Dans l’autobus des affiches dénonçaient toujours les violences faites aux femmes, rappelaient une marche qui avait eu lieu. Des photos dans les journaux, à la télévision, montraient des lycéens qui avaient été interpellés à Mantes-la-Jolie, placés contre un mur, les mains derrière la tête. C’était l’autre jour, sur le chemin de l’exposition de Berthe Lutgen et de Jos Weydert. Une entrée en matière comme il fallait, des images disant un état du monde contre lequel les deux n’ont jamais arrêté de protester, Philémon et Baucis réunis en cette fin d’année dans une exposition à Wallis-Paragon. La galerie a quitté le quartier du Glacis, Marc Modert s’est installé dans celui de la gare, 6-12, rue du Fort Wallis ; il faut descendre au sous-sol, ce n’est pas très grand, peut-être des cimaises d’une douzaine de mètres, ce qui n’enlève rien à la force des images, à l’impact que devraient avoir les prises de position.
Bien sûr, Berthe Lutgen, c’est le combat de la condition féminine, et au fond de la salle, une huile renvoie à la marche des femmes, pièce tirée d’un ensemble les montrant, décidées, revendiquant des droits trop longtemps bafoués. Affaire de dignité, dit la pancarte que l’une des femmes tient dans ses mains ; elles sont Américaines cette fois-ci, mais la lutte s’avère universelle. Et ailleurs, il se greffe autre chose dessus, la pauvreté, la misère, dans le pathétique triptyque Africa on my mind. D’autres sujets, de sexualité, de consommation, de luxe, pointent à d’autres endroits, dans cette manière propre à Berthe Lutgen, un réalisme qu’on qualifiera des fois de poétique, ce qui n’enlève rien, strictement rien, à la virulence, au contraire, avec un contraste d’autant plus vif.
Il est un volet dans l’exposition, avec des œuvres plus récentes, qui datent de 2018, ce qui ne veut pas dire que l’artiste vienne seulement de découvrir cette part des choses. L’accent est mis autrement, toujours en relation avec un solide bagage culturel, et si des fois référence était faite à l’art moderne, là on recule dans le temps, à la bonne vieille peinture néerlandaise, aux natures mortes, et pas besoin d’insister sur un jeu de mots, c’est carrément de désastre écologique qu’il est question.
En Pologne, au moment de ces lignes, on a bien fini par adopter les règles d’application de l’accord de Paris, service minimum. Des poissons morts, gueules ouvertes, cela se passe comme s’ils chutaient dans telle huile ; en plus il y a du plastique, et l’on sait le mal qu’il fait dans les mers. Il existe bien des projets, de technologies dont on espère qu’elles vont permettre d’extraire cette pollution des océans. Pour le moment, un énorme extracteur réussit bel et bien à attraper le plastique, mais n’arrive pas à le retenir. Trop optimistes, les chercheurs avaient estimé à près de deux milliards de pièces la quantité que l’appareil permettrait de collecter.
Des images qui d’une façon ou d’une autre véhiculent des menaces de mort, voire d’apocalypse, présentes très directement aussi dans les quelques sérigraphies, plus anciennes, de Jos Weydert, avec par exemple telle danse macabre par-dessus les tours d’une centrale nucléaire. Ailleurs, comme pour un accoutrement des pièces d’une sorte de reliquaire fasciste se trouvent agencées, ou alors une statue mariale trône au milieu de listes de sociétés anonymes. On voit quels liens il faut découvrir.
Un travail d’éclairage à faire, d’« enlightment », au sens du XVIIIe siècle, promotion de connaissance pour dépasser l’obscurantisme, voilà ce que promettent les portfolios, dossiers personnels que Jos Weydert invite à feuilleter, où il a réuni au moins les couvertures de livres achetés au long d’une dizaine d’années, de 1967 à 1977. L’éventail est large, bien que réduit à la langue allemande. Mais comme on est dans les arts plastiques, on s’attarde aux graphismes, et l’on se met à les imaginer, toutes ces couvertures, assemblées sur l’un des murs, devenues elles-mêmes objet d’art. Tout en étant comme un complément, soubassement ou continuation, de la perception et de la réflexion initiées par les autres images.