Les relations sont tellement pourries entre l’Administration de la navigation aérienne et la Direction de l’aviation ­civile qu’une commission d’accompagnement a dû être mise en place

Le gendarme du ciel fait la sourde oreille

d'Lëtzebuerger Land vom 25.11.2011

Faut-il changer de directeur à la Direction de l’aviation civile (DAC) pour retrouver le calme social et la sérénité à la Tour de contrôle de l’aéroport de Luxembourg et ainsi éviter une grève des contrôleurs aériens ? Le placement sous tutelle de l’Administration de la navigation aérienne (Ana), pardon, l’instauration d’une commission d’accompagnement au sein de cette administration pour « assister » son directeur dans le traitement des dossiers « chauds » devrait servir entre autres à dégeler les relations avec le régulateur du ciel et probablement aussi donner un coup d’accélérateur à l’installation d’un radar au sol à l’aéroport, que les contrôleurs réclament depuis plus de quinze ans. Les mauvaises relations concernent uniquement le directeur de la DAC, Claude Waltzing, assure-t-on du côté de la représentation du personnel de l’Ana. Et parmi les trente revendications posées à Claude Wiseler (CSV), le ministre du Développement durable, dans le cadre de la procédure de conciliation entamée en mai dernier, figure le limogeage du patron de la DAC, dont le mode de gestion et le style sont jugés répressifs par la Tour de contrôle du Findel, qui fonctionne en sous-effectifs chroniques.

Ne surtout pas faire l’amalgame !, prévient-on au ministère du Développement durable. Ce qui se passe à l’Administration de la navigation aérienne n’a rien à voir avec le chaos qui avait régné aux Sites et monuments après le départ de son directeur et la politique de terre brûlée qu’il y avait fait, pas plus que la situation n’est comparable à l’ambiance à couteaux tirés qui caractérisa, il y a quelques années, les relations entre le personnel et la direction de la Bibliothèque nationale. Il n’y a pas de mise sous tutelle, assure-t-on. La commission d’accompagnement à l’Ana, que le Conseil de gouvernement a validé en octobre dernier, servira surtout à « optimiser les ressources » et débloquer des dossiers « compliqués » qui patinent. D’ailleurs, cette commission, qui devait se réunir ce jeudi pour la seconde fois, n’a aucun pouvoir d’injonction. Elle n’aurait, précise-t-on, pas davantage pour unique objectif de gérer les relations conflictuelles entre les chefs de services et la direction de l’Ana avec le directeur de la DAC. Il n’empêche que ça sent le soufre entre les deux camps. Au point que le directeur de l’Administration de la navigation, lassé des récriminations et des lettres incendiaires de Claude Walzting mettant en cause les compétences des opérateurs de la Tour de contrôle et du contrôle au sol, aurait récemment déposé une plainte devant la commission de mobbing contre le patron de la régulation du ciel. Personne ne souhaite à ce stade commenter l’information.

Composée de représentants des ministères du Développement durable, d’État et de la Fonction publique ainsi que d’un chef de service de l’ATC (Air trafic control) – pourraient s’y joindre deux autres représentants de l’Ana, selon la nature des dossiers traités – la commission va mettre sur la table tous les sujets, y compris celui des relations pestilentielles avec le directeur de la DAC, dont la représentation du personnel souhaite rien moins que le départ. Le CV d’ancien officier de police de Claude Waltzing l’a rattrapé : on le juge tyrannique – peut-être par déformation professionnelle ? – et ses jugements tranchés n’invitent pas au dialogue ni à la tolérance avec des aiguilleurs du ciel qui, par tradition, restent une profession très bien organisée et solidaire. L’accident de la Cargolux en janvier 2010, lorsqu’un jumbojet a manqué de justesse de se crasher à l’atterrissage après avoir heurté une camionnette des services de maintenance au sol, a montré à suffisance, selon la représentation du personnel de l’Ana, l’estime qu’il portait au travail de la Tour de contrôle. Le directeur de la DAC, qui quelques semaines avant cet accident, avait certifié l’aptitude des services de l’Ana à délivrer leur prestations au Findel, lui avait jeté la pierre après les faits en sanctionnant deux de ses agents, en poste au moment de l’accident, sans attendre les conclusions de l’enquête du bureau des accidents sur ses causes ni tenir compte des circonstances qui ont débouché sur ce qui aurait pu devenir un drame, comme le manque d’effectifs au contrôle aérien. L’enquête technique n’est d’ailleurs toujours pas bouclée. « Il faut faire une enquête technique convenable et prendre ensuite des sanctions disciplinaires », explique un représentant du personnel de l’Ana qui déplore le déni que le directeur de la DAC fait régulièrement au principe de la just culture, voulue par la réglementation européenne et obligeant tous les opérateurs du contrôle aérien à rapporter à la hiérarchie le moindre incident survenant à l’aéroport. « La représentation du personnel, fait-on savoir, dénonce la non-application de la part de la direction de la DAC de la just culture au profit d’une culture du blâme et de la recherche de la faute et les fonctionnaires de l’Ana n’acceptent plus le comportement vexatoire et les lettres de menace et de mise sous pression ».

Devant la détermination de la tour de contrôle à vouloir la tête de Claude Waltzing, le ministère du Développement durable cherche à jouer l’apaisement, tout en défendant le directeur de la DAC, jugeant ainsi « regrettable » de réduire les difficultés entre deux administrations à une question de personnes. Il n’y aurait d’ailleurs à l’aéroport que l’Ana à se plaindre du superviseur. Les autres services régulés par la DAC n’auraient pas de récriminations similaires, du moins pas aussi résolues. Contacté par le Land, Claude Waltzing a refusé de commenter l’affaire. Son secrétariat a renvoyé la balle au ministère du Développement durable.

Les revendications du personnel de l’Ana (une trentaine), au cœur d’ailleurs d’un second point de friction avec le gouvernement – une procédure de conciliation a été ouverte en mai et une réunion est prévue ce vendredi qui, si un accord n’est pas trouvé, pourrait déboucher sur la mise en place d’une médiation, dernière étape avant une grève des aiguilleurs du ciel –, portent sur l’absence de ressources humaines adéquates qui font peser des risques sur le niveau de sûreté de l’Aéroport. Or, le maintien du bon niveau de sécurité au Findel, qui serait encore assuré, se fait au prix du surmenage des aiguilleurs du ciel qui cumulent, selon les indications de la représentation du personnel, 15 000 heures supplémentaires. Les fonctionnaires refusent désormais de continuer à faire davantage d’heures sup. Il faut embaucher rapidement, ce que le plan d’action, adopté en février dernier par le gouvernement, prévoit d’ailleurs. Il est question de recruter une vingtaine de contrôleurs aériens d’ici 2014 (dont onze encore cette année). Pas mal, assure-t-on au ministère, sur un effectif actuel de l’Ana de 150 personnes. La représentation du personnel estime toutefois qu’il serait nécessaire de porter les embauches à plus de cinquante pour pallier le déficit chronique de personnel et à un taux d’absentéisme supérieur à la moyenne des autres services publics. Face au taux d’échec plutôt élevé des candidats aux examens d’aptitude au contrôle aérien et au temps de formation important pour ceux qui ont survécu aux épreuves, des consultants externes devraient provisoirement remplir les postes ouverts à la Tour de contrôle.

L’autre dossier que la commission d’accompagnement devra remettre sur le feu est le lancement de la procédure d’adjudication pour un radar au sol, une acquisition qui n’a rien d’un luxe dans un pays qui est souvent noyé dans le brouillard, obligeant les avions à faire des rondes au-dessus de Diekirch, faute de visibilité suffisante, en attendant l’éclaircie et le signal d’atterrissage de la Tour. « En cas de brouillard, rien ne bouge à l’aéroport, déplore un opérateur, et les avions restent à Diekirch. »

Le gouvernement a mis le radar au sol dans « sa petite liste » des priorités. Claude Wiseler avait promis d’en équiper le Findel il y a deux ans, au lendemain de l’accident de la Cargolux sur le tarmac, mais à ce jour, les déclarations du ministre CSV sont restées à l’état de vœux pieux, aucune commande n’ayant été réalisée. Les derniers ajustements avant de lancer la procédure d’adjudication de ce marché se feraient actuellement, explique-t-on toutefois au ministère, en précisant que la mise en place du radar au sol impliquera une réorganisation des services de la navigation aérienne, ce qui prend le temps qu’il faut.

Quel que soit l’arrière-fonds nauséabond qui a fait se détériorer les relations entre l’Ana dans son ensemble avec la direction de la DAC, nul ne peut toutefois nier que le style et la rigidité de Claude Waltzing tranchent avec la culture du pragmatisme qui fut toujours une marque de fabrique du Luxembourg. Preuve en est d’ailleurs la suspension qu’il a prononcée en mars 2010 de la licence de la société de maintenance CAE Aviation pour de prétendues graves défaillances dans l’organisation de la société qui avait fait la fierté des Luxembourgeois dans la chasse internationale lancée contre les pirates des mers du Sud (d’Land du 28.10). Le tribunal administratif lui a infligé un véritable camouflet pour le traitement qu’il fit du dossier CAE, en violant notamment la procédure du contradictoire. Il n’avait pas pris la peine dans ce dossier d’entendre les arguments des dirigeants de CAE. Cette brimade publique devrait peut-être inciter le patron de la régulation aérienne à se montrer plus accommodant avec tous ses administrés, sans pour autant devoir faire de concessions sur la sécurité du Findel.

Véronique Poujol
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