Finies les éternelles vacances d’été et les heures somnolentes en salle de classe ; bonjour monde du travail et journées de quarante heures. Pour un adolescent de quinze ans, voilà ce qui ne sonne pas exactement comme une proposition intéressante. Pourtant, le « modèle dual », où l’élève passe la moitié de son temps à l’école et l’autre à l’entreprise, est revenu à la mode. Après la « société de la connaissance », voici revenir le temps des apprentis. Il a fallu pour cela le choc de la crise économique et la résurgence du « modèle allemand ». L’Allemagne et la Suisse comptent une soixantaine d’apprentis sur cent élèves : Des ingénieurs électriques aux bouchers, en passant par les opticiens et les dessinateurs en bâtiment. Ce sont les pays qui s’en sont les mieux sortis de la crise et où le chômage des jeunes est relativement peu élevé. Ce sont également les pays où l’apprentissage n’est pas entaché d’une mauvaise réputation. Historiquement, c’étaient enfin des pays sans colonies (comme l’Allemagne) ou disposant de peu de ressources naturelles (comme la Suisse). À l’inverse, un pays comme la France a toujours tenté de garder ses élèves le plus longtemps possible dans les bancs de l’école. Par tradition républicaine d’abord : le citoyen se crée dans l’école publique.
Au Luxembourg, les responsables au ministère de l’Éducation nationale (MEN) et les porte-paroles des organisations patronales ne tarissent pas d’éloges pour le principe de l’apprentissage. Or, dans la pratique, celui-ci reste largement déconsidéré. Le discours public dominant s’y intéresse peu, les « leaders d’opinion » confondant leur propre parcours scolaire avec la « normalité ». Pourtant, environ un tiers des élèves de l’enseignement secondaire technique sont inscrits en formation professionnelle, cela fait, en tout, 4 400 apprentis. Ils gagnent environ 500 euros par mois en indemnités en première et environ mille euros en dernière année.
Le MEN injecte à petites doses de nouvelles formations, comme celle du mécanicien d’avions, qui sera suivi en 2016 par une 13e commerce et gestion et une 10e technicien en logistique. Antonio De Carolis, directeur du service de la formation professionnelle au MEN, explique que la demande des entreprises surpasse souvent l’offre fournie par l’école. Ainsi, cette année, de nombreux élèves se sont orientés vers la coiffure, alors que d’autres secteurs, comme celui du bâtiment, restent demandeurs. Pour De Carolis, la question se pose en termes d’image et d’orientation, « car, aujourd’hui, la clé pour la sécurité de l’emploi, c’est l’apprentissage. »
Sur ces dernières vingt ans, les entreprises industrielles ont fermé une à une leurs dernières Léierbuden (Goodyear, CFL et Arcelor Mittal) dont elles n’étaient plus intéressées à financer le coût (voir d’Land du 8 novembre 2013). Les apprentis passent aujourd’hui majoritairement par des PME. Alors que des conseillers à l’apprentissage sont chargés de garder un œil sur les conditions de travail des adolescents, les cas d’abus continuent d’exister, même s’ils restent l’exception. Particulièrement dans le commerce et dans l’horeca, les apprentis sont souvent traités en variable d’ajustement et en force de travail bon marché.
Il y a un décalage biographique : Alors que les jeunes de l’enseignement « classique » décident à 19 ans vers quel spécialisation, voire université, s’orienter, entrant souvent sur le marché professionnel à la mi-vingtaine, les apprentis y sont projetés dès leurs quinze-seize ans. Un choix précoce qui peut s’avérer prématuré. Les premiers peuvent « laisser toutes leurs options ouvertes », les seconds doivent décider très tôt de leur « projet de vie ». C’est une des raisons qui expliquent le haut nombre d’échecs d’apprentissages. Car comment savoir si, à 17 ans, on n’en aura pas marre du job dont on avait rêvé à ses quinze ans ? Et puis les jeunes se rendent rapidement compte que les conditions de travail ne sont pas toujours des plus attractives. Enfin, fermer a priori la possibilité d’une carrière académique participe à un sentiment de fatalité. Le système de l’apprentissage peut apparaître autant comme une garantie d’emploi, que comme une route à voie unique, sans issue sociale.
Comme souvent dans l’enseignement luxembourgeois, ce sont les langues auxquelles reviennent le rôle de critère de sélection. Le Diplôme d’aptitude professionnelle (DAP) est réservé aux élèves qui ont plus de facilités à s’exprimer par l’écrit, tandis que le Certificat de capacité professionnelle (CCP) recueille ceux qui n’ont pas le niveau en écrit. Or chaque cuisiner ne finira pas par écrire un livre de cuisine. Les défis du monde du travail sont souvent d’autre nature : trouver un modus vivendi et gérer les rapports sociaux avec le patron, les petits-chefs et les collègues. Ces compétences sont difficilement mesurables par les notes obtenues à l’école.
« L’école est souvent un échec, or, nous devons faire avec », dit le directeur de la Fédération des artisans, Romain Schmit. La FDA se prépare à lancer un vaste programme de formation pour ceux qui ont quitté l’école sans qualifications. Or les modules dans le domaine du parachèvement (isolation, chauffage, installations électriques, peinture etc.) que la FDA proposera ne conduiront pas automatiquement à un diplôme (et donc à une hausse du salaire). Au salarié de soumettre leurs mini-modules accumulés dans l’espoir de les voir, un jour, transformés, via une validation d’acquis de l’expérience, en diplôme. Romain Schmit se dit peu intéressé par une collaboration financière ou institutionnelle avec le MEN. Dès 2017, il veut lever les cotisations auprès des membres : « Nous voulons avancer, pas attendre dix ans ».