Vers la fin de l’année, dans les journaux, on aime à jouer au jeu de la sélection, quels livres, quels disques recommander aux lecteurs pour leurs achats. Dans les arts plastiques, la chose s’avère plus difficile, les achats ne sont pas aussi simples, et définitivement plus onéreux. Oublions le prétexte, et parlons d’une vidéo de Mircea Cantor que, de toute façon, on possède toujours une fois qu’on l’a vue. Elle doit faire une dizaine de minutes, ou un peu plus, et ses jeunes femmes, toutes de blanc vêtues, continueront à tourner dans votre tête. C’est peut-être de la sorte qu’il faut imaginer les vestales antiques, mais celles-ci sont résolument modernes, je veux dire qu’elles ne sont pas soumises à une quelconque conviction, une quelconque contrainte, à moins que jusque dans le titre, il ne soit question que de cela : Tracking Happiness.
Cette vidéo, si elle rend compte on ne peut mieux de la poésie qui est toujours présente chez Mircea Cantor, qui est sans doute l’un des deux moteurs de la démarche de cet artiste d’un peu plus de la trentaine, l’autre moteur, plus directement critique, et politique, s’efface ici devant une réflexion qui prend carrément allure philosophique. « Can someone really show you a direction to find happiness ? Il believe that happiness is only from you, you have to find it yourself… »
Et que cette quête, de quelque façon qu’elle se fasse, en rond ou en ligne droite, ne soit pas simple ni univoque, les images sont là pour l’imprimer dans notre esprit. Vous les avez vues, dans les villes d’Europe orientale, des vieilles femmes la plupart du temps, balayant les trottoirs et les rues, avec leurs balais de jadis. Elles sont jeunes, belles, d’une pureté blanche, à effacer les traces laissées dans le sable par celle qui précède. Des compagnes de Sisyphe, avec plus de finesse, avec du raffinement, dans un même travail qui n’en finit pas.
Mircea Cantor a fait de leur travail un rituel chorégraphique, il a fait d’elles des balayeuses du bonheur (pour le découvrir ou le recouvrir incessamment, on ne sait trop). On s’attache à leur démarche, on reste accroché à leurs jambes et leurs pieds nus dans le sable neigeux, et les balais volent jusqu’au moment où la ronde se rétrécit, devient imperceptible au regard. Les vidéos sont ainsi faites, la chasse au bonheur reprend, le regard n’arrive pas à s’en séparer.
À la dernière Fiac, où son galeriste parisien a montré son Monument for the End of the World, où lui-même a concouru avec des mouches pour la pêche faites de canettes de boisson redécoupées et dotées d’un hameçon, comme il l’avait fait déjà avec un avion, Mircea Cantor a eu le prix Marcel Duchamp. Ce qui fait qu’on peut d’ores et déjà se réjouir de l’exposition qu’il aura l’année prochaine au Centre Pompidou. Lui qui est disons à moitié Roumain, né en 1977 à Oradea, et à moitié Français (par adoption du moins), passé par les Beaux-Arts de Nantes. Lui qui se dit vivre et travailler « on Earth ». Sans illusion, j’en veux pour preuve cette autre phrase où il dit avoir décidé de ne pas sauver le monde. Ce qui rappelle l’opinion de Günther Uecker, négatif sur le pouvoir salvateur de l’art ; ce qu’il peut, c’est nous faire prendre conscience de sa vulnérabilité (parallèlement à la nôtre).