L’Union européenne s’apprête à ouvrir ses portes aux Moldaves qui attendent ce geste depuis des années. Leur rêve de s’ancrer en Occident et de sortir de la zone d’influence russe prend forme. Le 12 décembre, la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen a donné son feu vert pour la libéralisation des visas des quatre millions de Moldaves. Le vote en séance plénière, qui aura lieu le 25 février, devrait valider cette décision que la Commission européenne avait proposée en novembre 2013. Au printemps, les Moldaves devraient avoir le droit d’entrer dans l’espace Schengen sans visa pour des séjours ne devant pas dépasser une durée de trois mois. « L’effort de la Moldavie pour intégrer les règles européennes porte ses fruits », a déclaré l’eurodéputée roumaine Monica Macovei, une des meilleures avocates du dossier moldave au Parlement européen.
Dans le contexte de la crise ukrainienne, ce grand saut de la Moldavie en direction de l’UE est bien accueilli par les hautes instances européennes qui encouragent ce pays à se réformer en vue d’une future adhésion. La signature d’un traité d’association avec l’UE le 28 novembre en Lituanie à l’occasion du sommet européen pour le partenariat oriental, a ouvert la voix européenne à la Moldavie. Souvent réduite à la Syldavie de Tintin qu’elle aurait inspirée, la Moldavie, qui a la taille de la Belgique, est située entre la Roumanie et l’Ukraine, au carrefour de l’Union européenne (UE) et de l’ancien espace soviétique. Ce petit pays peine encore à trouver son identité géostratégique.
La réalité de la Moldavie n’a rien à voir avec Le sceptre d’Ottokar imaginé par Hergé. Pas de roi Muskar XII, mais le souvenir encore douloureux de l’époque stalinienne où une bonne partie des Moldaves avaient été déportés en Sibérie. Ancien territoire roumain, la Moldavie a été annexée par l’Union soviétique après la Deuxième Guerre mondiale. Devenue aussitôt République soviétique, elle a obtenu l’indépendance en 1991 suite à l’effondrement de l’ancienne URSS. Depuis, elle se cherche une identité entre l’Est, qui représente le passé, et l’Ouest perçu comme un avenir prospère.
Ce pays offre un cocktail ethnique. Plus de la moitié des quatre millions de Moldaves sont roumano-phones, l’autre moitié étant partagée entre les russo-phones et les Gagaouzes, Turcs chrétiens qui ont refusé l’islam et trouvé refuge dans cette terre au début du XIXe siècle. Quelques petites communautés de Roms, de Juifs et d’Allemands complètent ce puzzle ethnique. Les roumanophones rêvent de plus en plus d’une réunification avec la mère-patrie. L’entrée de la Roumanie voisine dans l’Union européenne (UE) en 2007 et le fait que le passeport roumain ouvre les portes de l’espace Schengen l’a rendue très attractive.
De fait, la Roumanie fournit des passeports à tous les Moldaves qui prouvent leur origine roumaine, véritable sésame qui donne aux jeunes l’accès au marché du travail européen. Selon l’Autorité nationale pour la citoyenneté, plus de 350 000 passeports roumains ont été délivrés aux Moldaves qui possèdent la nationalité roumaine. « Je suis Moldave et j’ai déjà obtenu le passeport roumain grâce auquel je me sens européen », affirme Vitalie Prisacaru, un jeune étudiant moldave venu faire ses études en Roumanie. Quant aux russophones, ils préfèrent se diriger vers Moscou pour trouver les emplois qui font défaut en Moldavie. À chacun sa mère-patrie. Un million de Moldaves – un quart de la population – travaillent actuellement à l’étranger. C’est d’ailleurs grâce à l’argent qu’ils envoient à la maison que la campagne moldave peut encore survivre.
Presque un quart de siècle après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, les jeunes Moldaves veulent à tout prix se tourner vers l’Ouest. La jeunesse du pays, connectée à Internet et aux réseaux sociaux, attirée par l’identité européenne de la Roumanie voisine, a choisi l’Occident et tourné le dos à la Russie toujours considérée comme une menace. Rien à voir avec la génération de leurs parents bouleversée par les aléas de l’histoire. Après l’indépendance obtenue en 1991, la Moldavie a cherché la voie démocratique. Mais le pays a échoué sous un régime communiste obsolète qui a pris le contrôle du pays en 2001 jusqu’en avril 2009 lorsque la jeunesse moldave a pris d’assaut les rues de Chisinau et déboulonné le Parti communiste.
La coalition de centre-droit qui gouverne actuellement le pays plaide pour l’adhésion de la Moldavie à l’UE. « Ces jeunes veulent effacer l’héritage de l’URSS, affirme Dan Dungaciu, directeur de l’Institut des sciences politiques de Bucarest et ancien conseiller auprès de la présidence moldave. Il n’y a pas d’autre solution pour échapper à l’ancienne URSS que l’Union européenne. » Certes la Russie ne voit pas d’un bon œil le tropisme occidental de son ancien satellite et tente par tous les moyens de freiner cette évolution. En septembre dernier, Moscou a interdit l’importation de vins moldaves, une des principales richesses du pays, sur le marché russe. Mais les Moldaves ont réagi en réorientant leurs exportations vers la Roumanie et l’Europe de l’Ouest. Moscou menace aussi d’augmenter le prix du gaz, mais la Roumanie a démarré la construction d’un gazoduc qui reliera la ville roumaine de Iasi, située au nord-est du pays, et la ville moldave d’Ungheni. Un projet que la Commission européenne a financé à hauteur de sept millions d’euros. La bataille n’est pas gagnée, mais Bruxelles a joué sa carte en Moldavie comme Tintin en Syldavie.