Suite des auditions des futurs commissaires

Guerre politique entre droite et gauche

d'Lëtzebuerger Land du 21.01.2010

Depuis une semaine, le Parlement européen fait passer leur grand oral aux futurs commissaires. Et la tension est grande dans ce jeu de questions-réponses chronométré. Si certains candidats comme l’Espagnol Joaquin Almunia (concurrence) ou le Français Michel Barnier (marché intérieur) ont passé haut la main l’épreuve, d’autres se sont trouvés en difficulté et n’ont pas convaincu les parlementaires européens.

Le Finlandais Olli Rehn (économie), qui a déçu par son manque de vision, ou la Britannique Catherine Ashton (affaires étrangères), qui a avoué ne « rien savoir » du débat sur un siège pour l’UE au conseil de sécurité de l’ONU, n’ont reçu qu’une mention passable. Le Lituanien, Algirdas Semeta, pressenti à la fiscalité, l’union douanière, l’audit et la lutte antifraude, a été critiqué par les socialistes au terme de son audition, le 12 janvier, pour avoir été peu convaincant dans ses réponses aux questions sur l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). La Néerlandaise Neelie Kroes, candidate au portefeuille de la société de l’information, qui pourtant a fait ses preuves comme commissaire à la Concurrence, n’a pas su convaincre non plus les députés le 14 janvier sur ses connaissances en matière de société numérique et avait été convoquée, à huis clos, le 19, à un « oral de rattrapage », qui s’est mieux déroulé. D’autres seconds tours seraient prévus.

Pour la candidate bulgare et ex-eurodéputée PPE, Rumiana Jeleva, pressentie à la coopération internationale et à l’aide humanitaire, ce fut une vraie Bérézina. Elle n’a pas pu justifier clairement sa déclaration de patrimoine, et notamment les parts qu’elle a détenues dans la société de conseil Global Consult de 2007 à 2009, alors qu’elle était eurodéputée. Certes, les sommes en jeu sont ridiculement faibles (quelques milliers d’euros), mais il s’agit d’une « question de principe » pour le Parlement. C’est bien plus son incompétence qui l’a « condamnée » : elle a avoué son ignorance sur le Congo, a prétendu vouloir entamer des négociations avec les « talibans modérés » ou se rendre en Somalie… Si les chrétiens-démocrates – son parti – l’ont soutenu bec et ongles, dénonçant une « chasse aux sorcières » qui conduit à une accusation « infondée », socialistes, libéraux et verts ont, quant à eux, demandé son renvoi à José-Manuel Barroso. Celui-ci n’a pas commenté la prestation de Rumiana Jeleva, il a dit « sur base des informations obtenues jusqu’à présent », garder « confiance dans tous ses commissaires ». Il a cependant dû être soulagé d’apprendre mardi matin le retrait de la candidate bulgare. Ce qui est selon Martin Schulz, le leader du groupe socialiste S[&]D, « la meilleure solution pour tout le monde, y compris elle-même ». Le Premier ministre bulgare a désigné comme remplaçan-te la vice-présidente de la Banque mondiale, Kristalina Georgieva. Le PPE, par la voix de son chef de file Joseph Daul, déplore que la candidate bulgare ait été la « victime d’une petite guerre politique assez pathétique » menée en première ligne par les socialistes et les verts.

Autant dire que le pacte tacite de non agression conclu entre les forces politiques du Parlement pour ménager les douze commissaires désignés conservateurs, les huit libéraux et les six socialistes, a volé en éclat au fil des examens de passage. La conséquence immédiate est le report du vote d’investiture de la future commission dans son ensemble le 9 février à Strasbourg.

En retour, la droite avait promis de s’en prendre lundi au candidat de gauche slovaque, Maros Sefcovic, à qui elle a reproché d’avoir dit en 2005 que les Roms « exploitaient l’État providence slovaque ». Le commissaire, pressenti aux relations interinstitutionnelles et à l’administration, a plutôt convaincu une majorité de députés lors de son audition de sa bonne foi sur cette question, rappelant qu’il avait « toujours agi en faveur de cette communauté » et se sentait « offensé que l’on (lui) colle une étiquette anti-Roms ». Il a surtout fait la preuve de sa connaissance des dossiers qui devraient lui échoir. Le PPE n’en est pas resté là : il n’a pas épargné non plus Catherine Ashton, lui reprochant d’avoir préférer passer son week-end à Londres, alors qu’Hillary Clinton et « l’ensemble du monde » étaient en Haïti.

Que retenir de cette querelle politicienne ? D’abord que Rumiana Jeleva a été la première victime de l’affirmation du pouvoir du Parlement européen face à la Commission et aux États membres, même si la manière de procéder est critiquable. D’autre part, que finalement l’alliance PPE-S[&]D-Libéraux n’a pas duré et qu’une majorité alternative Vert-libéraux-S[&]D l’a remplacée, ce qui affaiblit les conservateurs. Enfin, que pour l’opinion publique européenne, peu versée dans les subtilités politiciennes, les luttes intestines desservent le projet européen, si tant est qu’il représente encore un idéal pour elle.

Sophie Mosca
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