Quoi de plus symbolique qu’une ligne de partage ? Les frontières font partie de ces limites qui, comme le dit le terme lui-même, ont été et sont toujours instituées pour séparer. Pour le malheur des hommes, incapables, semble-t-il, et notre époque en témoigne encore une fois, de vivre ensemble. C’est donc un sujet qui ne peut qu’intéresser deux artistes comme David Brognon et Stéphanie Rollin, lesquels ont débuté l’année dernière, avec Cosmographia, l’exploration de ces séparations souvent invisibles dans l’espace. Leur questionnement étant comment leur donner une matérialité.
Ce sont trois de ces approches (également tournées en 2015) que l’on peut voir actuellement en guise de présentation inaugurale dans la Black Box, que Kevin Muhlen a fait installer au rez-de-chaussée accessible gratuitement du Casino réaménagé pour ses vingt ans d’existence.
On peut y voir, après que Brognon & Rollin aient arpenté les contours de l’île africaine de Gorée, un autre point sur la carte du monde, beaucoup plus proche de nous, à savoir l’île de Tatihou au large des côtés normandes, et qui fut néanmoins un lieu de confinement. Pour la mise en quarantaine des marins sous Louis XIV, camp de prisonniers de soldats allemands lors de la Première Guerre mondiale, de réfugiés républicains espagnols lors de la Second et enfin, centre de rééducation d’adolescents jusqu’en 1984…
On y voit Stéphanie Rollin mettre en œuvre leur procédé de relevé topographique, suivant la limite fluctuante de la marrée, donc de la géographie réelle insaisissable de l’île, déjà utilisé au large des côtés africaines à Gorée. Ces feuilles de papier accumulées – pas moins que 2 113 fragments géographiques pour les 1,6 kilomètres de circonférence de Tatihou – qui ont ensuite été enserrées dans une bibliothèque métallique, œuvre de François Bauchet, et sont devenues un travail de mémoire conservé à Paris par des collectionneurs.
Ville de partage et partagée par excellence, palimpseste en perpétuelle réécriture, Jérusalem ne pouvait donc qu’attirer Brognon & Rollin. Ils y ont tourné Agreement, une première vidéo narrant le compromis possible pour l’usage d’un territoire impossible : ici le terrain de football d’une école aux contours dérégulés par l’exiguïté de la cour bordée par le mur de la vieille ville de Jérusalem dont on voit l’ombre projetée sur le terrain de jeu aux moitiés inégales, où le jeu de balle n’est possible qu’en coin...
La deuxième vidéo montre les interdits cumulés des trois religions issues du Livre pour pénétrer les lieux saints que sont le Mur des Lamentations, l’Esplanade des Mosquées et le Saint Sépulcre, à touche-touche sur un territoire physiquement aussi petit qu’est le cœur de Jérusalem… Contrairement au procédé narratif des deux premiers films, Hangover est une création conceptuelle, reprise d’internet de la capture infrarouge du record du monde de chute libre depuis l’atmosphère. Une moderne chute d’Icare en quelque sorte. Défilent en bandeau, tels les sous-titres d’un film doublé, les réglementations territoriale à respecter par les pèlerins avant de pénétrer les lieux saints. La quatrième vidéo Subbar, Sabra, sera projetée à partir du 20 avril pour clore ce premier cycle qui se terminera le 30 avril.