Comme un cheveu sur la soupe. Le conseil de gouvernement a dit oui vendredi 29 juin au projet de loi qui doit parfaire le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le but est de transposer la troisième directive européenne, du moins une partie de la réglementation européenne.
On pare ainsi au plus urgent en reprenant de vieilles exigences d’organisations internationales comme le Groupe d’action financière (GAFI) et d’autres impératifs dictés notamment par le conseil des ministres de la Justice de l’UE il y a plus de six ans (une décision cadre 2001/500/JAI notamment). Le GAFI va d’ailleurs s’inviter au cours de l’année 2008 à Luxembourg pour procéder à une nouvelle évaluation de son dispositif anti-blanchiment. Autant montrer ses plus beaux atours et être fit and clean lors de l’examen de passage devant les experts.
La troisième directive doit pourtant être ancrée dans son intégralité dans le droit luxembourgeois pour le 15 décembre 2007 au plus tard. Elle ne le sera donc qu’à moitié car le temps manquera pour procéder à un nettoyage complet de l’arsenal législatif anti-blanchiment. Le morceau de la directive de 2005, qui fait actuellement consensus au Grand-Duché, porte sur une extension des infractions sous-jacentes au blanchiment1.
Dilatation qui hier encore soulevait bien des hauts le coeur, mais qui s’impose aujourd’hui comme l’ont souligné les magistrats de la Cellule de renseignement financier dans leur rapport annuel. « Il y a lieu de constater que la tendance observée les années précédentes, à savoir une prédominance des infractions relevant de la criminalité générale, non reprise dans la liste des infractions primaires à l’infraction de blanchiment au sens de la legislation luxembourgeoise, s’accentue en proportion pendant la période 2005-2006 », relèvent-ils. De 41 pour cent en 2003, la proportion de déclarations impliquant des infractions relevant de la criminalité générale et donc exclue du champ d’application de l’infraction de blanchiment est passée à 67 pour cent en 2006. Les flux de cet argent transitant par les établissements financiers sont tout aussi considérables que les montants recyclés par les trafiquants de drogue, par exemple.
Pourquoi est-ce important d’élargir le périmètre des infractions? Les professionnels, commeles banquiers, les avocats, les notaires ou même les agents immobiliers, sont soumis à l’obligation de signaler au Parquet constatoutes les opérations qui leur semblent suspectes. S’ils ne font pas les dilligences nécessaires alors qu’ils sont censés demander à leurs clients la provenance de leurs fonds, ils violent leurs obligations professionnelles.
Ces violations ne sont plus punissables de peines de prison. Seulement de peines d’amende. Évidemment, plus la liste des infractions tombant sous le joug du blanchiment est longue, moins les milieux criminels ont de chance de pouvoir recycler leurs revenus dans les circuits financiers légaux.
Il ne faut pas s’attendre à davantage d’avancées du dispositif anti-blanchiment dans l’immédiat alors que la troisième directive oblige par exemple les États membres à octroyer un vrai statut à leurs autorités chargées sur le plannational de lutter contre le blanchiment d’argent et de recueillir les dénonciations de transactions suspectes (au Grand-Duché, il s’agit de la Cellule de renseignement financier qui dépend du Parquet). La refonte de l’organisation de cette cellule est à l’étude, comme l’a confirmé récemment une représentante du ministère de la Justice aux membres de la commission juridique dans le cadre de la préparation du débat sur la sécurité intérieure. Les travaux ne sont pas suffisamment avancés pour en faire sortir un projet de loi avant la fin de l’année. Il semble toutefois acquis que la future CRF revêtira les habits d’une autorité administrative, à l’instar de ce qui se fait au Liechtenstein.
Encore faudra-t-il lui donner les ressources humaines nécessaires à son fonctionnement. À l’heure actuelle, la cellule de renseignement financier fonctionne sous l’égide du Parquet avec trois magistrats dont un à mi-temps et un analyste financier.
Voici donc venir une nouvelle fois une directive Canada Dry : tout dans l’apparence et pas grand-chose dans le contenu du verre. Les autorités luxembourgeoises espèrent encore mystifier leur monde, comme elles le firent en 2004 lors de la transposition de la seconde directive. À l’époque, le ministre CSV de la Justice, Luc Frieden, avait dû s’incliner face au tollé qu’avait soulevé son projet de loi. Il avait d’ailleurs alerté les députés, lors du vote en première lecture, du caractère très aléatoire du nouveau dispositif anti-blanchiment et de sa non-conformité avec les normes internationales fixées par le GAFI. Il faudra bientôt retoucher le métier, prévint-il, et « faire quelque chose » pour mettre dans les filets du blanchiment des infractions primaires qui y avaient été provisoirement retranchées. C’est aussi un pari plutôt hardi que de ne retenir sur le plan national que le volet le plus consensuel de la troisième directive.
Comme si les experts internationaux avaient le flair trop grossier pour confondre un vulgaire soda avec un purgatif de trente ans d’âge. En termes d’image de marque aussi, le jeu est tout aussi osé. On ne résistera pas à la tentation de rappeler les débats qui animèrent le parlement lors de la transposition de la seconde directive. La loi du 12 novembre 2004 (la transposant) avait volontairement limité le champ d’application à quelques infractions les plus voyantes, encore que des trous de gruyère sont apparus à l’usage, notamment pour réprimer la tentative de blanchiment du trafic des stupéfiants.
Les députés, sous la pression du Conseil d’État et des milieux financiers, avaient retricoté le projet de loi confectionné en 2003 par les experts du ministère des Finances et de la Justice pour ne produire au final qu’une copie minimaliste de la deuxième directive sur le blanchiment.
L’abus de bien sociaux et l’escroquerie en général, labanqueroute frauduleuse, le délit d’initiés y avaient ainsi disparu au nom de la peur de faire de l’infraction de blanchiment un usage « fourre-tout » pour réprimer des infractions difficilement appréhendables autrement.
La deuxième directive était elle même un peu bancale dans sa conception, parce qu’ignorant les standards confectionnés (également en 2003) par le GAFI (et ses fameuses 40 recommandations). Il est devenu impossible d’ignorer aujourd’hui ce qui fait office de quasi « commandements » bibliques sur la planète entière. Le ministère des Finances qui a confectionné le nouveau texte n’a donc fait que les réintégrer.
En 2003, lorsque la première mouture du projet de loi transposant la seconde directive sortit des ateliers, le dispositif se relevait des plus ambitieux : « tout crime » punissable d’une peine de prison de six mois au moins rentrait en effet dans le champ d’action du blanchiment. C’en était un peu trop pour la communauté financière (ABBL, réviseurs d’entreprises, barreau) qui pesa alors de tout son poids sur les membres de la commission juridique pour faire retirer certaines dispositions du projet et lui retirer ainsi sa saveur initiale. « Les modifications apportées à l’article 506-1 sont lourdes de conséquences », avait assuré en avril 2004 le Conseil d’État dans son premier avis sur le projet pour justifier l’épuration qu’il fit des dispositions initiales. Les Sages pointaient alors du doigt l’excès de zèle des autorités à faire rentrer dans le champ d’application du blanchiment des infractions comme l’abus de confiance, l’escroquerie ou l’abus de biens sociaux. « Cela n’est nullement commandé par la directive », tranchèrent-ils. Et les députés passèrent l’éponge sous l’oeil finalement bienveillant du gouvernement.
La marche arrière toute des autorités fut étonnante. Le lobby financier avait eu le dessus. Ce n’est probablement pas un hasard si le projet de loi transposant la troisième directive sur le blanchiment émane aujourd’hui du ministère des Finances seul alors que la rédaction de la seconde directive se fit de concert entre les Finances et la chancellerie de la Justice. Les temps ont changé, les hommes aussi.
Il y a quatre ans, la communauté financière (avis de la Chambre de Commerce du 16 septembre 2003) plaidait aussi pour le minimum syndical : « la solution consiste à en rester au système actuel qui limite les infractions primaires à une liste déterminée d’infractions ». Le catalogue va désormais couvrir ce qui est indispensable. « L’article 506-12 du code pénal est adapté et vise en tant qu’infractions graves sous-jacentes au blanchiment, en sus d’un nombre limité de délits spécifiques, toute infraction punie d’une peine d’emprisonnement d’un minimum supérieur ou égal à six mois, c’est-à-dire les crimes », résumait un communiqué du service information et pressedugouvernement à l’issue des travaux du 29 juin où le projet de loi fut adopté. La directive du 26 octobre 2005 va faire entrer comme infractions sousjacentes au blanchiment, toutes les « infractions graves », celles qui sont entendues à l’aune de la décision cadre 2001/500/JAI : les infractions graves doivent comprendre les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une duréemaximale supérieure à un an, ou dans les États (comme le Luxembourg) dont le système juridique prévoit pour les infractions un seuil minimal, les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée minimale supérieure à six mois. « À quelques exceptions près, ce libellé équivaut à viser en tant qu’infractions graves, tous les crimes », souligne le texte du projet.
Les Sages et les financiers pourront toujours faire la moue boudeuse, rien ne pourra cette fois faire dévier Luc Frieden de la route. Le Luxembourg, aujourd’hui, n’a pas vraiment d’autre choix que celui de se conformer aux normes du droit communautaire, quand bien même ces standards devraient un peu plus compliquer le travail des professionnels du secteur financier qui assurent déjà crouler sous la surréglementation de leur activité.
1Le GAFI a émis en 2003 une série de 40 recommandations en demandant à ses membres d’inclure dans la gamme d’infractions la participation à un groupe criminel organisé et à un racket ; le terrorisme y compris son financement ; la traite des être humains et le trafic illicite des migrants ; l’exploitation sexuelle y compris celle des enfants ; le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes ; le trafic d’armes ; le trafic illicite de biens volés et autres biens ; la corruption ; la fraude et l’escroquerie ; la contrefaçon de monnaie ; la contrefaçon et la piraterie de produits ; les crimes contre l’environnement ; les meurtres et les blessures corporelles graves ; l’enlèvement, la séquestration et la prise d’otages ; le vol ; la contrebande ; l’extorsion ; le faux ; la piraterie et les délits d’initiés et manipulations de marchés.2 L’article 506-1 du code pénal donne une définition juridique de l’infraction du blanchiment tout en énumérant les faits constitutifs de ce délit et en spécifiant les catégories d’infractions primaires qui pourront donner lieuà cedélit. La directive 2005/60/ CE oblige les États membres à inclure comme infractions sous-jacentes au blanchiment, toutes les infractions graves. Elle précise que « les infractions graves doivent comprendre en tout état de cause les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée maximale supérieure à un an, ou, dans les États dont le système juridique prévoit pour les infractions un seuil minimal, les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée minimale supérieure à six mois ».