Vite, positivons ! Mercredi soir, Patrick Goldschmidt (DP), échevin de la capitale en charge de l’informatique et des projets d’aménagement des bâtisses, a dû accourir à la rescousse de l’enthousiasme déclenché la veille par le Premier ministre Xavier Bettel (DP) dans sa déclaration sur l’état de la nation à la Chambre des députés et notamment les aides gouvernementales pour soutenir le domaine des start-ups et de l’innovation, aides financières par le biais du Digital Tech Fund et aides logistiques par l’installation d’un parc de start-ups dans l’ancien abattoir à Hollerich, à l’image du centre pour industries créatives 1535 à Differdange.
Silicon Valley à côté de l’entrée en ville et des lycées, une aubaine ? L’enthousiasme, pourtant, fut tempéré par le pragmatisme de la maire de la capitale, Lydie Polfer (DP), qui, vis-à-vis du PaperJam et du Land, expliqua que cette reconversion ne se ferait pas demain la veille, mais qu’elle ne pourrait être envisageable que d’ici quatre ou cinq ans, après le déménagement des services de la Ville encore installés sur le site, notamment celui des Sports, qui emménagera dans le nouveau stade, dont la construction ne sera terminée que vers 2019... Donc il faudrait prendre son mal en patience, mais la ville serait prête à discuter d’alternatives à plus court terme. Cette alternative, Patrick Goldschmidt s’empressa donc de l’annoncer sur les ondes de RTL Radio Lëtzebuerg : ce sera l’ancien commissariat de police de la rue Glesener, où plus de 3 000 mètres carrés sont immédiatement disponibles et qui, après que le projet d’y installer un foyer pour demandeurs de protection internationale ait échoué, pourrait être aménagé assez rapidement. Nyuko, jeune incubateur de start-ups, aurait déjà approché la ville dans ce sens, ajouta l’échevin libéral.
Il y a urgence de faire régner un esprit positif parce que le Luxembourg est à la traîne dans ce domaine. Bien que les membres du gouvernement, notamment Xavier Bettel, le ministre de l’Économie Etienne Schneider (LSAP) et sa secrétaire d’État Francine Closener (LSAP) communiquent beaucoup sur le sujet, promettent soutiens financiers et administratifs – comme encore samedi dernier, lors de l’ouverture de la Foire de printemps –, concours d’encouragement et programmes d’encadrement, le Luxembourg ne se retrouve pas dans les grands rankings internationaux, où se suivent toujours en tête la Silicon Valley, New York, Los Angeles ou Boston, et, parmi les villes européennes, Londres, Berlin, Paris ou Amsterdam. Or, on ne peut pas éternellement capitaliser sur l’expérience Skype.
Anti-morosité Martin Guérin est l’antidote au pessimisme. Nommé directeur de Nyuko en début d’année, ce manager français quadra dynamique est arrivé avec une solide expérience en entrepreneuriat et accompagnement de start-ups à Paris. « La génération Y me fascine, lance-t-il, parce qu’elle est super-dynamique, elle ose tout, elle est super-connectée et les infos viennent à elle toutes seules ». La remise en question permanente de ses certitudes et de son savoir serait devenu un de ses moteurs dans cet univers. Il reçoit route de Hollerich, en face de cette éternelle friche destinée à un réaménagement de tout ce quartier qui a un potentiel énorme, au rez-de-chaussée d’un bâtiment quelconque joliment aménagé en open space accueillant, haut en couleurs et en transparence. Sur les postes de travail ont pris place des locataires du coworking space, jeunes et moins jeunes (on aperçoit notamment Marco Houwen, pionnier du cloud computing et de Lu-Cix asbl, qui part prendre un café ou traverse l’espace en discutant sur son portable), souvent isolés du bruit ambiant en écoutant de la musique sur leurs casques. Inauguré il y a un an, Nyuko est né de la fusion entre son prédécesseur The Impactory, hub similaire installé avenue Grande-Duchesse Charlotte à Luxembourg, et de l’asbl Business Initiative, qui organise notamment les concours d’entrepreneuriat innovant 1, 2, 3 Go ! et 1, 2, 3 Go Social. Employant actuellement neuf personnes, Nyuko offre des programmes d’accompagnement pour start-ups (une trentaine de projets actuellement), du business mentoring (une quarantaine de contacts entre entrepreneurs confirmés et jeunes qui se lancent en cours), aide à la levée de fonds pour projets innovants et loue des espaces de coworking ainsi que des salles de réunion, que ce soit de manière régulière ou nomade (80 personnes sont actuellement inscrites). Lumineux et ouvert, Nyuko essaie de créer, sur ses quelque 300 mètres carrés, une ambiance propice à la créativité et à l’échange d’idées entre ses membres.
Le bon chemin « Lorsqu’on m’a appelé pour venir aider au développement de Nyuko, se souvient Martin Guérin, l’énergie de son initiateur Nicolas Buck (entrepreneur et actuel président de la Fedil, ndlr.), mais aussi le site et l’équipe m’ont fasciné. Le Luxembourg prend le bon chemin et je suis ravi d’y participer ». Il a vu le potentiel de développement du secteur de l’entrepreneuriat au Luxembourg, qui lui rappelait l’esprit pionnier qu’il a vécu à Paris il y a cinq ou dix ans. « Certes, le Luxembourg est en retard, mais il a les bons outils et de bonnes volontés ». Et il voit les avantages du pays à mettre en avant : son côté international, ses chemins courts (« si Skype s’est installé à Luxembourg à l’époque, c’était pour les chemins courts et la rapidité avec laquelle on lui venait en aide » estime Martin Guérin), ou encore le volontarisme du gouvernement. D’autres invoqueront le rôle que pourrait jouer l’Université du Luxembourg et les centres de recherche, en pleine expansion, le pays ouvert sur l’immigration, l’éducation et, surtout, les capacités de financement grâce à la place financière qui essaie constamment de se repositionner.
Il est vrai que les initiatives de soutien aux start-ups ne manquent pas, elles se démultiplient même, parfois de manière chaotique. Il y a l’acteur historique, le Technoport Schlassgoart, qui se vante d’avoir accompagné plus d’une centaine de sociétés innovantes, dont une cinquantaine ont atteint la maturité, et d’avoir trouvé plus de 68 millions d’euros de financements pour ces start-ups. Le réseau privé Innohub, groupement d’intérêt économique constitué de Mindforest, Inès Media et Exxus, officiellement inauguré la semaine dernière, accueille une vingtaine de start-ups, avec une trentaine d’emplois et un financement de neuf millions d’euros. Le Digital Tech Fund, société PPP en commandite par actions entre le gouvernement (cinq millions d’euros) et des investisseurs privés (quinze millions, dont trois de la SNCI), présenté il y a deux semaines par Etienne Schneider, investira dans des sociétés innovantes ayant au maximum sept ans d’existence, dans les domaines de la cybersécurité, des fintech du big data, de la digital health ou des communications. Paul Wurth vient de lancer un appel à projets pour son incubateur InCub, également à Hollerich, cherchant des start-ups dans les domaines des technologies environnementales en sidérurgie, technologies et concepts énergétiques ou industrie 4.0. Les projets sélectionnés pourront s’installer dans les locaux de l’entreprise et auront un support technologique et des conseils par les professionnels du Technoport, voire accès au réseau Paul Wurth, promet l’appel. Fit4Start, un autre programme du ministère de l’Économie, organisé avec Luxinnovation, sélectionne chaque année plusieurs très jeunes entreprises (moins de douze mois d’existence) sur projet et leur permet, grâce à des aides financières substantielles (50 000 euros par projet, auxquels le gouvernement ajoute encore une fois 100 000 euros si elles arrivent à en trouver elles-mêmes 50 000) et un coaching réalisé en collaboration avec le Technoport, de perfectionner leur idée et se lancer dans l’économie libre. Une centaine de projets ont participé au premier concours, dont 80 pour cent issus de la Grande Région. Cinq ont finalement été sélectionnés par un jury de professionnels début mars (Connected Rope, Evvos, Klap, Nomoko et Visual Scaffolding). Ces initiatives publiques font partie du projet de diversification économique Digital Lëtzebuerg.
Dix fois plus Des connaisseurs de la scène estiment à entre 50 et 80 le nombre de start-ups existant actuellement au Luxembourg, l’objectif avec des projets comme le Schluechthaus ou le commissariat de Police serait d’atteindre 500 entreprises, qui sont souvent des auto-entreprises. Le site internet spécialisé Silicon Luxembourg référence déjà aujourd’hui 117 start-ups à travers le pays, plus sept incubateurs, cinq espaces de coworking, dix investisseurs, un accélérateur et 28 datacenters – avec une forte concentration dans et autour de la capitale ainsi qu’à Esch-sur-Alzette. Les agences publiques (47) y jouent un rôle essentiel, tout comme les endroits pour se décontracter. Car la communauté des start-ups est très sensible à la présence de bars branchés avec wifi gratuit, de salles de concerts et de clubs où sortir le soir – le terreau fertile est une conjonction entre services publiques de soutien et offre privée spontanée qui encourage la branchitude. Il suffit de fréquenter les bars avec déco sympathique, barrista souriant et musique avenante pour y voir arriver les auto-entrepreneurs munis d’un laptop et des idées plein la tête. Le bureau, aujourd’hui, est mobile ; les grandes sociétés d’audit ont d’ailleurs copié le concept pour leurs nouveaux sièges.
« Aujourd’hui, on peut monter son site Internet en un rien de temps – et gratuitement en plus », s’enthousiasme Martin Guérin de Nuyko. Qui sait aussi qu’une présence en ligne, avec un site et une page Facebook est la clé d’une expansion internationale rapide à partir de n’importe quel endroit du monde. La situation géographique avantageuse du Luxembourg, au cœur de l’Europe, n’est donc plus un argument essentiel. Humblebee, une start-up installée à Nyuko, a ainsi réussi à s’établir, grâce à sa politique de marketing astucieuse qui visait rapidement une distribution par les grands groupes, comme Amazon Marketplace, en numéro deux mondial sur son segment : l’équipement de protection pour apiculteurs. Par contre, la « cross-fertilization » est un point important pour attirer les start-ups : la présence d’autres entrepreneurs et créatifs qui partagent leur savoir et leur réseau. Là encore, le 1535 à Differdange pourrait être un exemple : branché, vivant, financièrement accessible, mêlant artistes et sociétés de médias, restauration et production, cet « écosystème » fonctionne. Le gouvernement est d’ailleurs en train d’élaborer un projet de creative industries cluster.
Une nation de fonctionnaires Martin Guérin est un optimiste indéfectible, s’enthousiasme pour l’esprit d’entreprise, prône qu’il faut oser, ne pas avoir peur de l’échec, ne comprend pas qu’on puisse préférer la sécurité de l’emploi à cette excitation d’être son propre patron, avec toute la liberté et toute la prise de risque que cela implique. Ne sait-il pas que le Luxembourgeois moyen rêve dès le lycée d’un emploi dans le secteur protégé de la fonction publique, où il pourra calculer à 25 ans le montant de sa retraite dans quarante ans ? « Il faut capitaliser sur les bons côtés du système, juge-t-il, imperturbable. Moi, j’y vois que les Luxembourgeois sont pragmatiques ». Il imagine alors l’introduction d’un congé « création d’entreprise » sans solde, à l’image du modèle français, durant lequel un fonctionnaire verrait son poste garanti et pourrait s’essayer entrepreneur. Si son idée de projet marche, il se lance ; sinon, il pourra retourner à son poste initial. L’adaptation, l’agilité sont, à ses yeux, des qualités essentielles dans le domaine des start-ups : essayer une voie et, si ça ne marche pas, si le client demande autre chose, se réorienter par rapport à cette nouvelle demande. L’adaptabilité de la législation devrait alors suivre, par exemple de celle sur le travail, tout comme la simplification administrative. « Ce qui est essentiel, dit-il, c’est de toujours arriver à surmonter les problèmes et les transformer en opportunités ».