Les syndicats, encore unis et solidaires, ont tapé le pavé, jeudi matin, devant le siège de la Dexia, protestant ainsi contre la proposition du patronat bancaire de mettre un terme à la prime d’ancienneté pour la remplacer par un système d’avancement de carrière s’appuyant sur la méritocratie des salariés du secteur financier.
Le siège de la Dexia n’a pas été choisi au hasard. C’est la première banque à avoir mis en musique la recommandation prétendument « illégale » de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) de ne pas payer d’augmentations de salaires sur la base des critères d’ancienneté. Histoire pour le patronat d’être logique avec lui-même. En payant ces primes, l’ABBL donnerait en effet l’impression de cautionner un système dont elle ne veut plus. Les trois syndicats OGBL, LCGB et Aleba craignent à juste titre que cet exemple fasse tache d’huile et se gagne l’ensemble des banques de la place. D’autres actions syndicales sont attendues la semaine prochaine.
Marc Glesener, le patron de l’Aleba, a évoqué mardi lors d’une conférence de presse, le recours à de nouvelles mesures de représailles, notamment des recours individuels devant les tribunaux pour violation des dispositions inscrites dans la convention collective des banques. L’ancienne version s’entend. Celle qui a été dénoncée dans son ensemble en fin d’année par le patronat bancaire. En l’absence d’un nouvel accord, les syndicats considèrent que l’ancien texte reste d’application. Son interprétation ne serait pas sans quelque ambiguités.
Les dirigeants de l’ABBL, après plusieurs ballons d’essais infructueux, se disent déterminés à ne plus intégrer dans le texte de la convention, de références aux primes d’ancienneté, jugées « archaïques » et inadaptées aux voeux des employés du secteur financier. Les salariés seraient « demandeurs » d’un système de rémunération valorisant davantage « leurs efforts personnels ». Exit les automatismes clonés sur les barèmes de la fonction publique qui font des employés de banques des gens aussi pantouflards que les fonctionnaires d’État.
Face à l’ABBL, les syndicats montrent leurs muscles et jugent leurs positions « irréconciliables » avec celles du patronat. Le ton est monté d’un cran mardi 16 janvier. Les négociations pour une nouvelle convention dans le secteur ont été stoppées, après dix réunions, après que les délégués syndicaux aient claqué la porte aux patrons. En façade, les syndicats font montre non seulement de détermination, mais aussi d’unité. Cette semaine, c’est à travers un communiqué commun que l’Aleba, l’OGBL et le LCGB, ont annoncé la rupture du dialogue. La question est de savoir combien de temps cette unité va durer. Dans les tours de table précédant la conclusion de conventions collectives, il y toujours eu une centrale qui se désolidarisait des autres pour accepter au final la solution de compromis avec l’ABBL. Qui sera le traitre à la cause cette fois ?
Les dirigeants de l’association des banques se déclarent pour leur part « flexibles » et se disent prêts à mettre de l’eau dans leur vin. Mais pas au point de renoncer en si bon chemin à tirer un trait sur le système de rémunération qui privilégie l’ancienneté au mérite personnel.
Quelle est d’ailleurs la marge de manoeuvre de Jean-Jacques Rommes, le directeur général de l’ABBL ? La nouvelle organisation de l’association fait désormais la part belle aux banques allemandes, largement majoritaires dans leur représentation. C’est précisément du côté allemand que viennent les plus fortes pressions pour tenter de maîtriser les hausses automatiques des salaires et les coûts salariaux tout court. Un mécanisme qui trouve aussi peu de compréhension que de sympathies auprès des maisons mères étrangères des établissements de crédit implantés au Luxembourg.
Selon les chiffres publiés cette semaine par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), les frais de personnel ont augmenté de plus de onze pour cent entre 2005 et 2006. Sous l’effet des recrutements autant que celui des hausses de salaires. Ceci dit, une étude conjointe de l’ABBL et de Deloitte Luxembourg a montré que la plupart des embauches des trois dernières années concernait le secteur de la compliance, qui pèse plus qu’il ne rapporte aux banques luxembourgeoises.
Le patronat bancaire a d’ailleurs bien préparé le terrain auprès de l’opinion publique pour présenter le système des barèmes d’ancienneté comme un archaïsme d’une ère désormais révolue. L’un de ses premiers actes forts fut la publication, peu après la rentrée 2006, d’un sondage TNS/Ilres auprès de 4 000 employés du secteur financier concluant que « la structure de motivation et de rémunération ne semble plus être perçue comme adaptée aux temps modernes ». Pire, l’étude a souligné le déficit de gens à haute motivation capables d’entraîner les autres salariés.
Le Luxembourg apparaissait sur ce plan comme le cancre de la classe européenne alors que la concurrence entre les centres financiers s’aiguise avec la venue notamment dans le club de l’UE de nouveaux pays à bas coûts de main d’oeuvre. « L’ABBL, soulignait un communiqué de l’organisation, tiendra compte des avis des employés pour développer, ensemble avec les partenaires sociaux, des structures et modèles de motivation modernes, compétitifs et adaptés aux attentes du personnel du secteur ». Les partenaires sociaux n’ont toujours pas digéré le sondage de l’automne dernier.
Pas plus qu’ils n’admettent la justification économique de la fin de l’échelon d’ancienneté. Ces primes ne représentent, selon eux, que 0,4 pour cent de la masse salariale. Les dirigeants de l’ABBL avancent d’autres chiffres : « Le poids de ces primes à l’ancienneté dépend d’une banque à l’autre en fonction de nombreux paramètres et peut aller de 0,4 à 0,6 ou 0,7 pour cent de la masse salariale, » affirme Fernand Grulms, directeur général adjoint de l’ABBL. Pour gagner du temps et « montrer sa bonne foi », l’organisation patronale a décidé de s’en remettre à l’arbitrage du tribunal du travail et demande une « clarification judiciaire » pour savoir si oui ou non, sa recommandation aux banques de ne pas payer la prime d’ancienneté, pourtant inscrite dans la convention collective dénoncée, est légale. « L’ABBL n’entend nullement se placer en-dehors de la loi, » affirme son dernier communiqué. Elle a promis de respecter le verdict du tribunal arbitral. Il n’est pas sûr, pour autant, que la décision des juges du travail enterre le débat sur le maintien de la prime aux salariés qui pointent le plus de croix sur le calendrier de leur carrière.