Il porte un gros pull shetland et mange des pommes à longueur de soirée. Elle a un regard rêveur et une redingote en brocart dorée. Sont-ils le prince et la princesse ? Le temps de deux soirées, le week-end dernier, Luc Schiltz et Jeanne Werner purent s’y croire un peu, au royaume de Blanche-Neige et du petit chaperon rouge, des preux chevaliers abattant des dragons avant le petit déjeuner et de princesses ensorcelées qui n’attendent que l’homme de leur vie pour être libérées du joug de la méchante belle-mère... Sauf que ce n’était pas du tout cela : la soirée, instiguée par le Kasemattentheater avec Traffo, le programme pour enfants du Carré Rotondes, s’appelait Es war einmal... anders ! (« il était une fois... différent »). Donc : des contes, oui, mais pour adultes et loin d’être classiques.
Car au lieu de simplement offrir une lecture ou un spectacle classiques, Marc Limpach et Germain Wagner, les dirigeants du Kasemattentheater, ont demandé à six auteurs luxembourgeois d’écrire de nouveaux textes. Ce qu’ils firent avec plus ou moins de bonheur. Puis l’équipe de Hydre Éditions, autour de Luc Schiltz donc, et d’un des auteurs, Ian de Toffoli, proposèrent de publier ces textes dans leur nouvelle collection Courts. La soirée au Kasemattentheater s’avérait alors une belle occasion de combiner spectacle et présentation d’un nouveau livre. Ce qui lui valut une belle ambiance, chaleureuse et amicale, où se côtoyèrent amis, familles et autres proches des auteurs, des acteurs, des éditeurs et du théâtre, assis en toute décontraction autour de tables rondes de brasserie décorées de bougies et des boissons achetées au nouveau bar à l’entrée de la salle entièrement rénovée. Des bisous-bisous par-ci, des comment ça va ? par-là, pas de doute, on était entre nous. Ce qui constitua en même temps la qualité et la faiblesse de la soirée.
Parce que le Kasemattentheater a découvert pour soi la niche de la lecture littéraire, il en enchaîne un nombre vertigineux à la vitesse grand V. Un grand thème – l’argent, l’amour, la guerre, les droits de l’homme... – une compilation best off réalisée par l’érudit Marc Limpach et un ou deux acteurs-lecteurs, et le spectacle est conçu. En (beaucoup) trop peu de temps parfois (manque de moyens), comme cette soirée de contes, mise en espace par Anne Simon : l’idée de la pomme, des ailes d’ange fuchsia, quelques effets de lumière et un va-et-vient dans le public et vers les différents lieux de jeu possibles, les idées n’étaient pas mauvaises. Mais pour un peu, on avait l’impression d’assister à une répétition, les acteurs semblant découvrir le texte en même temps que le public – c’est gênant.
Pourtant, les textes ne manquent pas de qualités, chaque conte reflétant son auteur : Le Nobody fucks with the Rotkäppchen de Claudine Muno ayant probablement le plus fait rire le public le soir de la première en poussant l’idée du mashup des contes de fées – tous les personnages de tous les contes se rencontrent dans un grand gloubi-boulga de culture populaire (que même l’usine Disney a utilisé à foison ces derniers temps) – à son paroxysme et produisant une blague par phrase. Ce qui nous valut un texte confus et très daté, qui ne sera plus très pertinent d’ici cinq ans. La contribution de Nathalie Ronvaux, Monsieur Peste, le monsieur solitaire du dernier étage et les efforts d’un enfant pour l’apprivoiser, est naïve et poétique au même degré que La quête inentamable de Karl de Lucilinburhuc et de ses compagnons de route de Ian de Toffoli est baroque et délurée. Les deux frères Helminger, quant à eux, sont humoristiques sans être grossiers : Das Märchen von der Liebe und ihrem zweiten Gesicht de Guy Helminger raconte une sorte d’histoire d’amour chorale de deux frères siamois, alors que l’absurdité de Der Erzähler de Nico Helminger n’est égalée que par sa cruauté délirante (les meurtres de cochons d’Inde, le climax de la soirée !). Mais notre coup de cœur va à Flaschengeist d’Elise Schmit (collaboratrice du Land, ndlr.), un texte court qui, avec une grande volonté de précision et beaucoup d’humour espiègle, essaie de cerner non pas un quelconque fantôme d’Ali Baba, mais l’esprit, le sens exact des mots – complexe et évident à la fois. Tous les textes sont à relire dans le recueil de Hydre Éditions.