actifs, sur la base des transactions réelles survenues sur le marché de l’immobilier physique.
Leur rentabilité n’est pas seulement plus élevée que celle d’autres actifs : comme elle est fondée sur les loyers des immeubles acquis, elle se révèle aussi plus régulière, du fait de la longue échéance des contrats de location commerciale, ce qui se traduit par une faible volatilité du chiffre d’affaires. Elles peuvent aussi profiter de juteuses plus-values de revente d’immeubles bien situés. Contrairement à une idée reçue, ces sociétés ont assez peu de dettes, avec une proportion de 37 pour cent de la valeur de leurs patrimoines immobiliers à fin août 2018, contre un pic de 48 pour cent lors de la crise de 2008-2009. Les foncières recèlent également un potentiel de hausse, car leurs cours présentent structurellement une décote (de dix à treize pour cent en général) sur la valeur de l’actif net réévalué (valeur des actifs moins celles des dettes). Cerise sur le gâteau : à l’avenir elles seront de plus en plus capables de générer des ressources supplémentaires grâce à l’exploitation des bases de données. Ainsi la foncière résidentielle allemande Vonovia, qui gère 370 000 appartements, soit un million de locataires, leur propose de souscrire divers contrats (accès à internet, sécurité, services d’aide à la personne, partage de moyens de transport) et peut même leur vendre l’énergie fabriquée grâce aux panneaux photovoltaïques qu’elle a installés. En 2018 la fourniture de ces services aurait généré 120 millions d’euros de résultat opérationnel.
L’intérêt justifié des investisseurs pour les foncières cotées se heurte toutefois à un obstacle : les autorités de tutelle, comme certains professionnels de l’épargne, trouvent que les particuliers sont déjà très exposés à l’immobilier physique (lire encadré) et qu’il ne faudrait pas en rajouter en les encourageant à investir dans la pierre-papier.
En septembre 2018, Danièle Nouy, la responsable du Mécanisme de supervision unique (MSU) à la Banque centrale européenne a estimé dans une interview que la prochaine crise en Europe pourrait venir du marché immobilier. Selon elle le niveau historiquement bas des taux d’intérêt a favorisé une hausse de la demande et une envolée des prix des logements dans plusieurs villes et régions européennes, au risque de créer des bulles financières, une opinion déjà exprimée par plusieurs experts.
Ce qui est nouveau, c’est que Madame Nouy s’inquiète aussi de l’explosion des prix de l’immobilier commercial, notamment dans le nord et l’est de l’Europe, d’autant que les acquisitions y ont été majoritairement financées par des crédits à taux variables. Mais les pays baltes et scandinaves ne sont pas seuls dans ce cas. Fin octobre 2018, la Banque de France a ainsi publié une étude attirant l’attention sur les « niveaux record de prix atteints sur le segment de l’immobilier d’entreprise » notamment sur le secteur des bureaux, notant qu’« il existe un risque de correction à la baisse en cas de remontée soudaine des taux d’intérêt ou de dégradation des perspectives économiques ».
Selon la Banque de France, un éventuel éclatement de la bulle de l’immobilier commercial impacterait nécessairement les ménages qui y ont investi. À cet égard, le point rassurant est qu’en dépit de la notoriété croissante des placements en pierre-papier, le taux de détention par des particuliers (cinq à dix pour cent selon les pays) et les montants en jeu sont encore modestes.
Le poids de l’immobilier physique
Selon le Databook 2018 publié par l’institut de recherche du Credit Suisse, le poids des actifs non-financiers a augmenté en Europe de 2000 à 2018, passant de 51,1 à 55,4 pour cent du patrimoine moyen par adulte, en valeur brute. Au Luxembourg, la proportion a baissé (de 56 pour cent à 51,8), mais elle est restée stable en Allemagne (59 pour cent) et elle a beaucoup augmenté en France (de 53,8 à 60,8 pour cent) comme en Belgique (de 42,9 à 50,8 pour cent).
Une étude de la BCE parue en décembre 2016, intitulée The Household Finance and Consumption Survey (deuxième vague), qui s’appuie sur une méthodologie différente, permet de détailler le contenu des actifs réels :
– la résidence principale représente 60,2 pour cent des actifs réels, avec un taux de possession moyen de 61,2 pour cent. Il est très variable selon les pays : supérieur à 83 pour cent en Espagne et à 70 pour cent en Belgique, il n’est que de 44,3 pour cent en Allemagne. Le Luxembourg se trouve dans le haut de l’échelle avec 67,6 pour cent, soit dix points de plus qu’aux Pays-Bas et neuf de plus qu’en France.
– les autres actifs immobiliers (résidences secondaires, immobilier locatif, terrains) pèsent quant à eux 22,3 pour cent des actifs réels. Le taux de détention moyen en Europe est de 24,1 pour cent, soit près d’un ménage sur quatre.
– finalement l’immobilier physique représente donc 82,5 pour cent des actifs réels et 68 pour cent de l’ensemble du patrimoine. Au Luxembourg (chiffres 2014), l’immobilier « en direct » pèse même
91,5 pour cent des actifs réels et 77,5 pour cent du total !