Cela fait tableau. Les vitrines éclairées, et puis les livres qui ressemblent à des anges aux ailes déployées qui veillent. Pour la mort de Bergotte, et l’espoir de résurrection, étonnant (peut-être que non pour celui qui s’extasiait devant le petit pan de mur jaune) que Proust pour un écrivain ait recours à la peinture, n’ait pas simplement misé sur les lecteurs et une survie chaque fois que ses livrent passent de main en main.
L’œuvre de Michel Majerus n’est plus à découvrir. Tellement la fulgurance en avait immédiatement frappé les contemporains. Il y a de l’éclat dans cet œuvre, de la vivacité, la malheur a voulu qu’il y ait également la brièveté, un œuvre sur une dizaine d’années, guère plus. Plus besoin non plus de le détailler, de l’étudier en long et en large ; la chose s’est faite tout naturellement.
C’est que Michel Majerus appartient en bloc à son époque qui est celle de l’intrusion massive des images. De toutes sortes d’images, virtuelles et engendrées par les innovations techniques, bien réelles puisées dans le passé plus ou moins récent de l’histoire de l’art. Michel Majerus fut le plus talentueux des imagiers de la dernière décennie du vingtième siècle. En cela, il devint du coup comme l’analyste ou le commentateur perspicace de la peinture à un moment où on la disait volontiers morte. Il en célébrait un peu la résurrection, hors de l’effusion subjective, hors aussi de toute rigueur desséchante. Son œuvre, c’est un ballet virevoltant de figures, des inscriptions qui défilent incessamment.
Depuis l’accident mortel, en 2002, les expositions n’ont pas manqué. L’œuvre, en effet, s’avère toujours aussi percutant. Autre chose attire irrésistiblement les faiseurs d’expositions, les directeurs de musées. Dès l’abord, Michel Majerus a vu sa peinture, ses peintures, en relation étroite avec l’espace ; lui-même en a fait des installations, et le visiteur en est alors comme entouré. D’où l’attrait de chaque nouvelle exposition, dans un nouvel espace, qui fait voir l’œuvre autrement. Regard renouvelé, qui se laisse emporter par une sorte de maelström.
Michel Majerus en avait donné l’exemple, dès 1996, dans la Kunsthalle Basel, disposant sa foisonnante et irrespectueuse iconographie le long d’un parcours où l’on marchait sur un plancher métallique. Peter Pakesch, dans un Kunsthaus Graz on ne peut plus éloigné du « white cube », eut le contenant idéal pour récidiver en 2005. Ailleurs, il a fallu se faire à des présentations plus communes, comme au Mudam, en 2006.
1 L’exposition du Kunstmuseum Stuttgart se trouve aujourd’hui être baignée d’une aura particulière. De 1986 à 1992, Michel Majerus était à la Kunstakademie Stuttgart, notamment dans les classes des professeurs Sonderborg et Kosuth. Du premier, Heike-Karin Föll écrit de façon touchante : « … der einzige, der Phasen des äusserlichen Nichtstuns zumindest gelten liess… was er vermittelte, war vor allem eine produktionsästhetische Haltung, das war allerdings sehr viel. » Et Joseph Kosuth de renchérir : « Der Hochschule war ich ebenso wenig recht wie er. »
Quoi qu’il en soit, dans l’exposition l’on aime à remonter aux années d’apprentissage, d’expérimentation, avec telles sérigraphies d’après Dürer, les tout premiers emprunts aux bandes dessinées, telle amusante série de masques à tête de chien, pour le vernissage de Documenta IX, en 1992, où Michel et ses amis se glissaient de la sorte dans les salles occupées par leur professeur Kosuth. « Ich war also einerseits wütend, andererseits amüsiert (mit dem Geist der Sache konnte ich mich identifizieren), und am Ende setzte ich eine Maske auf und liess seinen Augenblick geschehen. »
On peut regretter que si l’on suit l’itinéraire proposé pour l’exposition, l’on arrive en dernier seulement à ces œuvres qui datent des années 1990. Après toute la richesse, l’opulence des grands formats : un peu comme si l’on terminait par les graines mises en terre pour les moissons futures. L’ordre inverse, de l’éclosion à l’épanouissement, aurait été plus signifiant.
2 Deux étages du Kunstmuseum, Untergeschoss und Erdgeschoss, avec une superficie à peu près égale au Mudam, sont consacrés à l’exposition Michel Majerus. Avec en bas un long cheminement, près d’une centaine de mètres, où est inscrit sur un mur : « One by which you go in one by which you go out », inscription sur laquelle viennent se greffer des toiles du MoM Block, entre autres face à face avec Warhol et Basquiat, alors que de l’autre côté s’ouvrent de grandes salles où se déploient avec aisance les tableaux de forte dimension, s’y donne à cœur joie leur entrain iconique.
En haut, accès à d’autres salles, comme sur des passerelles, ce qui permet de jolis coups d’œil, des confrontations intéressantes. Autre avantage du Kunstmuseum : à tels endroits, il s’ouvre vers l’extérieur, sur l’entrée d’abord et l’animation de la cafeteria, et ailleurs sur les gens qui marchent le long du cube de verre. Ainsi, The Starting Line, inscription en néon que Michel Majerus a vue un jour dans un magasin de sports, semble aller tout droit vers la vitre, et voitures ou passants. Cela convient, Michel Majerus ne prenait-il pas à pleines mains dans le monde où il vivait, jamais à court de matière ou de matériau.
3 Avant les fêtes de fin d’année, le Schlossplatz était occupé par des chalets, Noël et soi-disant ambiance festive obligent. Il était pourtant question d’y installer la rampe pour skaters que Michel Majerus avait conçue pour le Kunstverein Köln en 2000. Il semble que les pourparlers soient toujours en cours. C’était sa manière à lui, la plus pointue, de conjuguer art et vie, cette dernière dans son expression ludique.
Michel Majerus, on le sait, est originaire d’Esch-sur-Alzette ; pas de musée dans cette ville, pas de moyen donc de lui rendre hommage de la sorte. Mais cette rampe, si la ville veut prendre pour de bon allure jeune, estudiantine, ne serait-elle pas à sa place dans les nouveaux quartiers ? On construit beaucoup, l’architecture a le vent en poupe. Et il existe cette loi du « un pour cent », qui ne doit pas seulement aller à de la décoration. La rampe de Michel Majerus, cela aurait de la gueule ; elle porte d’ailleurs le titre suivant : If we are dead, so it is.