Le ministère des Finances ne commentera pas avant mardi 20 octobre, après le Conseil des ministres européens de l’Économie et des Finances qui se tient à Luxembourg, sa position sur un accord contre la fraude fiscale avec le Liechtenstein. Il ne se prononcera pas davantage sur la proposition de donner un mandat de négociation à la Commission européenne pour signer des conventions d’échange d’informations bancaires entre les administrations fiscales avec des juridictions comme Monaco, la Suisse, San Marino et Andorre. Ces deux points étaient encore à l’ordre du jour d’une réunion, mercredi, du comité des représentants permanents.
Le gouvernement luxembourgeois a toujours estimé que la Commission dépassait les compétences qui sont les siennes en signant au nom des 27 ce qui relève encore de la souveraineté des États. Il devrait donc maintenir inchangé le cap. C’est ce qu’auraient fait savoir les experts dépêchés à Bruxelles au cours des dernières semaines pour préparer l’Écofin sous la présidence suédoise qui entend boucler avant la fin de l’année le dossier sur la fiscalité de l’épargne – qui prendrait notamment en ligne de compte les produits d’assurances vie. Stockholm met donc la pression.
Les organisations de lutte contre les « paradis fiscaux » et la légitimité du secret bancaire ne relâchent pas la leur non plus, accusant volontiers les autorités grand-ducales de « faire tourner l’UE en bourrique » et de bloquer « tous les projets européens de bonne gouvernance fiscale » que le G20 avait pourtant mis sur les rails.
Le gouvernement doit s’attendre à une nouvelle offensive du réseau Tax Justice (TJN) mettant en cause la légitimité du secret bancaire. L’organisation s’apprête à publier – en principe le 2 novembre prochain – son premier Financial Secrecy Index, mettant au pilori, en raison de leur opacité, une soixantaine de juridictions dans le monde, méthodiquement, sans tabous ni interdits comme ce fut le cas de la liste grise de l’OCDE qui en avait oublié quelques-unes et non des moindres. L’index de TJN a pensé à tout le monde : Delaware, Suisse, Luxembourg et Grande-Bretagne, ce pays étant présenté par l’organisation comme l’un des plus importants paradis fiscaux de la terre. Et la liste grise de l’OCDE, dans laquelle il ne figurait pas, décrite comme une belle « farce ».
« Le Luxembourg va figurer en bonne place » sur cet index à paraître, promet, dans un entretien au Land, John Christensen, le directeur de TJN qui donnait une conférence sur Les flux financiers Sud-Nord et le financement du développement. Une conférence donnée à l’invitation notamment de l’ONG Cercle de Coopération, dont le rapport sur l’évasion fiscale au Luxembourg, avait dû être retiré de manière pitoyable de la circulation l’été dernier, peu après sa publication (d’Land, 24.07.09). L’étude vient toutefois de refaire son apparition sur son site Internet. John Christensen a également eu cette semaine des entretiens avec des représentants de la place financière qui avaient eu des mots extrêmement durs envers le rapport de Rainer Falk tentant de mesurer l’impact financier de l’évasion fiscale au Luxembourg.
À la différence des autres listes ou rapports qui relèvent le plus souvent d’une démarche amateuriste, le projet de cartographie sur les juridictions secrètes de TJN est « bien mûri, solide », estime le consultant Jérôme Turquey, qui pense que les positions pragmatiques des dirigeants luxembourgeois sur la légitimité du secret bancaire et même l’acceptation par les banques de l’argent de l’évasion fiscale ne « seront plus tenables longtemps ».
Sur son site Internet, Tax Justice indique qu’il s’agit du plus important et du plus élaboré projet de recherche jamais mené sur les ressorts et le fonctionnement du secret sur les marchés financiers internationaux. Le travail du réseau est d’ailleurs soutenu par la Fondation Ford.
Le grand-duché doit donc s’attendre à se trouver dans le « top 5 ou 10 » de l’index de TJN en raison de la très forte position de ses activités financières transfrontalières et de l’existence de structures juridiques complexes, qui lui valent d’ailleurs déjà son mauvais score dans la cartographie des juridictions secrètes. Les experts de TJN ont appuyé leur travail sur une série de douze critères mesurant le degré d’opacité ou de transparence des soixante juridictions : la présence par exemple des quatre plus grands cabinets mondiaux d’audit parlerait à elle seule de l’orientation d’une place financière.
Des monographies de chacun des pays ou territoires sont déjà disponibles. Luxembourg s’en sort avec un « score » de 87 pour cent d’opacité et un petit treize pour cent de transparence que le pays doit au fait que les comptes des sociétés sont disponibles pour le public, via le registre de commerce et des sociétés, et que les autorités se sont prêtées au jeu en répondant aux questions de TJN. La Suisse affiche un « score » nettement moins favorable, avec cent pour cent d’opacité. « Le Luxembourg, note le rapport, a encore un long chemin avant d’offrir la transparence financière », en dépit de la volonté affichée de ses dirigeants politiques de barrer la route aux flux d’argent criminel. Le magasin grand-ducal qui commercialise des produits financiers extrêmement sophistiqués soutient de ce fait l’industrie de l’évasion fiscale, qui préfère d’ailleurs, quitte à choisir entre la peste et le choléra, le modèle d’échange d’information de l’OCDE plutôt que celui de l’Union européenne. « Le standard de l’OCDE d’échange sur demande, analyse John Christensen, se caractérise par sa faiblesse et son inefficacité ».
Car, aux yeux du directeur de TJN, il n’y a pas d’alternative à l’abolition du secret bancaire, ni de justification de sa légitimité qui fait dire à ses défenseurs qu’il agit comme un filtre afin de protéger les honnêtes citoyens contre les visées inquisitives d’une quelconque autorité. L’argument de la protection de la vie privée, explique-t-il encore, relève d’une campagne d’intoxication et ne vaut rien pour lui par rapport à la protection de l’intérêt général et la perte, en milliards d’euros, de fonds qui fuient vers les centres offshore, pour échapper soit aux impôts soit aux lois, minant ainsi les fondements de l’économie réelle.
« Les tendances fiscales, soutient enfin le directeur de TJN, ont encouragé le refinancement excessif des dettes ainsi que les autres distorsions qui sont à l’origine de la crise. Ces distorsions ont eu des conséquences désastreuses au niveau macroéconomique, accordant trop d’importance à la dette plutôt qu’au financement des actifs, et en subventionnant les emprunts ». Le Fonds monétaire international a dû lui-même le reconnaître.
Économiste et historien, John Christensen n’a pas davantage de considération envers les arguments de ceux qui agitent le chiffon rouge des emplois que la fin des « juridictions secrètes » supprimerait dans le monde, avec son cortège d’ex-golden boys tombant dans la misère digne d’un livre de Charles Dickens. Il compare d’ailleurs ce débat à coloration manipulatrice à celui qui a animé les XVIIIe et XIXe siècles autour de l’abolition de l’esclavage, qui allait, pronostiquait-on à l’époque, être à l’origine de pertes d’emplois considérables.