« La parité n’est plus un sujet ». Dans son discours de clôture de la sixième édition du festival Reset, Ainhoa Achutegui, directrice de Neimënster, tient à mettre les choses au clair. Oui, le concept du festival qui consiste à faire cohabiter une semaine durant quatre musiciennes avec quatre musiciens, venus de pays différents, est ambitieux, moderne et va dans le bon sens. Mais non, il n’est plus nécessaire d’en faire des tonnes à ce sujet. Le public autochtone a compris que le jazz n’est pas une musique genrée. On s’en félicite encore, évidemment. Il s’agit maintenant de passer à autre chose et de prendre cet événement comme ce qu’il est. L’occasion de découvrir trois soirs durant et dans une disposition éphémère, des artistes que tout oppose. Cette année, le casting se compose de la saxophoniste russe Olga Amelchenko, du trompettiste belge Laurent Blondiau (remplaçant en catastrophe le trompettiste italien Luca Aquino), du contrebassiste portugais Nelson Cascais, du batteur allemand Jens Düppe, de la clarinettiste française Christine Roch, de la chanteuse et vocaliste turque Cansu Tanrikulu et de la pianiste belge Margaux Vranken.
Retour en arrière, jeudi soir, le déjà traditionnel jazz crawl est lancé par le duo russo-belge de Olga Amelchenko et Margaux Vranken. La salle Godchaux est pleine et les musiciennes sont assorties. Les premières minutes sont quelque peu laborieuses. La saxophoniste et la pianiste semblent jouer leur propre musique sans se jauger réciproquement. Sur Wedding (Berlin), composition de la saxophoniste, le duo trouve son équilibre. Cette harmonie se matérialise par un sourire radieux de la pianiste qui observe sa camarade avec bienveillance et qui s’adapte à son rythme. Aucun coup d’éclat ici mais une entrée en matière délicate. Changement d’ambiance au Melusina pour un set de free jazz pur mené tambour battant par Christine Roch, Jens Düppe et Cansu Tanrikulu. On pressent que la forte personnalité vocale de cette dernière laissera sa marque au sein de la cuvée 2023. La soirée se prolonge au Luca (Luxembourg Center for Architecture).
Le lendemain, place est faite aux performances en solo dans le cloître Lucien Wercollier. Une petite scène a été installée entre deux ailes qui accueillent un public venu en nombre et divisé en deux. Chaque aile offrant une perspective et une acoustique différente. Christine Roch (surnommée malicieusement Chris Rock par ses camarades) se dirige lentement vers la scène au rythme des tintements des grelots qu’elle porte au pied. Greg Lamy interprète superbement Morphine, une de ses meilleures compositions. Blondiau dépose ses sourdines sur un pupitre métallique et en fait un instrument à part entière. Le musicien joue avec l’espace et tangue de gauche à droite, imitant des crissements de pneus puis un carambolage vers une aile. Puis, il propose des envolées plus swings puis mélancoliques vers une autre. Son sens du comique a une certaine élégance que seule la trompette sait apporter. Nelson Cascais offre une parenthèse profonde et sensible. Les applaudissements sont nourris. Jens Düppe, force tranquille, décide de ne faire aucune démonstration de force. Il récite un poème cryptique sur son instrument et divise.
Entre chaque set, le temps de la mise en place, Pascal Schumacher, curateur du festival, interviewe les musiciens. Cansu Tanrikulu parle de la ville de Luxembourg d’une manière inspirante, elle retient son aspect vertical. Depuis l’abbaye il suffit de lever les yeux vers la Ville Haute pour y entrevoir un nouvel horizon. En somme, elle évoque une ville qui pousse vers le haut, à se dépasser donc. Et de fait, les artistes ne se moquent pas de l’audience. La vocaliste interprète une pièce riche. Elle continue de chanter lorsque Margaux Vranken se met au clavier et disparaît au fond d’une aile en lançant un dernier rire glaçant. Olga Amelchenko expose cette fois-ci toutes les palettes de son jeu, plus complet qu’attendu.
Le lendemain, la salle Robert Krieps est bondée pour la clôture du festival. Laurent Blondiau dirige la troupe avec un langage gestuel quasi militaire. Il joue parfois de deux instruments à la fois, un peu comme s’il mitraillait l’audience avec ses deux armes de paix. Jens Düppe continue de se contenir. Greg Lamy sait s’adapter et semble prendre un plaisir fou lorsque la troupe s’emballe dans des envolées free, pourtant éloignées de son jeu fluide et rond. La cohésion du groupe est évidente. On craignait que la vocaliste ne dévore la scène et ses camarades, mais elle sait finalement se mettre en retrait et accompagner élégamment les inspirations individuelles. Sur scène, on se tire vers le haut, le public, lui, se vide de haut en bas. Un cinquième de l’audience quitte la salle avant le rappel. La formation divise et c’est tant mieux. En partant, on débat et on se donne rendez-vous pour l’an prochain.