Si la notion de justice climatique est devenue le cri de ralliement qu’il est aujourd’hui pour des millions d’activistes, c’est qu’elle associe clairement deux dimensions du problème climatique que les approches sectorielles ont tendance à disjoindre. D’un côté, le constat scientifique implacable de la trajectoire destructrice sur laquelle les émissions massives de de gaz à effet de serre placent l’humanité. De l’autre, l’analyse politique et économique qui met en avant les écarts immenses entre les responsabilités dans la confection de la crise climatique et les vulnérabilités qui en résultent, entre Nord et Sud comme entre riches et pauvres. Bien que cette question fasse partie du débat sur la crise climatique depuis des décennies, y compris lors des conférences que les Nations Unies lui ont consacrées, son étude n’en est encore qu’à ses débuts. Ce n’est qu’au cours des dix dernières années que le lien entre crises environnementales et inégalités, tant entre Nord et Sud qu’entre riches et pauvres, ont commencé à être décortiquées de manière systématique.
Une ponction annuelle de
3 000 milliards
Pour mieux comprendre à quel point le discours dominant sur l’aide au développement a pu occulter la réalité des relations entre les pays industrialisés et ceux qu’on a appelés « en développement », The Divide, de l’anthropologue Jason Hickel, paru en 2017, apporte un éclairage précieux. Né au Swaziland, Hickel a passé de longues années en Afrique du Sud avec des travailleurs migrants avant de s’installer à Londres où il a notamment enseigné à la London School of Economics. Engagé dans l’aide au développement avec une ONG dans le Swaziland vers la fin de ses études, Jason Hickel a tôt fait de découvrir que malgré tous les efforts de celle-ci, ceux d’autres organisations et les millions de dollars d’aide dont elles arrosaient le petit pays, ses habitants ne sortaient pas de la pauvreté. Lorsqu’il confronte les dirigeants de l’ONG à ce paradoxe, on lui dit que ses constatations sont trop « politiques » . Dépité, il s’en va. Rapidement, il acquiert la conviction que « l’histoire qu’on nous a racontée sur les pays riches et les pays pauvres n’est pas tout-à-fait vraie. En fait, la narration à laquelle nous sommes habitués est presqu’exactement à l’opposé de la réalité ».
Certes, l’Onu diffuse régulièrement des statistiques qui suggèrent une réduction de la pauvreté et de la mortalité infantile, un recul de la famine, une situation sanitaire en progrès. Hickel démontre en détail comment au fil des décennies, les organisations internationales ont modifié les termes de référence utilisés pour mesurer le progrès accompli en matière de développement de façon à pouvoir suggérer que nous étions toujours sur la bonne voie pour résorber les différences entre pays riches et pauvres. Las, souligne-t-il, les inégalités ont explosé. En 1960, le revenu par habitant des pays les plus riches était 32 fois celui des pays pauvres. En l’an 2000, ce ratio était passé à 134. Si les anciennes colonies sont pauvres et le restent durablement, démontre-t-il, ce n’est pas à cause de la corruption qui y règne ou par manque d’investissement, mais parce que les pays riches s’attachent systématiquement à les maintenir dans cet état. Ainsi, il y a bien un flux d’aides au développement de l’ordre de 128 milliards de dollars par an. Mais en prenant de la hauteur, on se rend compte que ces montants sont faibles par rapport aux ressources qui circulent dans la direction opposée.
En 2016, l’organisation américaine Global Financial Integrity et le Centre de recherche appliquée de l’École norvégienne d’économie ont collationné l’ensemble des flux entre pays riches et pauvres, intégrant non seulement l’aide, les investissements étrangers et les flux commerciaux, mais aussi les annulations de dette, les transferts et les fuites de capitaux. Leur analyse, fondée sur des chiffres de 2012, conclut que le flux des pays vers les riches vers les pays pauvres a totalisé 2 000 milliards de dollars, tandis que le flux inverse s’élevait à 5 000 milliards de dollars. La notion philanthropique d’aide au développement cache une saignée annuelle nette de 3 000 milliards de dollars, soit vingt-quatre fois plus que ne sont versés sous forme d’aide dans l’autre sens. La fuite des capitaux sous ses différentes formes est le plus gros poste des flux du sud vers le nord. Certes, une partie de l’aide soulage les pauvres dans les pays qui les reçoivent, mais elle ne compense pas les dommages que causent par ailleurs ceux, au sens large, qui la versent : cela vaut par exemple pour la Banque mondiale, qui profite de la dette des pays pauvres, ou la Fondation Gates, qui profite du régime de protection de la propriété intellectuelle qui rend inabordables des médicaments et des technologies essentielles. Au-delà de l’extraction de combustibles fossiles, les relations entre les pays riches et pauvres restent régies plus généralement par le modèle de l’extractivisme. « Les pays pauvres n’ont pas besoin de notre aide ; ils ont besoin que nous cessions de les appauvrir », résume Jason Hickel. L’idée d’augmenter le produit intérieur brut à l’échelle globale pour éliminer la pauvreté ne fonctionne pas. Si cet indicateur a augmenté de 45 pour cent par habitant depuis 1990, le nombre de ceux qui n’ont qu’un revenu de cinq dollars par jour a lui crû de 370 millions.
Spirale extractiviste
Tout cela reflète la violence de la colonisation, un système de domination et de dépossession qui se poursuit sous d’autres formes à ce jour. Certes, une partie des pays du sud ont commencé, après la Seconde Guerre mondiale, à s’en affranchir et à accumuler des richesses en affirmant leur indépendance à l’égard des pays occidentaux, traduisant cette trajectoire économique au plan politique au sein du G77 fondé à Bandung en 1955. Mais, sous l’effet d’une réaction des États-Unis et de l’Europe contre ce qu’ils percevaient comme une perte d’accès aux matières premières et à une main d’œuvre bon marché, ce modèle a été mis en échec entre les années 1950 et les années 1980, à coup notamment d’interventions menées par la CIA, pour permettre à l’impérialisme « classique » de redevenir le modèle dominant. C’est l’époque des « ajustements structurels » régis par le FMI, qui mettent les pays pauvres au pas. Supposés les aider à réduire leur dette, ces ajustements n’y sont pas parvenus : la dette des pays pauvres a augmenté de 38 pour cent pendant la première décennie de leur application. Ce modèle se poursuit aujourd’hui à travers les accords de libre-échange, qui ajoutent au cocktail classique de la baisse des droits de douane et des obstacles techniques celui d’opaques tribunaux d’arbitrage. Jason Hickel propose aussi une critique des statistiques relatives à la corruption telles qu’elles sont proposées par Transparency International, en faisant valoir qu’elles mesurent la perception de la corruption, plutôt que la corruption elle-même, occultant ainsi les pratiques institutionnelles des pays du Nord décrites ci-dessus, qui relèvent au moins autant de la corruption que celles associées traditionnellement aux pays du Sud.
Cela vaut aussi pour le mécanisme de réduction des gaz à effet de serre mis en place en 2005 par l’Onu et la Banque mondiale sous l’acronyme REDD (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation), censé prévenir l’abattage d’arbres dans les pays pauvres mais qui en réalité a débouché dans de nombreux cas sur l’éviction de populations pauvres de forêts au motif que leurs méthodes agricoles contribuaient à la déforestation. Plus généralement, argumente Jason Hickel, comment peut-on aujourd’hui défendre une approche du développement qui consiste à augmenter les émissions de gaz carbonique face à l’urgence climatique ? Au lieu de poursuivre des politiques de développement vouées à l’échec, mieux vaudrait aujourd’hui compenser les pays en développement pour les dommages causés par le changement climatique tout en leur offrant un support financier et technique pour leur transition vers des systèmes d’énergies renouvelables. Les pratiques de l’aide au développement cachent – mal – des politiques qui aggravent à la fois la pauvreté dans les pays du Sud et enfoncent le monde dans une spirale extractiviste.
Articuler État social et acteurs locaux
Sur la question du lien entre inégalités et changement climatique, Lucas Chancel, politologue français proche de Thomas Piketty, qui a tenu une conférence à Luxembourg au mois de juin, offre une approche complémentaire à celle de Jason Hickel. Dans son livre Insoutenables inégalités – Pour une justice sociale et environnementale, il fait valoir que les causes de « la réduction des inégalités et de la protection de l’environnement entretiennent des relations ambivalentes », à savoir qu’en général, « ces deux objectifs se renforcement mutuellement, mais ils peuvent aussi s’opposer ». Les liens entre eux sont souvent mal connus : « En France, par exemple, le débat s’arrête trop souvent à la question de la taxe carbone et de ses effets potentiellement dévastateurs ».
Or, il faut également tenir compte des inégalités individuelles et territoriales face aux effets du changement climatique ou à la pollution des eaux et des sols. Il préconise de nouveaux outils de mesure et de cartographie des inégalités environnementales (qui recouvrent, par exemple, une exposition plus élevées des populations défavorisées aux sources de pollution), auxquels il faut ajouter un décloisonnement les politiques publiques sociales et environnementales. Le troisième axe qu’il recommande est celui d’une « nouvelle forme de collaboration entre l’État social et les territoires », en articulant la puissance de l’État social à la boîte à outils des acteurs locaux.
Les inégalités qui augmentent de manière vertigineuse dans le monde, telles que les a révélées
Thomas Piketty dans son livre Capital au XXIe siècle, sont aujourd’hui reconnues par le FMI, la Banque mondiale ou l’OCDE, comme « un problème majeur du capitalisme » en ce début de siècle. Lucas Chancel démontre comment ces déséquilibres « menacent la démocratie, rendent la société malade, nuisent à l’économie et dégradent l’économie ». Il aligne les études qui démontrent comment les inégalités nuisent à la santé, ont un effet négatif sur les résultats scolaires, réduisent la productivité au travail, freinent l’innovation, favorisent les crises financières. Les inégalités sociales (tant de revenu que patrimoniales) ont aussi un effet délétère sur l’environnement, en poussant chaque classe sociale à aspirer à un mode de vie comparable à celui de la classe sociale supérieure, qu’il envie, et qui se trouve être plus polluante.
L’argumentaire de Lucas Chancel s’articule en grande partie sur les enseignements de la base de données dédiée World Inequality Database (WID.world) rassemblée par lui et ses collègues. En plus des inégalités de revenu et de patrimoine, cette base aspire à couvrir également les injustices environnementales. Elle s’appuie notamment sur les données fiscales, ce qui lui donne une fiabilité supérieure à celle des enquêtes qui se fondent sur les déclarations des personnes interrogées, tout en tenant compte de ces enquêtes pour éviter de sous-estimer les revenus des ménages les plus modestes, moins taxés. On connaît désormais ces invraisemblables écarts entre, par exemple, les un pour cent les plus riches, qui aux États-Unis possèdent vingt pour cent des revenus de leur pays, contre les cinquante pour cent les plus démunis qui n’en touchent que vingt pour cent, des positions qui se sont inversées au cours des quarante dernières années.
En France, une étude menée en 2004 a mis en avant les inégalités en matière de consommation d’énergie. Les dix pour cent les plus modestes consomment 70 kilowatt heures par jour et par personne, soit la moitié de ce que consomme la moyenne. Un membre des dix pour cent les plus aisés en consomme plus de 260, soit près de 70 pour cent de plus que la moyenne. L’écart de 3,6 de la consommation d’énergie entre le décile le plus pauvre et le plus riche, bien plus bas que celui des écarts de revenu ou de patrimoine, montre que la première est relativement peu élastique. En Inde, selon une étude de la même année, un citadin du décile le plus pauvre consommait en moyenne quatre kilowatt heures par personne et par jour. Un membre du décile supérieur vivant en ville a une consommation quotidienne 45 kilowatt heures.
Concernant l’inégale exposition aux risques environnementaux, Lucas Chancel recourt à des études ayant analysé l’« exposome », l’ensemble des facteurs de risque d’origine non génétique, comme les pollutions chimiques, physiques et biologiques, ou le contexte psychosocial. Dans l’État de Rhode Island, grâce à une mesure d’interdiction du plomb, des chercheurs ont pu démontrer un lien de causalité entre les résultats scolaires inférieurs des enfants afro-américains et l’exposition au plomb (risque de saturnisme). Le pourcentage d’Afro-Américains habitant autour de douze centrales à charbon, grosses émettrices de particules nocives pour la santé, est de 76 pour cent, alors qu’il devrait être de 28 pour cent si la répartition de population était égalitaire, a constaté une étude de la National Association for the Advancement of Colored People en 2012.
Autre exemple frappant de l’inégalité, celle de l’exposition aux particules fines en France. Selon une étude de 2016 citée par Lucas Chancel, « la pollution de l’air liée aux particules fines générées par la combustion du diesel et d’autres sources d’énergie carbonée est à l’origine de neuf pour cent des décès, tous types confondus, soit près de 50 000 morts par an – autant que l’alcool ». Or ces décès concernent en premier lieur les personnes à bas revenus.
Les Français ne sont pas non plus égaux face aux pesticides. Les plus exposés sont les agriculteurs, en contact avec ces produits qui augmentent les risques de cancer, une situation aggravée par le fait qu’il s’agit d’une population qui recourt moins au dépistage. Les inégalités environnementales peuvent aussi être régionales, comme dans le cas de la Bretagne, massivement polluée aux nitrates du fait de l’élevage porcin, ou de la Lorraine, où le cadmium est anormalement prévalent du fait de la combustion de déchets industriels et de la métallurgie.
L’exemple le plus flagrant des inégalités face aux chocs environnementaux est celui de Katrina, l’ouragan qui a frappé la Louisiane en 2005 et y a fait 1 400 morts. A l’inégale répartition des victimes (la moitié des Afro-Américains s’est retrouvée dans une zone sinistrée, contre trente pour cent des Blancs) à celle en matière de mobilité (beaucoup de ménages afro-américains n’avaient pas de voiture pour fuir) s’est ajoutée celle concernant l’aide à la reconstruction.
Au regard de ces inégalités, quelle logique appliquer en matière de responsabilité pour les émissions de gaz à effet de serre dans les négociations internationales ? Celle de l’humanité en général, au risque de gommer les inégalités flagrantes dont nous venons de parler ? Celle de la justice intergénérationnelle ? Ou bien, comme le fait l’Onu, par pays ? Et dans ce cas, faut-il regarder les émissions historiques (accumulées) ou bien les émissions annuelles ? Plutôt les émissions nationales ou les émissions par habitant ? Et finalement, doit-on, et peut-on, prendre en compte les émissions dites « délocalisées » ou « indirectes », c’est-à-dire celles occasionnées loin du pays duquel émane la demande pour les produits extraits ou manufacturés dans un autre ?
Avant la COP21, Piketty et Chancel ont recommandé de prendre en compte la responsabilité individuelle. « Pour les vingt pour cent des Français et Américains les plus riches, (les émissions indirectes) représentent les trois quarts de leurs émissions totales, contre deux tiers pour les vingt pour cent les plus modestes ». Dans leur papier préparé avant la COP de Paris, Piketty et Chancel relèvent qu’aux États-Unis, les dix pour cent les plus pauvres émettent 3,6 tonnes de « CO2e » (CO2 équivalent, qui prend en compte à la fois le gaz carbonique et les autres gaz à effet de serre), 24 fois moins que les dix pour les plus aisés (84,5 tonnes). En France, les émissions des plus modestes sont de quatre tonnes, celles des plus riches de 31 tonnes, soit environ huit fois moins. Au Rwanda, ces chiffres sont respectivement de 0,1 et 2,2 tonnes. Ces différences reflètent, selon les cas, des facteurs techniques (le type de chaudière que l’on utilise pour se chauffer, le niveau d’isolation de sa maison), spatiaux (urbanisme, infrastructures) et socio-culturels (taille du foyer, qui réduit les émissions par tête, ou niveau d’étude, qui est un meilleur prédicteur que le revenu pour les voyages internationaux).
Taxation carbone progressive
Tout cela « n’indique rien de bon pour l’évolution des injustices environnementales », note Chancel. S’il est parfaitement illusoire de prétendre résoudre la crise climatique sans s’attaquer simultanément aux inégalités, tant les deux phénomènes sont enchevêtrés, il faut en même temps reconnaître l’extraordinaire complexité à laquelle on est confronté lorsqu’on prétend y remédier en même temps. Les mesures de protection de l’environnement ne sont souvent pas neutres du point de vue des inégalités économiques, tandis que des politiques qui entendent réduire les écarts de richesse peuvent aussi avoir un impact négatif sur l’environnement. À l’aune de l’exemple de New Delhi, la ville la plus polluée du monde, Lucas Chancel démontre à quel point cette ville pourrait profiter d’une politique délibérée de limitation des voitures individuelles. Il mentionne la proposition de créer un service de première classe dans les quelques lignes de métro que possède la ville, comme stratégie de marketing destinée à rendre ce moyen de transport désirable pour les classes moyennes et donc couper le lien psychologique têtu qui prévaut entre possession d’une voiture et appartenance aux classes moyennes.
Comment développer le co-voiturage ou financer une meilleure isolation et un chauffage plus efficace des logements (tout en veillant à l’effet rebond, qui débouche sur une augmentation des réglages de température ambiante) ? Lucas Chancel recommande de miser en premier lieu sur une fiscalité progressive et écologique, en soulignant que les subventions aux énergies fossiles, souvent présentées comme une aide aux plus démunis, profitent en réalité beaucoup plus aux plus riches qui ont un mode de vie à l’intensité carbone plus élevée. Malheureusement, constate-t-il, les politiques fiscales restent souvent incohérentes voire contradictoires. Même en Suède, qui possède depuis 1991 une taxe carbone – elle est passée de 27 euros la tonne lors de son introduction à 115 euros aujourd’hui –, on a assisté simultanément à une réduction des taux marginaux d’imposition des plus riches, ce qui n’est pas vraiment une mesure progressive. Pour parvenir à une taxation plus efficace des émissions tout en réduisant les inégalités à l’échelle globale, il est indispensable de commencer par mesurer de manière fiable les émissions importées.
La proposition que font Piketty et Chancel est celle d’une taxation carbone progressive, sous forme d’une taxation des émissions des individus, à savoir une taxe sur tous les émetteurs au-dessus de la moyenne, une autre sur les dix pour cent d’individus les plus émetteurs et une dernière sur les un pour cent les plus émetteurs. Appliquée à l’échelle mondiale, une taxe sur les dix pour cent des individus les plus émetteurs serait portée à hauteur de 46 pour cent par des Américains, de seize pour cent par des Européens et de douze pour cent par des Chinois. Des exemples de ces politiques existent ça et là, et on peut parfaitement imaginer de les déployer à l’échelle mondiale, à condition toutefois de reconnaître que cela implique une « métamorphose des politiques publiques ».
Trop souvent, la notion de justice climatique se réfère exclusivement à l’inégalité entre pays pauvres, faibles émetteurs mais aux avant-postes des impacts climatiques, et pays riches, gros émetteurs mais moins exposés ou mieux à même de se protéger. Les analyses de Jason Hickel et Lucas Chancel nous aident à élargir cette notion, en y intégrant mieux le caractère historique et structurel de ces inégalités, et en montrant que le critère des émissions nationales, pris en compte dans les négociations sur le climat, occulte les écarts sociaux à l’intérieur des pays. Les cent milliards de dollars que les pays du Nord sont censés rassembler pour aider ceux du Sud à faire face aux conséquences du dérèglement climatique s’apparentent, à cet égard, à l’illusion de l’aide au développement : à supposer qu’ils soient rassemblés et distribués, et bien qu’ils puissent ponctuellement soulager les populations les plus exposées, ils détournent le regard de l’indispensable réforme d’un modèle économique qui, aujourd’hui, exacerbe systématiquement et à l’échelle mondiale, ces inégalités.