Un retraité de la Spuerkeess, un ingénieur-directeur d’Arcelor-Mittal, un secrétaire central de l’OGBL et un retraité des CFL, c’est le noyau dur de l’alliance qui s’est formée contre les poulaillers dans la commune de Reckange-sur-Mess. Ils se voient comme des victimes, des lésés de « l’élevage de masse », du « gigantesque lobby de l’agroalimentaire » et d’une « Kierchtuermspolitik tribale ». Tous se disent convertis (plus ou moins récents) au bio. Et non, ils ne seraient pas des Nimby, martèlent-ils. Juste des citoyens soucieux de la durabilité du modèle agricole, de « l’éthique ». Et, accessoirement, ils avancent des arguments moins désintéressés, comme la valeur de « nos maisons payées si cher » qui risquerait de chuter (selon à qui on parle) de vingt à trente pour cent.
Le scandale arrive dans la commune de Reckange-sur-Mess par Cactus et la Provençale. En 2013, les réflexions autour du poulet made in Luxembourg démarrent. Pour assurer l’approvisionnement durant toute l’année, calcule-t-on, il faudra au moins cinq paysans avec chacun deux poulaillers. Ensemble ils atteindront ainsi une capacité de production de 400 tonnes de poulet par an. (Le Luxembourg importe actuellement 99 pour cent de sa consommation, c’est-à-dire environ 10 000 tonnes de poulet par an ; donc vingt kilos par tête d’habitant). Un appel est publié dans la newsletter de la coopérative des éleveurs Convis, et une douzaine de dossiers entrent. Parmi les cinq noms retenus par Convis, l’Administration des services techniques de l’agriculture (Asta) et le Service d’économie rurale (SER), se trouvent ceux de Louis Kauffmann (de Pissange) et de Laurent Raus (d’Ehlange).
Ehlange est un petit village respectable. Tout y respire la classe moyenne luxembourgeoise. Longue de quelques centaines de mètres, la rue de l’École monte vers un plateau qui surplombe la vallée verdoyante. À partir des années 1970, des maisons unifamiliales, isolées de leurs voisines par de généreux jardins, y ont poussé et ont donné à la rue une esthétique éclatée. Chacun y allait de ses fantaisies architecturales. Sur quelques dizaines de mètres, on longe un bungalow plat des années 1970, une hacienda bordée d’un étang artificiel et une demeure de patricien flamand en briques rouges. Le seul élément unifiant : les carrosses, parqués devant les jardins, sont quasi invariablement allemands. Dans la vallée de Pissange, les maisons mitoyennes sont moins luxueuses et plus anonymes. Elles ont été construites à la va-vite entre 2002 et 2013 par un promoteur à quelques mètres d’un ravin. Les immeubles ont les pieds dans la Pissbaach et les jardins sont régulièrement inondés. Que ces terrains aient fini dans le périmètre laisse songeur.
En 1999 – il a alors 19 ans – Laurent Raus commence à travailler à la ferme familiale. (Son frère cadet opte pour l’Asta.) Lorsque, quatre ans plus tard, son père meurt, « les autres paysans pensaient qu’on allait diviser les terres, que c’en était fini. » Mais Raus a des projets, il veut se lancer dans la filière porcine et ériger une étable à 1 600 mètres du village. Habitué à travailler seul (sa femme est institutrice), il ne se voit pas un destin de grand industriel – et, avec une soixantaine de vaches, la taille de sa ferme correspond à la moyenne luxembourgeoise. Or, en toute discrétion, une initiative populaire commençait à récolter des signatures contre la porcherie. Dépité, Raus laisse tomber le projet ; « j’avais tout simplement la flemme », dit-il. La polémique des poulaillers doit lui donner l’impression d’un déjà-vu. Cette fois-ci, jure-t-il, il n’abandonnera pas la partie. C’est devenu une question de principe.
Raus nous reçoit dans la cuisine de sa maison privée située sur un Aussiedlerhof qu’il a construit en 2008 à quelques centaines de mètres de la rue de l’École. C’est un magnifique domicile, aérée et moderne ; les baies vitrées donnent sur les prés verts. Raus déballe les plans dessinés par l’Asta : deux poulaillers de 554 mètres carrés chacun et deux enclos à ciel ouvert de 65 ares. Le tout serait à 380 de mètres de distance du premier voisin, a-t-il calculé. Ses deux hangars contiendront 6 500 poulets chacun, 13 000 au total. Ceux de Louis Kauffmann (qui n’a pas souhaité donner d’interview) sont plus proches des riverains, mais des négociations sont en cours pour les faire reculer de cinquante mètres.
Le 1er mai 2015 débute la collecte des signatures dans les villages de la commune. Laurent Raus l’apprend par hasard. Son frère, qui sortait le chien, découvre les tracts le long de sa promenade. Le flyer signé par « Biergerinitiativ Gemeng Reckeng op der Mess » peint une image apocalyptique et évoque pêle-mêle un « élevage industriel en masse », des « germes multi-résistants », la grippe aviaire, la nuisance des odeurs et des hécatombes de cadavres de poulets et de poussins. Sans oublier que le « méga-projet » provoquerait « une perte rapide et permanente » de la valeur immobilière. Dans les prochains mois, la campagne s’intensifie et les rédactions du Luxemburger Wort, de L’Essentiel, de RTL-Télé et RTL-Radio dépêchent des reporters sur place.
Située dans la ceinture verte entre la Ville et Esch-sur-Alzette, la commune de Reckange-sur-Mess a attiré des Minettsdäpp fuyant la promiscuité sociale et la pollution industrielle. En l’espace d’à peine vingt ans, Reckange-sur-Mess changera deux fois de population, passant de paysans aux ouvriers puis aux employés. Ces mues sociologiques transparaissent à l’analyse de la composition du conseil communal. De 1804 à 1963, on n’y trouve quasiment que des paysans (à l’exception de quelques rares maréchaux-ferrants ou tanneurs). En 1958, un employé – de la banque Raiffeisen, donc toujours lié au milieu paysan – se fait élire. Six ans plus tard, le premier ouvrier sidérurgiste entre au conseil communal, puis un deuxième. En 1976, sur les neuf élus, on ne trouve déjà plus que deux paysans. Ils ont été remplacés par des cheminots, des ouvriers et des ingénieurs, suivis des employés et de l’un ou l’autre directeur (d’hôpital et de lycée). En 1988, plus aucun paysan ne siège au conseil communal.
À Pissange, de son jardin impeccable bordé de tulipes, il a repéré le journaliste de loin. Souriant, Roland Thorn lance : « Est-ce que vous aimez manger du poulet ? Alors laissez les construire leurs étables ! » Ce natif de la commune et ancien serrurier chez Dupont de Nemours évoque « les Stater Leit » (il y inclut les habitants d’Esch) qui ignoreraient « qu’une nature sans paysans, cela n’existe pas ». Il est tentant d’opposer les paysans aux employés, les indigènes aux Bäigeprafften. Ce serait pourtant trop simple. Ainsi Joseph Jacqué, le président de la Biergerinitiativ est-il un Ehlangeois pure souche, fils de paysans de surcroît. Son grand-père était échevin (1946 à 1964) et son père, Victor Jacqué, était bourgmestre dans les années 1970 avant d’être détrôné, à l’issue d’une âpre lutte interne, par un cheminot, pourtant membre du même parti chrétien-social.
Ce capital d’ancrage explique que la famille Jacquéreste propriétaire de nombreux terrains à Ehlange, dont certains à un jet de pierre de la ferme de Laurent Raus. Mais les deux paysans dans la ligne de mire de l’initiative populaire ont également su monnayer une partie de leur propriété foncière. À Ehlange, à quelques mètres de la route principale, cinq nouvelles maisons ont été bâties sur des terrains ayant appartenu à la famille Raus. Et à Pissange, le plus farouche opposant au paysan Louis Kauffmann habite une maison bâtie sur des prés qui avaient été vendus par la même famille Kauffmann.
Pour les initiateurs de la Biergerinitiativ, ce ne sont pas eux qui ont changé, c’est l’agriculture. « Nous avons peut-être le syndrome de Heidi, mais il ne serait peut-être pas mal de revenir à une agriculture respectueuse », dit l’un d’eux. Ils fustigent les « tanks et monster trucks » des paysans, l’échelle de la production, la dépendance aux subsides et la « consommation de masse de viande ». De ce discours écologiste – qui peint les paysans en victimes consentantes de l’industrie agroalimentaire et des consommateurs –, il basculent sans transition dans le registre libéral de la protection de la propriété privée. En louant les services de l’avocat Georges Krieger, en outre président de l’Union des propriétaires, la Biergerinitiativ affiche ses couleurs.
Le facteur immobilier est supposé être la valeur refuge des Luxembourgeois. À Reckange, il déclenche des angoisses existentielles parmi certains riverains. La commune est prisée pour sa proximité avec la ville et les prix annoncés pour les maisons (en partie démesurées) dépassent facilement le million d’euros. « Il y a des gens ici qui n’arrivent plus à vendre leur maison. Si cette nouvelle se répand, cela prendra une dynamique propre », dit l’un. « Si la valeur de ma maison chute de trente pour cent et que je serai contraint de vendre, où trouverai-je à me loger ? », s’interroge un autre. Et d’ajouter : « Je ne pourrai même plus me financer un appartement à Gasperich. »
La filière aviaire a jusqu’ici été quasi-inexistante au Luxembourg. Dans ce domaine, les paysans, fonctionnaires agricoles, vétérinaires et bouchers sont des néophytes. Les paysans luxembourgeois ont accumulé un know how séculaire dans la filière bovine et laitière pour une bonne raison : elle correspond à la géographie du pays et à ses prés verts. Pour se lancer dans la production aviaire et construire ses deux poulaillers, le paysan devra débourser un demi-million d’euros. Ceux qui y voient une chance, sont pour la plupart des jeunes qui viennent de reprendre la ferme et cherchent à réduire leur exposition à la volatilité des prix laitiers. Bob Kaes de Bastendorf a fait revivre la ferme de son grand-père il y a quatre ans. Il hésitait à se lancer dans le lait et a préféré miser sur les poules et la production d’œufs. Le laitier Claude Thiry de Schouweiler dit continuer sur sa ligne « plus extensive » : « Ma philosophie, dit-il, c’est de ne pas mettre tout sur une carte. On a plus de chances de survie lorsqu’on a une assise plus large. » Le deal avec Cactus et la Provençale prévoit un prix de revente qui sera lié au prix d’achat du fourrage concentré. Une marge garantie pour ne pas retomber dans le piège du marché. (Selon nos informations, les paysans toucheront environ 3,30 euros par poulet engraissé.)
Si, commercialement, le poulet made in Luxembourg fait sens, écologiquement, c’est beaucoup moins évident. Pour que les poussins grossissent, ils ont besoin de protéines, qui, elles, proviendront du soja. Or, celui-ci ne pousse que très mal au Luxembourg, et il faudra donc l’importer. En outre, ni l’abattoir de Wecker ni celui d’Ettelbruck ne sont équipés pour tuer des poulets. L’investissement dans une chaîne séparée (qui coûterait plusieurs millions d’euros) sera difficile à rentabiliser. Les producteurs luxembourgeois se sont donc alliés avec Ardenne Volaille, un abattoir spécialisé situé à Bertrix près de Libramont, où on tue à une vitesse de 2 000 poulets à l’heure. (Ardenne Volaille livre notamment au discount belge Colruyt.) Les courbes de croissance des poulets seront supervisées à partir de la centrale de Bertrix, via les données envoyées en temps réel par les producteurs luxembourgeois. Les paysans sont un simple chaînon dans un cycle de production international : les poussins seront livrés de France, le soja sera importé d’outre-Atlantique et la supervision et l’abattage effectués en Belgique. Si les paysans aiment se présenter comme des entrepreneurs, ils rappellent plutôt des sous-traitants. (Mais, dans une économie ouverte de petite taille, c’est le cas de la plupart des secteurs économiques.)
Pour Raus, on serait loin des vraies échelles industrielles : « Sinon, on parlerait de 100 000 poulets par paysan. En comparaison, ce que nous voulons faire, c’est du pipifax ». Selon le cahier des charges prévu, les poulets seront engraissés durant 56 jours et atteindront 1,3 kilos. (En règle générale, pour un poulet « low-cost », ce temps se réduit à quarante jours ; pour un poulet biologique, il peut s’allonger jusqu’à 80 jours.) Les poulaillers fonctionnent selon le principe « all in – all out » : Après les 56 jours, le poulailler est désinfecté de fond en comble par une firme spécialisée et repose durant deux semaines, avant que la prochaine fournée de poussins n’arrive.
Laurent Raus se dit « humainement déçu » que ses voisins ne soient pas passés pour discuter directement avec lui : « Chacun a le droit de réclamer, mais ils ne savent pas vraiment de quoi ils parlent. Je les ai invités pour consulter les dossiers. Jusqu’à ce jour seulement une famille, dont la fille venait d’acheter une maison, est passée. » Les lieux de sociabilité ont disparu du village. Le dernier café a fermé ses portes. Les villageois pourront bientôt socialiser dans un « centre de rencontre » en construction et qui sera équipé de deux pistes de quilles. Mais le nouvel estaminet, c’est Facebook. Sur les fils d’actualité des Ehlangeois on retrouve ainsi des vidéos choc glanés quelque part sur Internet sur lesquelles on voit des poulets déplumés auxquels on injecte de l’eau pour les gonfler. Raus et Kauffmann ont fait un boîtage avec une petite brochure de quatre pages dont le sous-titre se veut rassembleur : « Mir wëllen opklären fir Onstëmmegkeeten aus der Welt ze schafen ». La brochure contenait une adresse mail pour des questions éventuelles ; Raus et Kauffmann reçurent quatre courriels.
Si la place financière venait à disparaître, il ne nous resterait plus qu’à nous remettre à cultiver des patates, avait coutume de dire, comme boutade et menace, l’ABBL. Jean-Louis Colling l’a fait. Il est un banquier privé reconverti en paysan bio. Après vingt ans de loyaux services, il quitte la Dexia-Bil, où il se retrouvait « pris en sandwich » dans un poste de middle-management, à relayer des directives auxquelles il ne croyait plus. Avec sa femme, il reprend la ferme de ses beaux-parents sur les hauteurs de Colmar Berg (rachetée dans les années 1950 à la famille grand-ducale). Depuis trois ans, il y engraisse également 4 800 poulets certifiés bio durant 72-74 jours.
Les cinq paysans conventionnels, eux, ont choisi le « Label rouge ». Une solution intermédiaire : trop réticents pour viser le niveau industriel, trop peu hardis pour miser sur le bio. L’éleveur bio Jean-Louis Colling a horreur de ce flou artistique. Il tente tout de même de défendre les collègues du conventionnel (contre le reproche de l’élevage à échelle industrielle), tout en évitant soigneusement de les transformer en « passagers clandestins » du renommé label « bio ».
Puisqu’elle est très fort en azote, la crotte de poulets est malfamée pour son odeur nauséabonde qui sent l’acide butyrique et le soufre (et qui rappelle l’odeur d’un pet). Le conseil communal a fait une excursion pour renifler un poulailler en Belgique, une réplique exacte de celui qui sera érigé à Ehlange et à Pissange. (Ils y avaient invité les initiateurs de la Biergerinititativ à les joindre, mais ceux-ci ont décliné.) Tous les participants interrogés certifient ne rien avoir senti, du moins jusqu’à deux mètres du poulailler.
Le poulailler bio du paysan Colling ne sent pas particulièrement mauvais. (Mais les poussins ne viennent que d’arriver et, d’ici quelques semaines, ils dégageront une odeur plus forte.) Par milliers, les poussins courent à travers le grand poulailler. Il y fait 25 degrés. Le hangar est chauffé au gaz, et, les poulets grandissant, la température sera progressivement réduite. À l’inverse de l’agriculture conventionnelle, les poulets bios ne sont pas traités aux antibiotiques. Le taux de mortalité resterait en-dessous de deux pour cent, affirme Colling. Au fond d’un congélateur, un petit sachet contenant les poussins morts attend la prochaine collecte par Rendac, une firme belge spécialisée dans le (très ancien, très méprisé, très utile et très discret) métier de l’équarrissage, donc de la destruction et de la réutilisation des carcasses animales. L’autour des palombes tue un poulet par jour, durant la trentaine de jours pendant lesquels ils sont à l’air libre. Il les mange sur place, sans que cela n’affole outre mesure les autres poulets.
À une voix près, le conseil communal est unanimement du côté des paysans. Le conseiller communal Daniel Biewer, dont le père était instituteur dans le village d’Ehlange, a grandi entouré de paysans. Au point qu’il songeait un moment reprendre la ferme des voisins d’enfance, qui étaient pour lui « une seconde famille ». (Il est aujourd’hui fonctionnaire dans l’administration fiscale.) Au volant de sa voiture, il fait une visite guidée du village, montre les emplacements des anciennes fermes et des nouvelles cités. Il connaît bien les paysans Kauffmann et Raus et est un ardent défenseur du projet des poulaillers : « Par respect pour ceux qui produisent nos aliments, je vais tout faire en mon pouvoir pour qu’ils y soient installés », promet-il.
Le blason de la commune de Reckange-sur-Mess représente les silhouettes de trois merlettes qu’on peut méprendre pour des poulets. Le maire Carlo Muller reçoit dans son bureau flanqué des portraits de deux grands-ducs (l’ancien et l’actuel). On savait que c’était une krookelech Geschicht », admet-il. Le maire dit être entre « l’écume et le marteau » ; il a organisé réunion sur réunion avec les concernés, affrété un bus pour une excursion auprès d’un poulailler en Belgique, convoqué et entendu les 130 signataires de la réclamation contre la modification du PAG. (Dont seulement trente seraient venus, d’après le maire.) « Nous nous trouvons dans la ceinture verte et nous ne pouvons que croître modérément. Or la nature n’est pas une jungle. Il faut faire des concessions aux paysans. Que voulez-vous qu’ils fassent ? Qu’ils gardent quelques brebis et cultivent des tulipes ? »
Pour prendre ses assurances, le collège échevinal fit faire une analyse du PAG de 2003. À la surprise générale, la mairie se rend compte d’un bug : en zone interurbaine, le PAG fixe la profondeur maximale à quatorze mètres. Cette mesure avait été prise pour éviter qu’un paysan-promoteur ne construise une résidence en plein zone verte, mais le PAG avait omis de préciser qu’elle ne s’appliquait pas aux établissements agricoles. En septembre, le collège échevinal s’apprête à voter une modification ponctuelle du PAG. Or, l’avocat Carlo Krieger a trouvé la faille. Le maire avait omis de republier l’étude d’impact environnemental stratégique (« Déi Fatz Pabéier huet am Dossier gefehlt », dira-t-il au conseil communal). Un vice de forme qui repousse la procédure pour des mois et des mois. (Laurent Raus a déposé plainte devant le tribunal administratif, l’affaire sera plaidée le 30 mai.) En attendant, les projets des huit paysans de la commune (dont trois trentenaires qui viennent de reprendre l’exploitation) se trouvent bloqués. Tout comme le rêve de Cactus et de la Provençale du poulet made in Luxembourg.
À Ehlange, sur la colline, au bout de la rue de l’École, habite Sophie Proost. En 1973, avec son mari, un ingénieur chez Dupont de Nemours entretemps décédé, elle y construit un bungalow. À Ehlange, la maison de Proost sera la plus proche des poulaillers. Elle prend pourtant parti pour le paysan : « Wann een engem kee Brout kann ginn, soll een engem d’Brout och net ewech huelen… Et on ne va quand même pas mettre des couches culottes aux vaches. » Celle qui se désigne comme « Escher Meedchen » (Proost était également une des Déckkäpp de RTL-Radio) s’estime bien intégrée. Pourtant, elle fait la distinction entre la « mentalité » d’Esch et celle d’Ehlange : « Ce qui nous a gênés, mon mari et moi – et je le disais aux villageois après les messes du dimanche –, c’est qu’ici on parle derrière le dos des gens. À Esch, je n’étais pas habituée à cela : Lorsqu’on n’y est pas d’accord avec quelque-chose, on le dit directement. Quitte à ce qu’il arrive qu’on traite quelqu’un de ‘dommt Uarschlach’. Mais, ici, on magouille. »