Le titre, L’Affaire K(aupthing), sonne comme un roman noir et le sous-titre, Dans les coulisses du sauvetage, entretient brièvement l’espoir que ce livre du Belge Baudouin Velge va promener le lecteur novice dans l’univers à la fois vulnérable et impitoyable de la finance, la Banque Kaupthing Luxembourg résumant à elle seule la fragilité des fondements du système bancaire et ses dérives. C’est plutôt raté.
Et à y regarder d’un peu plus près, le livre peut difficilement faire longtemps illusion sur l’impartialité du regard qu’il porte sur le naufrage de l’institution financière luxembourgeoise. Son auteur est un lobbyiste, responsable d’une grande agence de conseil en communication en Belgique. Sa plume est de ce fait davantage adaptée à la rédaction de communiqués de presse qu’à l’écriture littéraire. Même si ce livre n’a certainement pas la prétention d’être un monument de style, la fluidité de l’écriture aurait sans doute apporté davantage de crédibilité au récit. La préface de L’Affaire K(aupthing) par le ministre belge des Finances, Didier Reynders, mise à part qu’elle crédite l’auteur d’un carnet d’adresses impressionnant et d’un réseau relationnel et même familial assez fascinant, ne contribue pas non plus à l’impartialité de celui qui prétend avoir été au cœur de l’affaire Kaupthing pendant neuf mois, depuis la gel des comptes des clients en octobre 2008, la fronde des épargnants – belges pour l’essentiel – jusqu’à la reprise de la banque d’origine islandaise par la famille Rowland et son changement de nom en Banque Havilland S.A. Enfin, le fait d’avoir soumis son manuscrit, pour commentaires, à deux conseillers des Premiers ministres Van Rompuy et Juncker, ravive définitivement la méfiance du lecteur de L’Affaire K.
La saga de la Banque Kaupthing à Luxembourg, depuis sa création dans les années 1990 jusqu’à sa débâcle et son sauvetage à l’été 2009, reste donc encore à écrire. Dans l’intervalle, il faudra se contenter d’un récit à la première personne du singulier (ce qui, selon l’éditeur, lui confère un caractère « très direct ») du communiquant Baudouin Velge. Une saga qu’il présente comme « une belle histoire », avec forcément une « happy end » à laquelle il n’a jamais cessé de croire. Trop belle sans doute et amputée du récit des négociations qui se sont faites derrière le rideau et les mains dans le cambouis pour éviter à la banque luxembourgeoise d’être déclarée en faillite et au grand-duché d’y laisser sa réputation auprès des investisseurs belges qui ont été, historiquement, les principaux contributeurs à la croissance de la place financière.
Son récit démarre le dimanche 12 octobre avec une réunion de crise au siège de la succursale belge de Banque Kaupthing Luxembourg, trois jours après que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) ait gelé les avoirs de la maison-mère luxembourgeoise, à sa demande. Baudouin Velge est appelé par le management de Kaupthing Belgique (dont Stephan Richter qui avait conduit le destin de Robeco Luxembourg à sa création dans les années 1990 avant d’en être écarté) pour définir un « message » aux quelque 20 000 clients belges dont les avoirs ont été bloqués. Il s’agit aussi pour l’agence conseil en communication de trouver des soutiens auprès de la classe politique du royaume d’abord, puis au grand-duché et préparer le terrain d’une reprise des activités de la banque. Un communiqué prêt à l’emploi sera rédigé dans les premiers jours de l’intervention de l’agence de communication, au cas où un repreneur devait se manifester. Il faudra quand même attendre neuf mois pour qu’un tel scénario se produise et mette fin à une longue période d’incertitude sur le sort de l’argent des épargnants.
Au niveau politique, le premier point d’ancrage dans ce dossier sera le conseiller Luk Van Eylen de la cellule financière du Premier ministre belge, ancien journaliste au Standaard. Des deux côtés de la frontière belgo-luxembourgeoise, les officiels se montreront longtemps méfiants dans le dossier Kaupthing, arguant que les gouvernements, déjà fortement mis à contribution avec Fortis et Dexia, ne pouvaient pas sauver toutes les banques de la planète et en l’occurrence encore moins une petite banque d’origine islandaise, dont la disparition n’aurait pas de répercussions catastrophiques pour leurs économies respectives.
Le récit de Velge évoque le rôle (et les gaffes en série) de la CSSF, dont les agents travailleront longtemps sur le seul scénario de la faillite de la banque, les interférences parfois musclées entre ses administrateurs provisoires et les hyperactifs dirigeants de Kaupthing Luxembourg, l’intervention des administrateurs auprès de la CSSF pour que cette administration montre « plus de réserve » dans sa communication avec les épargnants. L’auteur passe sans doute trop brièvement sur l’intervention financière de la Banque centrale du Luxembourg, qui va prêter 800 millions d’euros en cash contre des actifs Kaupthing en gage. Il n’est en revanche pas avare de détails anecdotiques sur le rôle du groupe K, réunissant les épargnants belges de la banque.
Le sauvetage de Kaupthing est raconté de manière très directe, sans distance par rapport aux évènements, son auteur, d’abord payé par Kaupthing Belgique pour fournir du conseil en communication, portera par la suite une multitude de casquettes. Il contribuera à la rédaction de communiqués pour le Groupe K et « roulera » dans une certaine mesure pour Test Achat, qui va dans cette affaire Kaupthing se retrouver en porte-à-faux : l’organisation belge de consommateurs avait hissé Kaupthing au palmarès des banques, poussant des milliers d’épargnants belges à y souscrire un compte en raison des taux de rémunération avantageux. Test Achat s’en mordra les doigts par la suite. Comme pour se faire pardonner ce maladroit coup de pub, elle organisera peu après la cessation de paiement de l’établissement une très médiatique pétition des épargnants qui sera présentée à Luc Frieden et Jean-Claude Juncker.
L’implication des deux dirigeants luxembourgeois, qui vont rapidement prendre conscience, après une période de presque indifférence, de la nécessité de ne « pas laisser tomber Kaupthing », est brièvement évoquée par l’auteur, qui accorde, en lui déployant le tapis rouge, le rôle de premier violon au conseiller du Premier ministre Jean-Lou Siweck, ex-journaliste du Land au « regard pétillant d’intelligence et au nez saillant ».
Le livre de Baudouin Velge laisse le lecteur sur sa faim, notamment lorsqu’il raconte la candidature du fonds d’investissement libyen à la reprise de la banque. On aurait voulu savoir qui, à Luxembourg, s’est sali les mains et a négocié avec le Libyan Investment Authority et avoir aussi davantage de précisions, lorsque voyant leur affaire tourner au vinaigre, les Libyens ont cherché à s’allier avec les Américains de JC Flowers. Il manque aussi dans ce livre les détails pimentés de la reprise de Kaupthing par la famille Rowland et son fonds Blackfish Capital. On apprend quand même que c’est le patron lui-même de Kaupthing Luxembourg, l’Islandais Magnus Gudmundsson, qui a mouillé sa chemise et est allé dénicher ses nouveaux « Rothschild ». On voudrait enfin percer le mystère du retournement des banques créancières, qui toutes avaient profité de l’intervention financière des États au plus fort de la crise financière. D’abord opposées à l’idée d’une reprise, dans la mesure où la faillite de Kaupthing leur semblait financièrement plus avantageuse, elles vont finir par plébisciter le plan de reprise des Rowland.
L’Affaire K(aupthing) - Dans les coulisses du sauvetage de Baudouin Velge ; Roularta Books ; 2009