Loin de la foule, les hauteurs paisibles de la cité messine arborent de puissantes murailles médiévales. C’est là, sur la colline Sainte-Croix, que Rabelais entama l’écriture de son Quart Livre. Pour localiser sur cette crête légendaire le Fonds régional d’art contemporain (Frac), nul besoin de téléphone portable ; il suffit de lever la tête et de suivre la tour de l’hôtel Saint-Livier, où sont indiquées les coordonnées géographiques du lieu – 49 Nord 6 Est. Construit au XIIe siècle, l’imposant édifice abrite aujourd’hui une collection publique comprenant près de 1 300 œuvres d’art contemporain.
Pour sa première exposition à la tête du Frac Lorraine, Fanny Gonella a réuni une galerie de « portraits » qui élargit les horizons de la ressemblance. L’intitulé de la manifestation – Vous me rappelez quelqu’un – est volontairement approximatif, comme l’est la référence supposée à un quelconque modèle. Inutile, dès lors, de rechercher le même au sein de l’antique notion de mimèsis (= imitation), le spectateur étant ici invité à s’identifier à des objets issus principalement de son environnement quotidien. Cette volonté de repousser les limites de la figuration humaine fait suite à la découverte d’un essai de Jonathan Flatley (Like : Collecting and Collectivity, 2010), dans lequel le théoricien américain propose une lecture d’Andy Warhol et de Walter Benjamin à partir de la notion d’empathie. Si toutes choses sont dignes d’admiration, comme le signifiait Warhol (« I like everything »), comment ne pas éprouver de l’affection pour ces objets qui nous accompagnent au cours de notre vie ? Pour Benjamin, cette disponibilité à l’égard du monde était mise à l’épreuve de l’expérience urbaine.
Par leurs formes ludiques, les objets rassemblés à l’étage incitent le spectateur à restaurer une relation d’empathie avec le monde. Une première salle rapproche les sculptures-dessins de Naama Arad de l’installation sonore conçue par Boris Ondreicka (I am the Wall, 1999). Là où la première dessine sur une page blanche une figure féminine dont les traits entrent en analogie avec l’aspect d’un évier (Girl, 2016), le second donne voix aux complaintes d’une cimaise : « Je suis ce mur familier, celui qui te sépare de ton voisinage. Je suis ce mur oublié qui doit supporter des sanglots le soir et leurs éternelles disputes, de l’autre côté. Je te protège du froid, je te protège contre quiconque. Je délimite ton intimité. Et toi, tu me transperces, tu me colles ces fichues vis. Je suis ton mur fatigué. » Un peu plus loin, Nicole Wermers présente deux sculptures réalisées avec des matériaux employés pour la fabrication des cuisines (Givers and takers, 2016). Un sèche-main ou une hotte font office de chapeau, tandis que des composants en plastique circonscrivent les contours d’une face blanche. Comme dans les œuvres précédentes, le caractère utilitaire des objets est détourné à des fins esthétiques.
Avec l’installation de Jade Fourès-Varnier et Vincent de Hoÿm (In jeopardy, Temple of jacent II, Piétà), la grande salle devient un espace d’échange et de convivialité pour le spectateur. Entre les colonnes qui bordent le temple, la vie s’invite sur la scène publique. On prend le temps de danser, de manger, ou de défiler comme sur un podium. Selon le contexte, le pays et les coutumes, Jade Fourès-Varnier et Vincent de Hoÿm ajustent leurs propositions. Le jeudi 12 avril prochain, les spectateurs pourront prendre part au Banquet Piétà imaginé par le duo d’artistes.
Sous les combles, le public pourra découvrir l’installation d’Anja Kirschner et David Panos – trois vidéos explorant les techniques d’art dramatique développées par l’acteur et professeur Sanford Meisner (Living truthfully under imaginary circomstances, 2011). Sur le chemin du retour, on ne manquera pas de contempler les deux pastels disposés au rez-de-chaussée : Yellow portrait (2017) et Blue portrait (2017). Tous deux sont l’œuvre de Nicolas Party, jeune peintre originaire de Lausanne qui préfère désigner ses portraits par la couleur nimbant la présence somnambulique de ses figures. Dans Blue portrait, toutes les nuances de l’indigo sont déployées sur le papier. L’air absent, le regard lointain, l’homme semble venir d’ailleurs, d’un autre siècle, comme le suggèrent son col doré et son port altier digne d’un petit prince florentin. Les déformations « maniéristes » affectant son aspect nous invitent à rapprocher les temps.