Le premier étage du Mudam présente jusqu’en mars prochain I’ve dreamt about, mise en espace par la commissaire Marie-Noëlle Farcy. L’exposition est divisée en trois parties, « naturellement » induites par la disposition des salles voulue par Ieoh Ming Pei. Contrairement donc au rez-de-chaussée du musée où se succèdent les expositions temporaires (actuellement l’excellente et ludique Mondes inventés, mondes habités), voici que se dévoile une nouvelle partie des collections maison.
On commencera cette description par la salle à laquelle on accède par l’escalier hélicoïdal depuis le « jardin des sculptures », à gauche de la fontaine à encre Many spoken words, de Su-Mei Tse. Au mur, les dessins au stylo Large Hadron Collider (2009) de Nicolay Polissky. Ils illustrent son installation du même nom créé pour le Grand hall du Mudam et visible désormais à l’extérieur, dans les douves. Les dessins, peut-être plus beaux encore que l’œuvre sur l’accélérateur de particules – contredisant sa rigueur scientifique par son aspect bricolé – dialoguent avec les expérimentations de l’architecte François Roche. Les maquettes I’ve heard about (modèles de sécrétion) (2005), explorent un nouveau potentiel d’habitat, fort éloigné de la rectitude du « chemin de grue » architectural habituel. Ces formes bien que théoriques, avoisinent la familiarité de l’organique et font penser à des poumons, à des parties de squelette (pour le monde animal et humain) ou à des coraux, voire des algues (le monde végétal et marin).
Les explorations du futur, fort éloignées donc de notre monde si cartésien, se poursuivent par l’installation Nusquam (2007) de Michel Paysant que l’on a déjà pu voir à l’espace du rez-de-chaussée devenu la boutique du Mudam. Ses « poussières d’océan » sont survolées par le très beau ballon atmosphérique 1MW/Air-Port-City (2007) de Tomas Saraceno. Le tour de salle se clôt par une sorte de « mantra » contemporain, encre sur papier de Chad McCail, Ourobouros (2002), une vision édénique imaginée en préfiguration d’un pavement pour le Mudam qui n’a pas été réalisé.
Dans cette première salle qui nous parle donc d’un « meilleur des mondes », on n’oubliera pas de prendre le temps de visionner le film de Philippe Pareno The boy from Mars (2003), dont l’expérience thaïlandaise, mixte entre un monde « glocal » et « global », renvoie à l’installation mécanique du même avec François Roche, Battery house (2002), des feuilles de bananier synthétiques… Cet étrange éventail est moins convaincant que Peradam (Project) (2007), un autre film, de Michel Paysant, où des pierres, collectées de deux situations en apparence extrêmement éloignées – le pont de Mitrovica et la place de la Bourse de Francfort – semblent respirer et envoient le visiteur dans une autre dimension, poétique.
La deuxième salle oscille entre l’Atlantide, ce continent improbable, qui selon la légende a mystérieusement disparu et l’inquiétant « Meilleur des mondes » prophétisé par Aldous Huxley. L’introduction se fait – « raccord » du parcours oblige peut-être – par la représentation quasi enfantine des lieux du savoir, scientifiques politiques, techniques et même magiques de Judith Walgenbach (Transplantation into History Locus Politicus, Neues Atlantis, Locus Atomisticus, toutes œuvres de 2008). Sur le même mode ludique mais beaucoup plus inquiétant quant à leur propos, suivent les six gouaches et textes sur papier Alien genital (1999) de Chad McCail. Son récit de l’enrôlement du « petit d’homme » jusqu’à former un parfait serviteur esclave – et performant – de l’ordre établi, forme une frise à un deuxième « mantra ».
Julien Grossmann propose une sorte d’illustration du « Surveiller et punir » du philosophe Michel Foucault avec If I had known (2010), sur le mode du labyrinthe contemporain. Cet achat du Mudam d’un jeune messin prometteur a pu être vue une première fois à Luxembourg à l’exposition Moving worlds – Roundabout II – Triennale jeune création. Enfin, les étranges forteresses volantes, entre arche de Noé et machine de guerre de Steven C. Harvey – le trait de crayon d’Harvey est quasi piranésien – Série Vehicles (2006-2007), illustrent bien la « confusion » de l’Occident entre interventions armées et humanitaires à visées de préservation de « son » ordre mondial.
Une « sous-salle » y est consacrée avec la maquette de carton suggérant une ville du désert (Proche-Orient ?, Afghanistan ?) de Michael Ashkin (2008). À moins que ce soient nos propres villes, désertées après un cataclysme financier par exemple ?
L’illustration de la fin d’un monde – celui des dictatures et en particulier de l’ancien bloc soviétique et asiatiques – se poursuit dans la troisième salle. Les Bilder der Stadt Vinh (2008) de Sven Johne et Lenin-art or Leniniana (1977-82) de Vyacheslav Akhunov fonctionnent sur le mode du journal intime et du redoutable classement d’archives (par exemple par la Stasi). Mais fallait-il terminer le parcours en assénant au visiteur des sentences aussi basiques que le Mao Dollar (2010) de Filip Markiewicz (vu à une foire d’art contemporain parisienne comme pièce provocatrice d’une galerie luxembourgeoise) ou le néon Nous sommes tous indésirables (2006) de Fernando Sanchez Castillo ? C’est un peu trop littéral quand, dans l’ensemble, cette nouvelle présentation des achats du Mudam, de Marie-Claude Beaud à Enrico Lunghi, montre qu’on peut l’avoir rêvée (I’ve dreamt about)…