« Loi relative aux fonds d'investissement alternatifs réservés » : rarement un projet au titre aussi anodin n’a suscité une telle excitation dans le petit monde de la gestion collective. Avant même que la loi ne soit votée, les Big Four et cabinet d’avocats ont lancé de vastes campagnes publicitaires et l’Association Luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi) a mis le projet à la une de ses « roadshows » aux États-Unis et à Londres. Pour une fois qu’une nouvelle législation n’est pas ressentie comme un fardeau mais comme une opportunité, cela vaut bien la peine de s’y arrêter un moment.
En 2009, le G20 déclare que les activités des fonds « hedge » sont l’une des causes majeures de la crise et qu’il faut donc les réglementer. En l’absence de définition claire, la Commission européenne décide de proposer une directive pour l’ensemble des fonds non couverts par la directive OPCVM (organismes de placements collectifs en valeurs mobilières ou en anglais Ucits), cette directive qui a fait et fait encore les beaux jours du Luxembourg avec une part de marché au-delà de trente pour cent en Europe.
La directive AIFMD (Alternative investment fund managers directive) est en vigueur depuis 2014 et couvre donc les fonds hedge, mais également les fonds immobiliers, d’infrastructure, de capital-risque et private equity … Or, et contrairement à la directive OPCVM, elle ne vise pas la surveillance du fonds lui-même mais plutôt celle de son gestionnaire. Il s’agit ici d’une réaction aux réclamations des producteurs de fonds qui s’étaient plaints pendant des années parce qu’ils voyaient mal pourquoi les banques avaient le droit de créer des produits d’épargne non réglementés alors que les fonds devaient obligatoirement être individuellement autorisés. Officiellement, la justification de cette nouvelle largesse (de ne pas requérir la supervision du fonds) résidait dans le fait que les fonds alternatifs sont réservés aux investisseurs institutionnels ou avertis qui sont censés savoir ce qu’ils font. Mais, soyons franc, il s’agissait également d’une tentative des grands pays européens (France Allemagne, UK, Italie) de rapatrier une partie d’une industrie qui avait eu de plus en plus tendance à se délocaliser vers l’Irlande et le Luxembourg.
Quoi qu’il en soit, l’AIFMD ne requiert pas que les fonds individuels soient approuvés par une autorité de surveillance nationale telle que la CSSF. Or, au Luxembourg, nous ne connaissons pas de structure « fonds » non supervisée de sorte que sur ce point notre législation est plus restrictive que ce que requiert le contexte européen.
Un tel « gold-plating » n’est en soi pas un problème tant que nos concurrents suivent la même voie. Or ceci risque de changer. En effet, lors de l’adoption de l’AIFMD, le législateur européen avait voulu interdire aux résidents européens d’investir dans des produits non-européens. Face aux reproches très agressifs de protectionnisme (surtout de la part des Américains) il avait finalement été convenu qu’après une période transitoire (qui aurait dû se terminer l’été dernier et a été reportée d’un an – donc à l’été 2016), des pays tiers aux exigences minimales équivalentes aux règles européennes pourraient bénéficier des mêmes privilèges et passeports que ceux accordés aux gestionnaires européens. Déjà, Guernesey, Jersey et la Suisse sont pratiquement assurés de faire partie de cette première vague de pays tiers autorisés, mais de nombreux autres pays sont à l’étude : Hongkong, Singapore, les États-Unis et avant tout les Bermudes, l’île de Man et les îles Cayman, ces dernières étant le leader actuel en termes de fonds alternatifs (surtout hedge) plus légèrement ou non supervisés. À moins que nous ne prenions les devants, nous risquons donc de nous retrouver dans une situation concurrentielle défavorable, ce qui engendrait une perte d’attractivité dans un secteur auquel on prédit un avenir radieux, alors que la Commission européenne met actuellement en œuvre « l’Union des Marchés de Capitaux » (Capital markets union – CMU) qui justement fait la part belle au secteur de la gestion collective face aux banques. Aussi, les instances européennes travaillent actuellement d’arrache-pied sur d’autres chantiers intéressants pour le Luxembourg : l’implémentation des fonds Eltifs (Long-term investment funds), la révision des fonds « venture capital » et d’entrepreneuriat social (Euveca et EUSEF), la titrisation…….. Saisir ces nouvelles opportunités va donc être primordial pour la survie et l’expansion de notre secteur, et le nouveau fonds d’investissement alternatif réservé (Fiar ou en anglais Raif) sera un outil de choix pour y arriver.
Pour les gestionnaires, la non-supervision de ce fonds a des avantages indubitables : une plus grande liberté de création et d’innovation, des coûts réduits (et donc potentiellement une performance accrue) et surtout un « time-to-market » (temps entre la création du fonds et sa commercialisation) fortement réduit : plus besoin d’attendre l’accord de la CSSF avant de lancer son produit.
Or si la CSSF a parfois eu du mal à autoriser certains fonds, c’est qu’elle se posait des questions légitimes quant à la valeur du produit, questions qui risquent de ne plus être posées dans le contexte du RAIF. Car s’il est vrai que le gestionnaire du fond doit, lui, être supervisé, l’AIFMD a introduit le passeport de la gestion ce qui fait que le gestionnaire d’un fonds Raif (donc non-supervisé) luxembourgeois peut très bien être établi dans n’importe quel autre pays de l’Union européenne. En l’absence d’emprise de la CSSF sur le fonds AIF luxembourgeois et son gestionnaire non-luxembourgeois, une responsabilité accrue de contrôler l’honorabilité et le sérieux d’un projet et de ses protagonistes reviendra à d’autres intervenants : les avocats et notaires qui créent les fonds, les auditeurs qui les révisent mais aussi et surtout les dépositaires qui eux devront obligatoirement continuer à être implantés au Luxembourg et sont le plus souvent des banques et dans tous les cas supervisés par la CSSF.
À un moment où nous nous préoccupons de « nation branding » et essayons de laisser derrière nous les effets néfastes pour notre image des « affaires » dites «Luxleaks » ou « Madoff », il n’est certainement pas anodin de réduire la voilure de la règlementation sur ce genre de produits. Même si, et il faut le rappeler, l’approche choisie est entièrement conforme non seulement au texte mais également à l’esprit de la directive européenne AIFMD.
Actuellement et selon les statistiques officielles de la fédération européenne des fonds Efama, le Luxembourg a une part de marché (fonds Ucits et fonds alternatifs) de plus de 25 pour cent en Europe, autant que les numéros deux et trois (Irlande et Allemagne) pris ensemble. Le but est donc de maintenir et même d’accroître notre part de marché sans pour autant brader la protection des investisseurs et notre excellent renom qui fait que le produit « made in Luxembourg » nous apporte une réputation d’excellence non seulement en Europe, mais aussi sur toutes les places financières du monde. Affaire à suivre….