Une par jour Depuis deux semaines, il ne se passe pas un jour sans nouvelle révélation sur un dysfonctionnement dans une administration publique. La plus notoire étant la procédure disciplinaire lancée contre Pierre Barthelmé, conseiller de gouvernement première classe, coordinateur des départements Classes moyennes et Tourisme du ministère de l’Économie et accessoirement candidat CSV aux législatives du 20 octobre dernier dans la circonscription Sud. Il se serait servi de ses privilèges de haut fonctionnaire pour avoir accès au Registre national des personnes physiques et y voler les adresses postales de ses électeurs potentiels, pour ensuite les honorer d’une lettre de campagne individualisée – violant ainsi ouvertement la législation sur la protection des données. En outre, a-t-on appris en début de cette semaine, il aurait fait traduire des parties du programme électoral de son parti par les services du ministère. Avant que le Vice-Premier ministre Etienne Schneider (LSAP) ne reprenne les Classes moyennes et le Tourisme en décembre 2013, ces deux départements étaient pendant des décennies aux mains d’élus CSV, en dernier entre celles de Françoise Hetto-Gaasch et avant elle, de Fernand Boden. « Est-ce que l’ancienne ministre était au courant de ces agissements ? » demandent les Jeunesses socialistes dans un communiqué publié mercredi, rappelant justement que la ministre et le fonctionnaire étaient adhérents du même parti.
Laxisme militaire La même semaine, Etienne Schneider, également nouveau ministre de la Défense, a annoncé avoir déposé plainte contre plusieurs fonctionnaires de la musique militaire afin qu’une enquête disciplinaire puisse également y être ouverte. Selon les reproches relayés par le Luxemburger Wort et Le Quotidien, les musiciens auraient instauré un système d’abus des jours de congés et des heures supplémentaires et détourné des fonds par le biais d’une asbl douteuse. Ce mercredi, Etienne Schneider confirmait en outre deux procédures disciplinaires contre un ouvrier et un adjudant-chef du Centre de communications du gouvernement à Senningen, auxquels sont reprochés des abus comme envoyer des soldats faire des courses privées durant leur service, la construction d’affûts perchés dans les ateliers du centre pour les revendre, voire même la distillation d’eaux-de-vie... « Je suppose que ce n’est pas la dernière affaire du genre que j’aurai à dénoncer, » réagit le ministre à l’antenne de RTL Radio Lëtzebuerg mercredi, rappelant haut et fort l’ambition du gouvernement DP-LSAP-Verts d’un zéro tolérance en matière de dysfonctionnements. Le ministère de la Défense était lui aussi durant des décennies aux mains du CSV (Jean-Marie Halsdorf, Jean-Louis Schiltz, Luc Frieden ; avec un interlude DP, Charles Goerens, il y a quinze ans).
Avec un acte fortement symbolique, le même Etienne Schneider s’est d’ailleurs formellement excusé la semaine dernière auprès de l’ancien chef d’état-major général Nico Ries pour sa mise à la retraite anticipée opérée à l’époque par Jean-Louis Schiltz, le réintégrant dans l’armée avec le titre de directeur de l’armement. Ries s’était battu devant toutes les instances juridiques contre ce qu’il estimait être une injustice – la vraie raison de sa mise à l’écart auraient été des divergences de vue et une incompatibilité entre le fonctionnaire et le ministre – et avait gagné haut la main. Toutes ces actions publiques, lancées un mois après que les vagues de l’affaire Francine Closener se soient calmées (la nouvelle secrétaire d’État aux ministères d’Etienne Schneider était partie au ski en voiture de fonction et avec des immatriculations CD, ce qui avait déclenché un véritable shitstorm sur le web), prennent des airs de grand nettoyage dans les administrations réputées CSV. Au moins pour la phrase « le Gouvernement se penchera sur la question des délais jugés trop longs en matière disciplinaire » dans l’accord de coalition, les choses semblent désormais bouger assez vite.
La confiance, oui, mais... À cela s’ajoute l’annonce de la ministre du Logement, Maggy Nagel (DP), de vouloir remplacer l’actuel coordinateur du ministère du Logement, le premier conseiller de gouvernement Daniel Miltgen, qu’on dit proche de ses ministres CSV successifs (Fernand Boden, Marco Schank) par le commissaire du gouvernement près des CFL, Paul Schmit, adhérent fidèle du DP, jadis mis à l’écart par Lucien Lux (LSAP) au ministère des Transports (la nomination n’est pas encore effective). Au ministère d’État, Xavier Bettel (DP) a remplacé le secrétaire général et son adjoint, Marc Colas et Luc Feller (échevin CSV à Mamer) par des hommes de confiance, Jean-Paul Senninger (DP) et Jacques Thill. « Mais ce n’est aucunément une chasse aux sorcières, insiste le Premier ministre vis-à-vis du Land. Ces postes sont renouvelés tous les cinq ans, à chaque nouvelle législature, donc il était tout à fait normal de les remplacer... » Marc Colas reste administrateur général du ministère d’État, alors que le premier conseiller de gouvernement Luc Feller vient d’être assigné au ministère des Cultes, où il aura en charge, avec Jean Zahlen, d’analyser les conventionnements des cultes.
« Je n’ai pas créé de ‘service aux porcelaines de Limoges du XIXe siècle’ pour mettre à l’écart les anciens du ministère, le résume Xavier Bettel par une boutade. Mais, et je l’ai dit dès mon arrivée, je demande fidélité et loyauté de la part des fonctionnaires avec lesquels je travaille. Je dois pouvoir leur faire confiance. Une fois que ce n’est plus le cas, on verra... » Et de souligner qu’il n’a viré personne, qu’un seul fonctionnaire a quitté le ministère parce qu’il était responsable de la Grande Région, et qu’il est désormais attaché, avec son département, aux services de la ministre de la Grande Région Corinne Cahen. Deux autres hauts fonctionnaires, « sur notre payroll, mais que nous ne voyions jamais » ont été convoqués à deux reprises et se verront attribuer des responsabilités mieux définies.
Antécédents Dès la campagne électorale, non, dès que la possibilité d’élections anticipées se dessinait, et même encore plus tôt, dès les révélations sur les dysfonctionnements au sein du Service de renseignements de l’État et les mesures très délicates à l’encontre de son ancien directeur pourtant jugé fautif – Marco Mille avait encore grimpé en grade dans l’administration publique avant de pouvoir partir la tête haute dans le service privé en Allemagne au lieu de se voir infliger une procédure disciplinaire pour, entre autres, l’enregistrement illicite d’un entretien avec le Premier ministre, son supérieur hiérarchique, avec une montre trafiquée (cette procédure n’a été lancée que le 15 octobre 2013) –, le DP, les Verts et même le LSAP prônaient une autre gouvernance des affaires publiques. Plus de transparence, mais aussi plus de déontologie et d’éthique. Ce qui leur a certainement valu beaucoup de voix – et n’a fait qu’amplifier l’indignation publique avec l’affaire Closener, qui prouvait le relativité de cette promesse. Avec la grande offensive actuelle, le gouvernement pourrait aussi vouloir reprendre les affaires en mains.
Cabinet politique En 1998, le ministre de la Santé de l’époque, Johny Lahure (LSAP) avait démissionné, assumant la responsabilité politique de graves dysfonctionnements dans son ministère. À l’époque, la vraie responsabilité en avait été attribuée à son administration, notamment des fonctionnaires politisés, qui n’ont jamais été inquiétés. De cette expérience douloureuse, le LSAP a tiré ses conséquences. En revenant au pouvoir en 2004, certains ministres placardisaient ceux des fonctionnaires qui étaient jugés trop proches d’un autre parti, et donc dangereux. L’idée d’instaurer une sorte de « cabinet politique » dans chaque ministère, avec des hommes et femmes de confiance du mandataire politique, arrivant et repartant avec lui, a été plusieurs fois évoquée par Jeannot Krecké, ministre socialiste de l’Économie à l’époque, sans qu’il n’ait jamais pu être instauré. Car on comprend qu’un ministre puisse vouloir avoir ses référents auxquels il puisse se fier aveuglément et qui soient ses plus proches conseillers ; le système est courant ailleurs, en France, en Belgique ou aux États-Unis. Contrairement aux fonctionnaires nommés à vie – et qui, ayant acquis une certaine ancienneté, regardent parfois le changements de leurs ministres de tutelle avec un certain amusement, voire dédain –, ces conseillers politiques seraient engagés à durée déterminée et il n’y aurait pas besoin de les placer ailleurs après. En outre, le fait qu’ils afficheraient clairement leur couleur politique augmenterait largement la transparence. Durant les négociations de coalition de novembre 2013, le thème a de nouveau été abordé, les Verts plaidant pour de tels cabinets politiques, mais les deux autres partis se seraient exprimés contre leur instauration.
Transparence « Moi, ce que je veux, en tant que chef du gouvernement et en tant que président du DP, c’est que toutes les nominations se fassent en toute transparence ! » affirme encore Xavier Bettel. Qui ne s’exprime pas contre l’instauration de cabinets politiques, au contraire, il promet que leur opportunité sera analysée dans le cadre de la grande réforme de la fonction publique.
Car le DP a, lui aussi, un certain nombre de proches conseillers qui pourraient intégrer l’administration publique en tant que consultants de leurs ministres. Mais le système actuel de la fonction publique est extrêmement restrictif et égalitaire, demandant aux candidats au fonctionnariat de se soumettre à des examens publics. Si le candidat est pris, son ancienneté dans le secteur privé n’est valorisé que pour moitié, ce qui rend les salaires peu compétitifs avec le secteur privé. Ensuite, le numerus clausus fixe leur attribution, ce n’est pas forcément à eux de choisir. Alors, la ruse veut que pour embaucher un expert qualifié dans un certain domaine, le ministre l’engage comme « employé au service de l’État », puis, après quelques années, le fonctionnarise pour « services extraordinaires ». Restent les problèmes de carrières et de grades : le règlement grand-ducal du 27 juin 2013 fixe au nombre de 41 les « premiers conseillers de gouvernement », qui sont un peu la carrière politique au sein de l’administration. Ce cadre est plein actuellement, ce qui explique le bouchon des nominations de ces conseillers en attente.
Les sirènes du pouvoir Les « administrateurs généraux » ne sont plus qu’au nombre de trois ; dans un souci de faire des économies, le gouvernement Bettel-Schneider-Braz a promis de ne pas remplacer les trois postes libres, affirmant que les trois secrétaires d’État faisaient le même boulot. Or, on peut considérer que le travail d’un administrateur et celui d’un décideur politique sont en fait exactement à l’opposé. Mais durant les négociations de coalition, il s’agissait en premier lieu de satisfaire les trois partis dans leurs aspirations de pouvoir : les Verts devaient placer Camille Gira et au moins une femme, la possibilité d’avoir des secrétaires d’État devenait vite attractive.
Au-delà de ce jeu de chaises musicales renouvelé à chaque changement de majorité, une réforme plus en profondeur des hiérarchies et des responsabilités des (hauts) fonctionnaires sera-t-elle entamée par ce gouvernement ? « Un fonctionnaire doit en premier lieu exécuter les lois, » fait transmettre la toute-puissante Confédération générale de la fonction publique (CGFP) à la demande du Land quant à sa position vis-à-vis de l’idée du « fonctionnaire politique ». « Bien sûr, le fonctionnaire est aussi un citoyen, et a donc le droit de s’engager politiquement. Mais cet engagement ne doit en aucun cas interférer avec son travail. » Dans le cadre de la publication d’un rapport de la Commission européenne sur le coût de la corruption en Europe, Transparency International Luxembourg a d’ailleurs à nouveau rappelé ce lundi que le grand-duché ne dispose toujours pas de ce code de déontolgie si longtemps discuté et promis pour les fonctionnaires de l’État. Le chantier du ministre de la Fonction publique Dan Kersch (LSAP) est énorme.