Souvent, ces colonnes vous présentent des lieux où il est recommandé d’aller. Des personnalités enrichissantes. Des expériences intéressantes. Des idées de sortie. Cette semaine, une fois n’est pas coutume, voici des lieux que nous ne vous recommandons pas, même si leur intérêt sociologique apparaîtra peut-être avec les années. Des endroits que vous pourriez fréquenter pour vous convaincre qu’il y a pire que l’aire de Berchem un vendredi soir au mois de juillet ou qui feraient passer le City-Concorde un samedi après-midi pendant les soldes pour un monastère cistercien. Des endroits qui n’existaient pas il y a quelques années et qui semblent donc être le fruit pervers d’un progrès qu’on croyait bienfaiteur. Fruit que l’on croque allégrement, cela va sans dire, surtout durant les mois d’hiver.
Imaginez un bar où il ferait chaud comme dans un four, mais où l’on ne servirait presque pas d’alcool. Imaginez un restaurant où vous n’auriez le choix qu’entre des pizzas baguette surgelées et des crêpes sorties d’un bidon. Tout ceci dans un espace pseudo-lounge, entièrement en plastique plaqué wengé, où la condition sine qua non pour ne pas être obligé de vous balader en chaussettes serait de recouvrir vos chaussures de charlottes en plastique. Avec, en plus, une ambiance sonore faite de hurlements, de cris, de pleurs, de rires et de bruits de jeux vidéo. Un peu comme un Las Vegas à l’envers, qui ferme à 19 heures, où personne ne peut gagner d’argent, où l’on ne sert pas d’alcool et où seuls les moins de douze ans s’amusent.
Cet endroit improbable existe, il existe même en plusieurs exemplaires, ne serait-ce qu’au Luxembourg, et rares sont les parents de jeunes enfants qui peuvent se targuer de ne pas les connaître. Ils s’appellent Zig-zag, Kid’s ville, Yoyo’s ou Indyland. Pour ceux qui ne connaissent pas (encore), il faut préciser que leur objectif premier n’est pas tant de plaire aux parents que de leur donner l’occasion de faire dépenser le trop plein d’énergie à leur progéniture. D’où la mise en place d’énormes structures colorées, à base de cubes métalliques recouverts de mousse, au milieu desquels des parcours labyrinthiques sont tracés avec force échelles de cordes, escaliers gonflables, toboggans, trampolines, piscines à boules et tyroliennes. Tout ceci en général dans des zones industrielles ou commerciales, avec un parking à proximité.
Les plus anciens d’entre nous se rappellent l’arrivée du Quick et du Mc Do, il y a trente ans : la nouveauté c’était, certes, les hamburgers, mais surtout l’installation de vrais espaces de jeux pour les petits à l’intérieur du fast-food, pour que non seulement on mange avec les doigts mais que, surtout, les enfants puissent faire ce qu’ils veulent pendant le repas des adultes. Le concept s’est retrouvé, plus tard, avec les garderies implantées dans les magasins Ikea ou certaines grandes surfaces. Et, depuis quelques années, donc, avec ces « salles de jeux indoor » (la chose n’est pas encore nommée de façon très précise), on trouve la consécration ultime : l’endroit est conçu pour cela, c’est le reste qui est accessoire. À bien y réfléchir, le concept est effrayant. Ce n’est plus « que va-t-on faire de nos enfants pendant qu’on travaille, qu’on mange ou qu’on fait les courses ? », mais « que va-t-on faire de nos enfants ce samedi après-midi ? ».
Pour un tarif horaire autour de cinq euros, les enfants vont pouvoir « s’exprimer » (comprendre : hurler), « sociabiliser et affirmer leur personnalité » (comprendre : écraser les doigts des plus petits dans la piscine à boules et faire des croches pattes aux plus grands sur les échelles de cordes), « s’épanouir au travers de moments de réflexion » (comprendre : hésiter à descendre un toboggan de neuf mètres jusqu’à ce qu’un camarade pressé mette un terme aux tergiversations d’une petite poussée discrète) et « progresser efficacement vers l’autonomie » (comprendre : essayer de retrouver ses parents qui, à bout de nerf, sont sortis sur le parking se remettre à fumer).
À notre décharge à tous, ceux qui ont craqué, et nous sommes nombreux, il faut reconnaître que le grand-duché doit être un terrain de choix. Il y pleut assez souvent, ce qui empêche souvent la concurrence des sorties en vélo ou du parc municipal. Les grands-parents habitent parfois trop loin pour être appelés à la rescousse lors du quinzième soupir de désespoir devant la perspective d’un après-midi à passer à domicile. Et, surtout, le niveau de vie moyen fait que, pour peu que vous ayez une collection de vases Ming à la maison, vous n’hésiterez pas longtemps avant de délocaliser la fête d’anniversaire de votre petit dernier, pour un budget compris entre douze et 25 euros par enfant, tout de même. Certains proposent une formule « zen » (le nom doit être du second degré), où vous n’avez rien à faire, des animateurs et des photographes se chargeant de remplacer le minimum d’investissement personnel qu’un gamin peut attendre de ses parents le jour de son anniversaire.
Finalement, la question qu’on se posera dans quelques années ce sera certainement de savoir comment on faisait avant que cela n’existe.