J moins sept. Ça chauffe au deuxième étage du Théâtre des Capucins, le nouveau siège de l’équipe de Gladys Lazareff (coordinatrice générale) et d’Alexis Juncosa, les deux seuls employés fixes du Discovery Zone – Luxembourg City Film Festival, troisième du nom. Entourés d’une dizaine d’aides temporaires et de nombreux bénévoles, ils vont accueillir, du 28 février au 9 mars, plus de 4 000 enfants, au moins 14 000 spectateurs (chiffres de 2012), encadrer quatre jurys (international, documentaire, critique et jeune) et de nombreux invités, qu’ils soient réalisateurs, producteurs, acteurs ou responsables du casting… Que Julie Gayet vienne ou ne vienne pas, n’est finalement qu’une note de pied de page dans un programme constitué de plus d’une cinquantaine de films du monde entier et montrés en quelque 140 séances à travers toute la ville.
Événementiel Au-delà des films, un festival de cinéma, c’est aussi des événements, des stars et un peu de glamour. Tout en annonçant la venue de quelques stars du cinéma, qui soit participent aux jurys, soit proposent des rencontres et des échanges – une rencontre avec Michel Gondry aura lieu le 28 février, Luc Dardenne donnera une masterclass le 1er mars –, le festival luxembourgeois se veut avant tout centré sur les films eux-mêmes. « Nous, on se voit comme un événement plate-forme, précise ainsi Alexis Juncosa, chargé de programmation et de communication du festival depuis ses débuts. Ainsi, la venue de Luc Dardenne est extrêmement importante pour nous, parce que nous voulons proposer des rencontres que le public ne pourrait pas faire autrement. »
Pourtant, le festival pourrait aussi miser sur des grandes pointures, des stars plus connues du cinéma, qui monnaient leur présence. Faut-il rappeler les déboires du prédécesseur du festival, le DirActors, en 2007, qui justement avait comme concept de faire du glamour – même si la majorité des invités annoncés ne venaient jamais ? « On ne paie pas un centime pour nos invités, souligne Alexis Juncosa. Ils viennent pour le bien qu’ils pensent de la programmation. Pour nous, c’est une question de crédibilité. »
Finances Crédibilité va ici de pair avec humilité. Car si la ministre de la Culture, Maggy Nagel (DP), a pu souligner, lors de la conférence de presse de présentation du festival, le 5 février dernier, que le Discovery Zone avait trouvé « un concept qui colle parfaitement à la Ville de Luxembourg » et la bourgmestre de la capitale, Lydie Polfer (DP) ajouter que « c’est devenu un festival que nous chérissons tous », il demeure que le Discovery est encore jeune et son budget très modeste. Cette année, la Ville de Luxembourg et le ministère de la Culture augmentent chacun leurs contributions financières de 50 000 euros respectivement, ce qui porte le budget cash à 500 000 euros. À cela s’ajoutent des prestations et services d’une valeur de quelque 300 000 euros, notamment des mises à disposition des salles de projection du groupe Utopia (120 000 euros), plus l’hôtellerie et la restauration. Pour le public, le festival est extrêmement rentable : avec un pass de vingt euros, il pourra voir tous les films – hors événements spéciaux et sous réserve des places disponibles, à réserver le plus tôt possible.
Légitimité et qualité Après le scepticisme avec lequel le festival a été accueilli par le grand public et les professionnels la première année, on sait désormais qu’il faut marquer d’une pierre blanche les dix jours de fin février et début mars dans son agenda. Parce que le Discovery Zone nous apporte le monde à nos pieds, par une sélection de films qui, autrement, auraient du mal à trouver leur place dans la programmation dominée par les blockbusters à gros effets spéciaux. Au XXe siècle, on aurait probablement appelé une telle programmation « art et essai ». La sélection de films faite collégialement par un « comité artistique » composé de tout ce que la scène autochtone compte de professionnels du cinéma – et qui affirment n’avoir jamais visionné autant de films que cette année –, nous emmène cette année du Népal en passant par l’Iran et la Belgique profonde jusqu’au Venezuela.
Documentaires C’est avec beaucoup d’impatience qu’on attendra ainsi la sélection des documentaires, regroupés dans leur propre programme, avec leur propre jury, qui attribuera un prix de 5 000 euros (sponsorisé par la BGL-BNP Paribas). « Ce coup de projecteur sur les documentaires est une demande de la profession », raconte Alexis Juncosa. Il est vrai que la sélection des documentaires a toujours été d’un haut niveau, des films comme Leviathan ou The Act of Killing ont fait de belles carrières après être passés au Luxembourg.
Parmi les sept films retenus dans cette section, soulignons particulièrement Is the man who is tall happy ? de Michel Gondry, une documentation animée par le cinéaste de plusieurs entretiens qu’il a menés avec le linguiste Noam Chomsky, « un des penseurs les plus brillants de notre époque » comme l’affirme Gondry. Let the fire burn de Jason Osder, un des rares films politiques cette année, raconte cette journée dramatique du 13 mai 1985 à Philadelphie aux États-Unis, où la police a chargé les militants du mouvement radical afro-américain Move – et à la fin, tout le quartier était à feu et à sang. Ne me quitte pas de Sabine Lubbe Bakker et Niels van Koevorden est un bijou du cinéma belge absurde, avec le conscience que seul l’humour peut nous sauver du désespoir : deux amis, abandonnés par leurs femmes, décident de se suicider ensemble – juste avant de manger des boulettes.
Histoires de couples Là où la condition féminine et les crises dans le monde dominaient les dernières éditions du Discovery Zone, la programmation de cette année fait la part belle aux histoires de couples et à l’intime. Un dizaine de films concourent pour le Grand Prix du festival – 10 000 euros sponsorisés par Orange – qui sera attribué par un jury cinq personnes (Clémence Poésy, Emily Atef, Frank Hoffmann, Lucinda Syson et la présidente Kate O’Toole). Si le film d’ouverture Her, de Spike Jonze, aurait certainement trouvé les chemins de nos écrans dans une programmation normale – l’histoire d’amour entre Joaquin Phoenix et un logiciel informatique est précédé du même buzz que les précédents films de Jonze –, il en va tout autrement d’œuvres plus hors normes comme Les manuscrits ne brûlent pas de l’Iranien Mohammad Rasoulouf, sur la politique d’élimination des intellectuels iraniens par les services secrets. Tom à la ferme de Xavier Dolan oppose les milieux urbains et ruraux du Québec avec une rare violence dans ce formalisme qui caractérise ses œuvres, alors que Of horses and men de Benedikt Erlingsson est un de ces bijoux décalés dont le cinéma islandais a le secret.
Échanges et rencontres Pour les professionnels luxembourgeois du cinéma, le festival Discovery Zone est devenu un événement essentiel dans leur calendrier, idéalement situé entre la Berlinale et le festival de Cannes. Non seulement parce que le Filmpräis est attribué dans le cadre du festival (le 7 mars), mais aussi et surtout parce que la présence de bon nombre de professionnels leur permet d’avoir des échanges, des débats et de participer à des workshops. Quatre long-métrages – dont Fieber d’Elfi Mikesch, fraîchement revenu de Berlin, et Puppy Love de Delphine Lehericey, très prometteur –, le documentaire de Désirée Nosbusch sur Fernand Fox, Succès Fou(x), et huit court-métrages fêteront leurs avant-premières lors du Discovery Zone.
Au Quartier général du festival que sera à nouveau le Ratskeller du Cercle-Cité, le cinéaste Jeff Desom présentera son exposition Holorama, reconstituant des scènes emblématiques de l’histoire du cinéma avec des hologrammes, la Cinémathèque propose une exposition de ses plus belles affiches autour du rouge, l’association des réalisateurs et scénaristes Lars se retrouvera autour d’un brunch ou les scénaristes discuteront des pitchs des œuvres sur lesquelles ils sont en train de travailler. C’est à ce niveau-là que le Discovery Zone peut apporter des développements durables à la scène autochtone.
Enthousiasme débordant Le plus gros succès du festival est celui qu’il connaît auprès des scolaires : plus du double d’élèves (plus de 4 000 !) que ceux qui ont participé en 2013 aux ateliers, projections, Crazy Cinematographe et autres événements y étaient inscrits après quelques jours seulement. La programmation, poétique et engagée, s’articule dans trois tranches d’âge : de trois à cinq ans (intéressant pour les crèches et le précoce), de cinq à douze ans (fondamental) et de douze à 18 ans (lycée). Si les plus jeunes viennent surtout avec leurs classes, les films sont aussi programmés le week-end pour le grand public.
Cette année, beaucoup d’écoles de cinéma de la grande région se sont d’ailleurs intéressées au programme du Discovery Zone et viendront par cars entiers participer à l’un ou l’autre événement. Tout se passe donc comme si soudain, grâce au cinéma et à la culture, le Luxembourg ouvrait enfin grandes ces fenêtres dont les partis en campagne nous parlaient tant l’année dernière.