Tout a commencé par une simple question : « À quel moment se dit-on peintre ? ». Au-delà de celui qui exprime interroge notre réalité et nos concepts, être peintre pour Pit Riewer signifie surtout une fascination pour la matérialité de la peinture. Dès lors, en quelques phrases, tout était dit. Il est indéniable que dans l’art ou ailleurs, les possibilités de « représenter » le réel comme le fictionnel sont infinies, et le médium peinture ne fait pas exception. Pour Pit Riewer, la peinture permet l’exploration de notre réalité visuelle par un médium tactile. Elle lui donne l’espace pour penser aux personnes, aux objets, aux paysages d’une manière très personnelle.
Il y a trois ans Pit Riewer émerge sur la scène artistique locale et déjà, trois de ses toiles entrent au Salon du Cercle artistique de Luxembourg. Sa mère l’a poussé à tenter sa chance, le forçant à dépasser son humilité. « Je crois que ma modestie restera, car je suis assez critique et je me pousse toujours plus loin », relate Riewer. Et pourtant, à mesure du temps, bien que d’autres doutes s’invitent dans son esprit et que les enjeux grandissent, Pit Riewer fait preuve d’audace et de confiance envers son travail artistique. « Je n’ai jamais vraiment cru que quelqu’un serait intéressé par mon travail. En fait, je suis très réaliste dans l’âme et je voulais étudier la peinture pour devenir professeur ». Son apprentissage encore incomplet, le jeune peintre a de nombreuses personnes à rencontrer avant que ses incertitudes financières et personnelles s’effacent et qu’il puisse aborder sa carrière sereinement. « J’ai beaucoup appris et rencontré des gens extrêmement talentueux et sympathiques. Et puis, j›ai eu la chance d›avoir à mes côtés ma chère amie la photographe Marie Capesius qui m’a beaucoup aidé à m’installer professionnellement ».
Déjà, en une poignée d’expositions, où s’installe une nostalgie urbaine comme son motif signature, Pit Riewer tape dans l’œil du public, de la critique. Il séduit aussi la Galerie Reuter & Bausch qui l’accompagne comme un jeune espoir de choix. Avec le recul, si Pit n’a pas encore l’expérience de ceux installés depuis longtemps, il estime être présent à « un moment globalement bon et passionnant pour les jeunes artistes luxembourgeois ». Au Grand-Duché, que ce soit dans le public, comme dans le privé, la jeune génération du domaine des arts visuels n’a jamais été aussi visible, « penser que j’ai eu ma première exposition en galerie à 22 ans, chez Reuter & Bausch, et que j’ai travaillé avec eux, c’est fou pour moi », s’exclame le jeune peintre. Il poursuit par un constat assez pertinent, « dans l’ensemble, j’ai le sentiment que le public est enthousiasmé et prêt à découvrir une énergie jeune et à voir de nombreux types d’œuvres, non seulement de la peinture plus traditionnelle mais aussi des installations, des vidéos… ».
Aujourd’hui, à tout juste 24 ans, il est lauréat du prix Révélation 2023 du CAL. « Toutes ces choses vont si vite que je n’arrive pas encore à vraiment m’en rendre compte », exprime l’artiste. Après sa première exposition personnelle à Dudelange en février 2024, au Centre d’art Nei Licht, Pit Riewer a prévu de voyager un peu, « pour avoir un nouveau regard ». Ensuite, il espère se rendre vraiment compte de ce qui s’est passé ces trois dernières années.
Ce succès vient d’abord de la qualité artistique de son travail qui mêle la simplicité des sujets à une grande technicité, en prenant pour base des photos de son quotidien. Peindre à partir d’une matière photographique est une chose difficile, précise Pit Riewer, dans la mesure où de nombreuses informations y sont déjà présentes. « J’essaie donc de déconstruire les photographies. Alors, je peux voir plus clairement quelles qualités de l›image m›intéressent ». Ce matériau, qu’il décrit comme « une image semi-abstraite », est ensuite utilisé comme référence pour la peinture, et petit à petit il s’en détache, « le tableau doit alors tenir debout tout seul ». Cette passionnante tension qui s’impose lorsqu’il s’agit de « simplifier » pour comprendre une image intéresse profondément Pit Riewer. Dans cet esprit, il ne souhaite pas trop en donner au spectateur, « la couleur m’est très importante et je fais une utilisation minimaliste des coups de pinceau ».
En fait, son principal intérêt est la manière dont les peintures sont créées et superposées. C’est pourquoi il aime tant la peinture abstraite et minimaliste. D’ailleurs, la question de son identité artistique le taraude continuellement : « Je suis probablement plus un peintre figuratif que je ne voudrais l’admettre, je m’efforce d’être comme l’un des grands artistes abstraits, mais il est extrêmement difficile de faire de l’art purement abstrait qui soit décent ». Riewer dialogue avec l’abstraction en accordant une extrême importante à la surface du tableau, « mes peintures existent dans cet espace entre abstraction et figuration où la nature abstraite de notre monde visuel et conceptuel est acceptée et travaillée ».
De raison et de passion, Pit Riewer a élu domicile sur la scène locale. Et il chérit les initiatives qui la pousse à se dépasser, « que ce soit dans le statut d’artiste qui existe ici, comme dans les programmes d’aide financières pour les artistes professionnels, ou les projets de résidences, et d’échanges artistiques, le soutien local aux artistes au Luxembourg me parait très bon par rapport à la plupart des pays ». Il admet tout de même encore une forme de « désavantage financier », qui oblige de nombreux artistes à partir à l’étranger pour « payer leur loyer et leurs frais de subsistance ». Aussi, une réelle communauté artistique locale et proche a du mal à véritablement germer et de se fédérer. « Avoir plus d›artistes professionnels dans un même lieu permettrait d›avoir plus d›échanges et de points de vue, ce qui, je pense, faciliterait la vie », propose Pit Riewer.
Et justement, à ce titre, Pit Riewer n’hésite pas à s’impliquer dans certaines communautés locales, et notamment la communauté queer. En tant qu’artiste et également en tant que personne queer, il lui parait important de s’investir moralement dans de tels projets. « Il y a encore beaucoup de divergences dans le monde de l’art et dans la société. De nos jours, les artistes queer sont souvent utilisés pour couvrir des scandales homophobes et/ou transphobes, cela a été vu avec des institutions du monde entier, il en va de même pour les scandales sexistes et racistes bien sûr ». C’est l’adage de l’artiste, surtout à son stade de carrière, que de ne pas avoir les possibilités pécuniaires pour déplacer les montagnes, mais de pouvoir investir du temps et le cadre d’une plateforme de visibilité pour faire entendre une bonne cause. Car chaque investissement amène à de nouvelles rencontres, l’une des ambitions majeures du jeune artistes, « à l’avenir, j’ai vraiment envie de voyager, de rencontrer et de parler avec des artistes dans de nouveaux endroits et de voir comment cela affecte ma pratique artistique. Mais surtout, je continuerai à peindre et je verrai où cela me mène ».