Tout le secteur social est actuellement en ébullition après le lancement de la réforme de l’aide sociale le 1er janvier et la réorientation de l’aide à l’enfance et à la famille avec la création de l’office national de l’enfance (ONE) – il avait été annoncé pour le début de l’année mais aura encore quelques mois de retard. De l’autre côté, la réorganisation de l’enseignement fondamental a aussi ses répercussions sur le mode de prise en charge des enfants suite à l’instauration et le réagencement des équipes multiprofessionnelles et médico-socio-scolaires au sein des institutions scolaires.
La médecine scolaire est placée aux intersections de ces domaines et présente l’énorme avantage que le personnel en charge (médecins, assistantes sociales, psychologues, pédagogues curatifs, infirmières) voit défiler tous les enfants dans ses bureaux, permettant des entrevues systématiques avec les parents et, en principe, le dépistage précoce de maladies, handicaps, d’éventuels mauvais traitements ou délaissements. La médecine scolaire effectue une série de tests : prise du poids et de la taille, calcul du body-mass-index, l’analyse des urines, le contrôle de la vision, des vaccinations, des examens dentaires. Les déficiences sont signalées par courrier aux parents qui devront donner une suite à ces observations et justifier une visite médicale. S’ils ne réagissent pas, ils seront contactés par les services sociaux.
La médecine scolaire connaît une longue évolution, notamment sur le territoire de la Ville de Luxembourg, où Louise Welter, première femme-médecin au grand-duché, fut chargée en 1926 de l’organisation de la médecine scolaire. Au niveau national, la Ligue luxembourgeoise contre la tuberculose – aujourd’hui Ligue luxembourgeoise de prévention et d’action médico-sociales – était active dans ce domaine-là. Or, la médecine scolaire avait du mal à s’imposer, surtout dans les mentalités, se souvient le docteur Christiane Zettinger, cheffe de service pédago-psycho-socio-médical depuis trente ans qui s’occupe d’environ 5 000 enfants inscrits dans les écoles de la capitale. « Ni les confrères, ni les enseignants ne nous prenaient vraiment au sérieux. Nous étions à part et les consultations étaient perçues par beaucoup d’enseignants comme une corvée pénible. À chaque fois que nous avons proposé quelque chose dans le domaine de la prévention par exemple, nous avons toujours été tributaires de la bonne volonté des enseignants. C’est heureusement en train de changer. » L’obligation de se déplacer jusqu’à la rue du commerce, dans le quartier de la gare avec leurs classes, était considérée comme une pure perte de temps – elle doit toujours l’être par certains. « Nous avons parfois été traités de tous les noms, on nous a reproché de rester inactifs alors que beaucoup de problèmes auraient pu être résolus rien qu’en parlant avec les collègues enseignants, raconte Christiane Zettinger. C’est d’ailleurs un des points forts de la réforme scolaire : les équipes d’enseignants sont maintenant obligées de communiquer et celles qui avaient déjà développé une culture de discussion se retrouvent encouragées à poursuivre sur cette voie-là. »
Il est vrai que les examens médicaux pourraient être nuancés et adaptés selon les quartiers de la Ville, où les problématiques sont parfois spécifiques selon la population résidente. C’est une des discussions qui est actuellement menée au sein du service pédago-psycho-socio-médical (PPSM), précise le gestionnaire Luc Federspiel, dont le projet de service a récemment été approuvé par le conseil communal. Il se réjouit d’ailleurs du nouveau rapport de force entre son service et les enseignants. « Avec la nouvelle loi scolaire, l’intérêt de l’enfant se retrouve au centre de l’attention, précise-t-il, ce ne sont plus uniquement les enseignants qui arrivent à s’imposer. Maintenant qu’ils sont obligés de discuter entre eux, ils arrêteront de prendre le service PPSM pour une poubelle et de considérer que nous devons arriver à chaque fois qu’ils nous appellent. »
Même si les examens médicaux et les projets ont été adaptés au cours des dernières décennies – la lutte contre la tuberculose et les déficiences nutritionnelles a par exemple fait place au combat contre l’obésité, le diabète et la malnutrition – le vieux dicton « d’Lais danzen op deene schéinste Käpp », qui signifie que les problèmes de négligences ne sont pas uniquement liés au statut social des familles concernées, reste toujours d’actualité selon Christiane Zettinger. « Même si les consultations peuvent paraître sommaires, nous avons développé une routine qui permet de déceler certains malaises, des troubles comportementaux par exemple. Parfois des petits détails suffisent pour voir derrière les façades, ajoute-t-elle. C’est la raison pour laquelle les élèves en préscolaire se font accompagner par leurs parents pour la première visite et à la fin des examens médicaux, nous prenons le temps de discuter de l’enfant, ce qui me permet de voir les interactions et les relations entre parents et enfants. »
Quelles sont donc les relations entre parents et enfants, après les changements énormes au sein des familles ces dernières décennies ? La docteure a pu suivre cette transformation pendant toute une génération et se trouve donc aux premières loges. Son verdict est clair et net : les parents sont meilleurs que leur réputation. « La plupart des parents souhaitent construire un lien fort avec leurs enfants, mais ils sont souvent désorientés à cause de nombreux facteurs externes. Les uns veulent offrir le plus d’activités possibles à leurs enfants et en font trop ou juste de manière superficielle. S’y ajoute une manière de consommer qui n’est pas toujours à l’avantage de leur enfant. Un autre problème concerne les ménages monoparentaux qui sont souvent dépassés et qui nécessiteraient un support individuel. » Là où la docteure au tempérament agréable et patient arrive à perdre sa contenance, c’est quand elle entend fuser les critiques sur les mauvais parents. « Quand on voit ce que ces parents ont à endurer et les tâches qu’ils doivent maîtriser tous les jours, on a envie de jeter le même défi à ceux qui les critiquent. Moi, je suis persuadée que tous les parents ont des ressources qu’il faut développer, mais il est clair que certains d’entre eux manquent d’assurance et de savoir-faire basique. » Il ne faut pas se leurrer, dit-elle, car « malgré l’amélioration des conditions matérielles de la population, le nombre d’enfants qui grandissent dans un environnement défavorable et précaire ou une structure familiale fragile est en augmentation manifeste ».
Depuis 2004, une équipe composée des principaux acteurs de la médecine scolaire planche sur une réforme de la loi de 1987. Il s’agit d’adapter les examens médicaux, d’informatiser les dossiers, de promouvoir l’éducation à la santé. D’autres discussions sont en cours sur des problèmes très concrets comme le droit ou même l’obligation du personnel enseignant et éducatifs d’administrer des médicaments aux enfants qui sont de plus en plus touchés par des maladies chroniques comme l’asthme, les allergies, le diabète, les épilepsies. La question est réglée de façon pragmatique, mais la question de la responsabilité se pose de façon aigue, surtout après le jugement Luca, où des membres du personnel ont été jugés responsables de négligences qui ont provoqué la mort de l’enfant dans la maison relais de Steinsel. Qu’arrivera-t-il à l’enseignant qui aura mal réagi à une crise d’hypoglycémie par exemple et dont les conséquences auront été fatales ? Le personnel se trouve dans le vide juridique total et il est clair qu’il s’agit d’une question politique qui devra être résolue au plus vite.
Un autre sujet concerne les placements d’enfants dans des institutions étrangères. Un sujet qui préoccupe d’ailleurs aussi l’Ombudscomité pour les droits de l’enfant.
Dans l’intervalle, les services de la médecine scolaire continueront leurs dépistages systématiques. Le bon côté des choses est qu’ils ne sont pas uniquement confrontés à des cas difficiles. Car somme toute, beaucoup d’enfants sont en forme et à l’aise dans leurs baskets.