Dans un futur proche où des entrelacs d’intelligences artificielles seront dédiées à faire notre bonheur sur terre (et où certaines d’entre elles font déjà, de notre part, l’objet de massives utilisations), le monde imaginé par Cécil B. Evans offre une plongée paradoxale. L’artiste belgo-américaine invite dans l’exposition Amos’ World, actuellement visible au Frac Lorraine à Metz, le spectateur à un partage de l’équilibre communautaire et utopique. Revue de détail de l’univers de Cécil B. Evans.
L’utopie Entrons de plein pied au sein de l’utopie proposée par Amos’ World, un architecte qui a imaginé un grand ensemble à visée progressiste. Cécil B. Evans propose rien moins au spectateur que de devenir acteur-résident de cet immeuble, au même titre que les autres locataires de l’histoire : la secrétaire, les Nargis, Gloria, Elle/La mère, la voyageuse du temps, le concierge et une voiture automatique. Au commencement de cette nouvelle utopie et réunissant tous les personnages-locataires se trouve un fameux grand ensemble.
Le grand ensemble Le bâtiment d’Amos s’inspire de ces grands ensembles construits dans l’après-guerre à travers l’Europe. On pense à Le Corbusier et à son désir de « Cité radieuse » devenue aujourd’hui réalité à Briey, à cette idée de proposer une parcelle de bonheur en kit à l’instar de l’intelligence artificielle, s’arrogeant le droit d’investiguer au besoin des espaces très personnels. Cette intimité dépliée est aussi celle que propose l’œuvre de Cécil B. Evans. On y suit un capitalisme construit au travers du maître des lieux, Amos, qui souhaite articuler espaces individuels et communs, mais à qui l’histoire et ses locataires échappent.
Les locataires Sous-produits de l’idéologie brutaliste, ces grands ensembles veulent produire des espaces privés idéalement articulés aux espaces communs, proposant une harmonie et une concordance parfaite entre l’architecture, l’homme et la nature. Ces structures exploitent au maximum les ressources disponibles, faites pour loger de nombreuses personnes en un même lieu et maîtrisant les espaces de loisirs. Mais les locataires se rebiffent. On est aux premières loges du spectacle, dans une espèce de cabine imaginée par l’artiste. On est bien à hauteur des personnages de cette série d’un genre nouveau.
La série Dans cette série en trois épisodes, les péripéties d’acteurs, actrices et personnages animés grâce à des techniques analogues et digitales s’enchaînent. Cécil B. Evans se plaît à déjouer les codes de ces fictions animées à la stéréotypie généralement appuyée. Si elle s’empare de certains de ces clichés, elle saisit leur potentiel identificatoire afin de le déplacer comme pour Amos, archétype de l’homme blanc arrogant. Le bâtiment qu’il a imaginé se révèle être en inadéquation avec l’idéal qu’il souhaitait mettre en œuvre. Les besoins physiques et émotionnels des habitants entrent en conflit avec les comportements prévus par l’architecte pour les utilisateurs de l’histoire. On plonge dans leur intériorité tourmentée et leur attente.
L’attente Les épisodes 2 et 3 vont pousser les locataires à changer leur mode d’existence en raison d’une insatisfaction. Ils vont essayer de trouver ensemble une solution. Le monde d’Amos s’effondre et, à travers lui, la métaphore d’un capitalisme triomphant, ignorant des souffrances engendrées par un contrôle permanent. Alors qu’au sein de l’épisode 2, l’un des personnages de la série est filmé par quatre écrans comme autant de caméras conditionnant son existence, son image disparaît progressivement des différents écrans. Elle échappe ainsi à une surveillance généralisée. Elle reprend vie hors de la pulsion scopique, dans un champ que l’imagination du spectateur supplée.
L’espace Amos’ World convie à inventorier cet espace laissé vacant. Le bâtiment d’Amos est démantelé. Les contacts entre les locataires deviennent alors plus fréquents, instituant de nouvelles relations détachées d’un vivre-ensemble pensé et construit par le capitalisme. L’épisode 3 est projeté dans une structure ouverte. Les spectateurs sont assis dans le même espace que les personnages, acteurs de l’allégorie à laquelle Cécil B. Evans les convie. Une expérience à habiter, résolument.