Selon le sociologue américain Randall Collins, le gonflement du marché de l’éducation s’apparenterait à un « keynésianisme caché », « un peu l’équivalent des programmes du New Deal » : « Le chômage technologique fait de l’école un lieu de refuge pour tous ceux qui fuient un marché de travail toujours plus exigu », écrit-il dans Le capitalisme a-t-il un avenir ? (La Découverte, 2014). Or cette soupape du capitalisme conduirait à une « inflation des diplômes » dont la valeur d’échange sur le marché de l’emploi serait en chute libre. Collins dit constater une « mise en circulation d’une nouvelle monnaie éducative de faible valeur, parallèlement à la monnaie traditionnelle, plus appréciée ».
Le gouvernement craint que le Luxembourg ne se dégrade en Panama académique, domiciliataire pour MBA dépréciés. Un « comité d’accréditation » veille à ce que les instituts privés ne soient de simples universités boîtes-aux-lettres. Il applique le critère de la substance et, de plus en plus fréquemment, refuse l’accréditation. Une politique prudente qui s’explique par le souci de préserver la réputation de la jeune Uni.lu et de sa Luxembourg School of Finance (minerval : 17 500 euros).
Le ministère de l’Enseignement supérieur a ainsi refusé d’accréditer la Luxembourg School of Business, lancée par la famille Njavro. En 2002, les Njavro avaient fondé la Zagreb School of Economics and Managament. Au Luxembourg, pour 30 000 euros de frais d’inscription, on peut suivre un programme de MBA pendant les week-ends. La première promotion a été lancée en septembre. Le site Internet de l’école privée promet un « career accelerator ». Dans une vidéo de promotion, un étudiant explique sa motivation : « I was at a point in my career where I felt that an MBA would give me the kind of polish I need to progress ».
Le Business Science Institute (20 924 euros) donne accès à un « Executive doctorat in business administration », un élément de distinction professionnelle dans un milieu où les MBA sont largement banalisés. (Toujours est-il que le dossier fut jugé irrecevable par le comité d’accréditation.) Du Québec au Sénégal, le BSI compte une cinquantaine d’inscrits, éparpillés à travers une demi-douzaine de pays. Parmi les premiers diplômés, on retrouve le directeur des ressources humaines d’une chaîne de supermarchés suisse, le vice-directeur d’une entreprise pharmaceutique ou encore un haut fonctionnaire du canton de Genève. Le siège du BSI se trouve dans le château de Wiltz, noyau d’un improbable campus (voir d’Land du 23 octobre 2015) ; un cadre « isolé, bucolique et sanctuarisé », comme l’a décrit son fondateur Michel Kalika (par ailleurs professeur à Lyon 3). Or, à Wiltz, les activités du BSI se limitent surtout aux remises de diplômes – le château fournissant un décor d’historicité et de respectabilité aux « doctorats » lights.
Le MBA offert par l’United Business Institute (UBI) s’adresse à des jeunes étudiants. Également domicilié dans le château de Wiltz, l’UBI peine à attirer plus de dix inscrits par an. La mini-école a transité son siège de Bruxelles au Luxembourg pour contourner les stricts critères linguistiques belges. Avec un minerval de 10 400 euros, il offre un MBA assez bon marché, du moins en comparaison avec la concurrence. Or, son offre générique et son manque d’ancrage local handicapent l’institution (pourtant accréditée par le ministère).
Il existe une flopée d’autres MBA, offerts par l’Eufom, la Sacred Heart University ou encore le Lifelong Learning Center (voir aussi d’Land du 10 juillet 2015). Ce dernier travaille en collaboration avec des universités françaises comme Paris II, Rennes I ou Nancy II (entre 6 000 et 8 000 euros). Pour les universités publiques, les MBA sont des machines à sous : un minimum d’heures de cours pour un maximum de frais d’inscriptions. Au Luxembourg, le titre « master in business administration » devait légitimer a posteriori des carrières sur une place financière dont le développement avait été plus tributaire de niches que de compétences. Alors que valent les MBA offerts sur le marché luxembourgeois ? Pour des MBA de seconde zone, le gain symbolique semble minime. Et alors que les cours en ligne connaissent un boom, leur valeur d’échange devrait encore baisser.