Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidentielle française, n’a pas été confrontée à la question publique mercredi, lors de sa visite au Premier ministre Jean-Claude Juncker, de savoir si elle considère le Luxembourg comme un paradis fiscal contre lequel un blocus est nécessaire pour lui faire renoncer définitivement au secret bancaire. Les journalistes n’ont pas eu l’occasion de l’interroger sur ce point. Toutefois le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn, qui était avec Jean-Claude Juncker de la partie lors du déjeuner organisé avec Madame Royal et la délégation française, a fait savoir que le sujet fut abordé sans détour et que la candidate a pris ses distances par rapport aux propos désobligeants de l’un de ses porte-paroles de campagne, Arnaud Montebourg.
Ce dernier n’était pas du voyage mercredi à Luxembourg. C’eût été une provocation. La candidate socialiste lui avait préféré Jean-Louis Bianco, comme pour bien montrer que sa rencontre avec Jean-Claude Juncker, doyen de l’UE, était entièrement placée sous le signe de l’Europe et des remèdes à formuler pour lui trouver un nouveau traité afin que ses institutions fonctionnent à 27, après le « non » des Français au référendum sur la Constitution. Rien que des choses sérieuses qui ont désormais mis au rang de l’anecdote les propos douteux du député socialiste.
D’ailleurs, du côté luxembourgeois, personne, ou presque, ne veut s’attarder davantage sur ses dérapages. Rien à voir avec la mobilisation nationale qui s’était produite lors de la sortie du rapport parlementaire français sur le Luxembourg, initié par le même homme qui présentait volontiers le Grand-Duché comme un sanctuaire du blanchiment de capitaux.
Luc Frieden, quant à lui, a viré à 180 degrés sur sa stratégie à suivre pour répliquer aux attaques formulées contre la place financière. Il méprise la basse besogne et n’hésite pas à frapper à la porte des dirigeants d’organisations internationales pour en finir avec les préjugés sur le Luxembourg. Fini les conférences de presse mal préparées pour répondre aux assaillants, comme ce fut le cas en 2001 à l’ambassade du Luxembourg à Paris après la sortie du Rapport Montebourg sur le blanchiment. Les autorités jouent sur un autre registre aujourd’hui, plus professionnel et autrement plus efficace. Le ministre du Trésor et du Budget en a fait la démonstration mardi en passant deux heures avec le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, pour le convaincre du « sérieux » et de la probité de la place financière, justifier l’existence du secret bancaire, auquel il n’est pas question de toucher, et trouver un peu plus de « compréhension » auprès de ses partenaires internationaux.
Luc Frieden avait d’ailleurs rappelé la semaine dernière en Suisse, aux côtés de son homologue, sa détermination à défendre le secret bancaire et ce qui reste de la souveraineté nationale en matière de fiscalité. Il en avait aussi profité pour donner le change à Arnaud Montebourg, sans d’ailleurs avoir eu à prononcer son nom. Le gouvernement refuse désormais de polémiquer davantage et il n’a pas tort.
Le ministre CSV a d’autres chats à fouetter. Il a fait mercredi lors d’un point presse un bref résumé de ses entretiens avec Angel Gurria. D’abord, Luc Frieden table sur une suppression du Luxembourg de la liste des juridictions ayant des pratiques fiscales dommageables sur laquelle il fut mis en 1998 en raison de sa législation sur les sociétés holdings. La loi ayant été abrogée à la fin de l’année dernière, il n’y a plus de raison, selon Frieden, de faire figurer le Grand-Duché sur cette liste « grise ». La prochaine réunion du comité des affaires fiscales de l’OCDE devrait donc logiquement le rayer de la liste. C’est la première épine qui sera enlevée du pied.
Reste le volet de la lutte contre la fraude fiscale. L’organisation basée à Paris avait épinglé le Luxembourg en 2000 sur le fonctionnement peu satisfaisant de l’échange d’informations entre les administrations fiscales en raison de l’existence du secret bancaire. Le ministre a fait comprendre au secrétaire général de l’OCDE que sa position resterait ferme : pas question de donner aux administrations étrangères d’accès direct aux informations financières. Luc Frieden considère sur ce point que les instruments juridiques en place sont suffisants pour lutter efficacement contre l’escroquerie fiscale. De là à transiger en autorisant l’administration fiscale à connaître les clients des banques, il y a un pas que le ministre ne franchira pas de sitôt, secret bancaire oblige. Et sur ce point, le Luxembourg peut compter sur des alliés dans l’UE, notamment autrichiens et belges.
Ceci dit, Luc Frieden réfléchit à une meilleure collaboration entre l’Administration des contributions directes et l’Administration de l’enregistrement et des domaines. Il s’agit d’ailleurs d’une promesse formulée il y a deux ans par Jean-Claude Juncker lors de sa déclaration sur l’état de la nation. « Il n’est pas question de fusion, a-t-il expliqué, mais de la mise en place de procédures d’échanges d’informations entre les deux administrations ». Le gouvernement cherche également des remèdes à l’incompatibilité entre le secret fiscal auquel sont tenus les fonctionnaires du fisc et la lutte contre la criminalité, notamment la corruption. Luc Frieden a d’ailleurs annoncé la finalisation, au courant du mois de février, d’un avant-projet de loi introduisant au Luxembourg la responsabilité pénale des personnes morales. Certaines conventions internationales, signées par le Luxembourg, l’exigent, bien que les milieux d’affaires, notamment le secteur financier, s’y soient toujours opposés. Question de réputation. Entre le nom d’un patron cité devant un juge d’instruction ou un tribunal et celui d’une société, la communauté financière a toujours préféré la peste au choléra.