Sur le front de l’emploi, les nouvelles ne sont pas bonnes. Dans l’UE à 27 (sans le nouveau venu, la Croatie) le taux de chômage atteint 10,8 pour cent de la population active, en légère augmentation par rapport à 2012, et de moitié plus élevé qu’en 2008, touchant désormais 26,3 millions de personnes. Dans la seule zone euro (à 17, sans la Lettonie), il est même au niveau record de 12,1 pour cent Le chômage des jeunes est particulièrement préoccupant : 23,6 pour cent des moins de 25 ans sont à la recherche d’un emploi dans les Etats membres de l’UE, soit 5,7 millions de personnes.
Naturellement il existe des différences considérablesd’un pays à l’autre : l’écart est presque de 1 à 6 entre l’Autriche (4,8 pour cent) et l’Espagne (26,7 pour cent), une disparité qui vaut aussi pour le chômage des jeunes, avec des pays plutôt protégés comme l’Allemagne (7,5 pour cent) et d’autres où les taux dépassent les cinquante pour cent (Espagne, Grèce, Croatie) une situation bien pire que celle de la Grande Dépression des années trente.
Mais le constat est le même partout : soit le chômage continue à augmenter, parfois de façon brutale comme au Luxembourg (plus quinze pour cent en un an) soit il ne diminue que faiblement et reste à des niveaux élevés. Même aux États-Unis, le taux de chômage ne doit son retour au niveau d’avant-crise (6,7 pour cent) qu’à un effet statistique : l’abandon des recherches par quelque 900 000 chômeurs de longue durée découragés, qui ne sont plus comptabilisés dans la population active.
Une situation qui n’est guère étonnante compte tenu de l’atonie économique : dans la zone euro par exemple, après une diminution du PIB de 0,4 pour cent en 2013, la prévision de la BCE n’est que de + 1,1 pour cent pour 2014 et guère plus pour 2015, une croissance très insuffisante pour relancer l’emploi. En France, on estime qu’il faudrait une progression du PIB d’au moins 1,5 pour cent pour faire diminuer le chômage : or en 2014 elle ne devrait être que de 0,5 pour cent !
Le problème est qu’une reprise plus soutenue, fort hypothétique, laisserait subsister un nombre quasi-incompressible de demandeurs d’emploi, ce que les économistes appellent le « chômage structurel ». Ainsi selon certains calculs, l’Italie et l’Espagne ne peuvent espérer mieux après la crise que des taux de chômage de 11,4 pour cent et 16,8 pour cent. Pis, ce chômage structurel aurait tendance à augmenter : en France, où il était évalué à 7,4 pour cent mi-2008, il serait désormais de 9,2 pour cent, soit 1,8 points de plus. En cinq ans, il aurait crû de 1,2 points en Allemagne, 5,4 points en Italie et 8,8 points en Espagne.
L’explication la plus répandue de cette inquiétante situation renvoie aux rigidités du marché de l’emploi dans certains pays, notamment la difficulté à embaucher et surtout à licencier, et au coût trop élevé du travail, du fait des charges sociales et fiscales. Une couverture trop généreuse du chômage est également mise en cause. D’où des appels tout à fait officiels, de la Commission européenne par exemple, à de profondes réformes du marché du travail dans le sens d’une plus grande flexibilité, tout en mobilisant parallèlement des moyens importants pour mieux orienter et former les chômeurs.
La seconde, moins souvent évoquée bien que l’Organisation internationale du travail (OIT) y ait consacré un rapport en 2012, est l’inadéquation des compétences aux emplois créés par des économies en perpétuel changement.
Elle est pourtant très convaincante car elle éclaire un phénomène bien connu : celui de la coexistence entre un chômage de masse et une énorme quantité d’offres d’emploi non satisfaites.
En France, où l’on compte actuellement près de 3,3 millions de chômeurs, on a calculé que 400 000 tentatives de recrutement sont abandonnées chaque année faute de candidats. Au niveau européen, selon une étude de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) en novembre 2013, quarante pour cent des entreprises font état de difficultés de recrutement, une proportion en hausse régulière (elle était de 35 pour cent en 2005). Elles portent sur des niveaux et des métiers très différents, allant des ouvriers qualifiés dans l’industrie mécanique aux ingénieurs en informatique, en passant par les graphistes, les techniciens de maintenance, les commerciaux et les personnels de santé. Le problème est particulièrement aigu dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, où, selon la Commission européenne, il existerait 900 000 emplois vacants ! Reste à connaître les causes de cette inadéquation pour être en mesure d’y remédier.
De nombreux experts déplorent que les étudiants de l’enseignement supérieur s’engagent dans des formations qui ne correspondent pas aux besoins de l’économie. Les chiffres ne leur donnent pas tort : en France, près d’un tiers des quelque 1,4 millions d’étudiants inscrits à l’Université le sont dans des filières littéraires et de sciences humaines à faibles débouchés. De même, environ 36 pour cent des étudiants de l’Université de Luxembourg sont-ils inscrits à la Faculté des Lettres, des Sciences humaines, des Arts et des Sciences de l’éducation. Il faudrait ajouter que l’Université est victime d’un grave phénomène de « décrochage » : toujours en France, moins de la moitié des étudiants inscrits réussissent leur première année, et la grande majorité de ceux qui échouent quittent l’Université sans autre diplôme que le bac.
Mais ce serait oublier que le problème ne se limite pas à l’inadaptation des formations universitaires, qui ne concernent qu’une minorité de la population : dans l’UE la proportion de diplômés du supérieur se situe entre 18 et 34 pour cent selon les tranches d’âge (de 25 à 46 pour cent au Luxembourg).
Parmi les autres, très nombreux sont ceux qui ne possèdent ni qualification particulière ni même de connaissances basiques. En France, 18 pour cent des jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. 28 pour cent de la population adulte ne possède aucun diplôme, et les enquêtes montrent que seize pour cent des gens rencontrent des difficultés dans le domaine de l’écrit et autant ont des performances médiocres en calcul. Plus grave, sept pour cent des adultes de 18 à 65 ans sont illettrés, soit 2,5 millions de personnes (en Allemagne elles seraient au nombre de 4 millions au minimum).
Pour faire bonne mesure, il faudrait ajouter que des personnes qualifiées restées trop longtemps sans travail voient leurs compétences devenir obsolètes, ce qui affecte leur « employabilité ».
L’insuffisance et l’inadaptation des qualifications par rapport aux emplois offerts génèrent un énorme gâchis. La Commission européenne a attiré l’attention sur les « coûts économiques et sociaux importants » tandis que l’OIT estime que le phénomène risque d’accroître le chômage à long terme et de réduire l’efficacité des politiques de stimulation de la croissance.
Parmi les objectifs clés de la Stratégie Europe 2020 de la Commission européenne figurent la réduction à moins de dix pour cent du taux de « décrochage scolaire », aujourd’hui de 13,5 pour cent, ainsi que l’augmentation à quarante pour cent du taux de diplômés de l’enseignement supérieur chez les 30–34 (contre 34,6 pour cent actuellement). L’OIT a fourni des recommandations pour que les formations soient davantage orientées sur l’acquisition de compétences pour l’emploi, ce qui suppose une refonte en profondeur des cursus du secondaire et du supérieur. Mais certaines solutions proposées, comme le développement de l’apprentissage, qui a fait le succès de l’Allemagne, impliquent une véritable « révolution culturelle » des entreprises, du monde enseignant, des élèves ou étudiants et de leurs parents.
Il faut aussi réformer la formation permanente, plus que jamais indispensable pour assurer tout au long de la vie une adaptation continue des compétences aux emplois. Bien que des sommes considérables y soient consacrées, on s’est aperçu qu’elle était globalement peu efficace, étant trop orientée sur la satisfaction des besoins à court terme des salariés et de leurs employeurs, et profitant trop à ceux qui sont déjà diplômés au détriment des chômeurs et des moins qualifiés.
Malheureusement, la plupart de ces politiques et de ces mesures ne produisent leurs effets que sur le long terme (il faut plusieurs années pour former de nouveaux diplômés) et n’auront dans l’immédiat qu’un effet négligeable sur les chiffres du chômage.