« Quoi qu’on fasse, on est toujours entre le marteau et l’enclume, constate Vincent Sybertz : pour les uns, on est trop sympas, pour les autres, on ne l’est pas assez... » Le juriste de formation est au Centre de rétention depuis sa phase de conception, au tournant de l’année 2010, à l’époque comme directeur adjoint de Fari Khabirpour, puis, depuis 2013, lorsque ce dernier a pris sa retraite, comme directeur. Il a continué dans la philosophie de Khabirpour, le psychologue pacifiste, une approche très humaniste, misant sur un accueil décontracté dans le respect des droits humains des retenus, quelle que soit la raison de leur venue ici. « Nous ne les jugeons pas pour ce qu’ils ont fait à l’extérieur », ajoute Nathalie Majeres, directrice adjointe et criminologue de formation. Pour eux, leur mission commence lorsqu’un nouveau retenu est amené par la police – et ils n’ont pas de contrôle là dessus, le dernier locataire est arrivé ce week-end – et se termine le jour où il traverse le portail, que ce soit avec la police pour être rapatrié dans son pays d’origine, ou à pied et seul, pour retrouver la liberté (ce qui est le cas pour un tiers des retenus).
La semaine dernière, le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot s’offusquait une nouvelle fois, lors d’une conférence de presse, du risque de « banalisation de la rétention des demandeurs de protection internationale ». Avant de rappeler son opposition formelle au placement en rétention de mineurs et de leurs familles ou sa revendication de la mise en place d’alternatives moins coercitives pour contrôler les demandeurs de protection internationale déboutés et en attente d’être rapatriés. Reproches auxquels le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, Jean Asselborn (LSAP) réagit immédiatement par voie de communiqué, affirmant qu’en pratique, la durée moyenne de rétention de familles avec enfants ne fut que de 3,46 jours en 2017 (alors que la loi permet un placement de sept jours maximum) et que seuls 94 membres de familles furent placés au Centre de rétention l’année dernière. Aucune famille n’y a encore séjourné depuis janvier de cette année.
Le Land a donc voulu aller vérifier sur place ce qu’il en est de ce Centre de rétention : prison bis ou hôtel pour criminels ? « Nous sommes effectivement comme un hôtel, que nous gérons, mais dont nous n’avons pas le contrôle des entrées et des sorties », aime à blaguer Vincent Sybertz. Qui sait que pour les retenus, ils sont considérés comme faisant partie du « méchant système » auquel ils doivent leur enfermement ici. Dès leur arrivée par voiture de police, les retenus sont amplement informés sur leur rétention, les règles du centre – qui leur sont aussi remises par voie écrite dans la langue de leur choix dans un petit Guide du retenu –, les avantages et les aspects négatifs de cet enfermement. « La plupart d’entre eux apprécient cette franchise », explique le directeur. « Nous leur expliquons aussi que nous n’avons aucune influence sur l’évolution de leur dossier », ajoute Nathalie Majeres. Une fois briefés, les retenus ont beaucoup de libertés : une chambre individuelle (qui n’est pas appelée cellule, pour l’effet psychologique), qui n’est fermée à clé qu’entre 21h30 et 7 heures, une salle de sport, une salle internet avec accès confidentiel, la possibilité de recevoir des visites, de sortir dans la cour, de consulter des livres à la bibliothèque, de prier, de consulter un médecin ou un dentiste... Tout cela dans le concept d’« ouvrir vers l’extérieur le plus possible ».
Si le Centre de rétention a été pensé à ses débuts comme une infrastructure permettant de mieux gérer les personnes déboutées du droit d’asile, que le Luxembourg plaça jusque-là en prison à Schrassig, alors même qu’elles n’avaient pas commis de crime (fait pour lequel il se fit régulièrement taper sur les doigts par les instances européennes de surveillance des droits de l’Homme), la population du centre a beaucoup changé depuis. Actuellement, il accueille surtout des étrangers en situation irrégulière, arrêtés sans papiers ou venant de la prison et interdits de territoire. « Ceux qui sortent de prison sont d’ailleurs les plus difficiles à gérer, dit Vincent Sybertz. Parce que quand, le jour de leur sortie présumée, on leur dit que non, c’est pas la liberté, mais la rétention et l’expulsion qui les attendent, ils ressentent cela comme une double peine ». Mais pour l’équipe du Centre de rétention, le statut des retenus n’est pas leur affaire et la direction ne leur pose pas de questions à ce sujet. Même si, à force, certains des retenus aiment à se vanter du nombre d’années de prison qu’ils ont faites ou du nombre de personnes qu’ils ont tuées. Ce lundi, jour de notre visite sur place, il y avait 44 retenus masculins – la capacité maximale étant quasi atteinte, avec une seule chambre encore libre – et quatre femmes. L’unité réservée aux femmes et aux familles a une capacité maximale de quatorze chambres, mais l’année dernière, au maximum six de ces chambres étaient occupées simultanément. La durée de rétention moyenne était de 59 jours pour les hommes seuls en 2017, avec un maximum (exceptionnel) de jusqu’à six mois. Le record d’un retenu originaire du Kosovo était neuf enfermements consécutifs, l’intéressé ayant réussi à revenir clandestinement au Luxembourg huit fois de suite – et se faisant arrêter et expulser à chaque fois. Le centre a un budget de fonctionnement (hors frais de personnel) de trois millions d’euros annuels ; cent personnes y travaillent, plus entre quatre et six agents de sécurité d’une société privée externe.
Le 20 novembre 2017, Vincent Sybertz était invité par la commission parlementaire en charge de l’Immigration pour tirer un « premier bilan » du Centre de rétention, après six ans de fonctionnement. Où il revint sur les 17 personnes qui ont réussi à prendre la fuite depuis les débuts – des barbelés ont été ajoutés au-dessus des cloisons extérieures de quatre mètres de hauteur après les premières évasions. Dans le rapport annuel du ministère pour 2017, on apprend que cinquante retenus passés par le Findel étaient de nationalité nigériane, 44 étaient Algériens, 44 Marocains, 43 Albanais ou encore 42 Serbes. « C’est, constate Vincent Sybertz, effectivement une population très difficile. » Ce qui explique peut-être que les représentants des ONGs ne sont pas nombreux à se presser au portail pour venir proposer des activités de loisirs (bien qu’une quarantaine de personnes soient accréditées). Lors de notre visite, c’était tout de suite les doigts d’honneur venant de la salle de sport en notre direction. « Mais je crois pouvoir dire que généralement, nous avons une très bonne ambiance à l’intérieur de la structure », promet le directeur, au petit soin pour répondre à la moindre critique interne – les retenus se plaignaient par exemple des repas « trop sains » et demandaient plutôt du junk-food, il leur a donné suite – ou externe. Même si un organe de contrôle, comme le Comité européen pour la prévention de la torture affirme son « impression favorable » dans le dernier rapport, de 2016, des ajustements ont été faits quant à l’aspect plus gai de la structure type container (peinture colorée et tableaux de Jacques Schneider) ou de l’intimité des lieux (mise en place de cabines téléphoniques). Alors, la réputation du centre est même telle que récemment, un sans-papiers logeant dans la structure de la Wanteraktioun, non loin de là, est venu demander s’il ne pouvait pas plutôt habiter au Centre de rétention, où il bénéficierait d’une chambre individuelle correspondant aux normes d’hygiène, au lieu d’un dortoir surpeuplé à l’hygiène douteuse. On n’a pas pu l’y accueillir, le placement étant décidé par un juge.