La Cour européenne de Justice confirme, dans un arrêt du 13 décembre, l’inviolabilité des traités européens réglant les questions de siège des institutions. Le Luxembourg est soulagé

Saints sièges

d'Lëtzebuerger Land vom 21.12.2012

« Je trouve cet arrêt excellent, parce que c’est le seul que la Cour ait pu prendre. » « Cet arrêt ne me surprend pas du tout, parce que la Cour rappelle simplement ce qui est consigné dans les traités européens. » « L’arrêt de la Cour européenne de justice est évident parce que conforme au traité d’Edimbourg. » « Je m’attendais à un arrêt allant dans ce sens, parce que c’était évident. Néanmoins, la Cour donne, dans ses conclusions, une leçon magistrale sur le fonctionnement des institutions européennes et les principes démocratiques ! » Les réactions des quatre députés européens luxembourgeois Frank Engel, Claude Turmes, Charles Goerens et Robert Goebbels respectivement (joints par le Land), représentant les quatre partis CSV, Les Verts, DP et LSAP, suite à l’arrêt du 13 décembre de la troisième chambre de la Cour européenne de Justice furent unanimes : En rappelant ainsi les engagements des États pour l’établissement des sièges des institutions européennes, et ce jusque dans le détail organisationnel, la Cour protège aussi le Luxembourg.
De quoi s’agit-il ? Le 9 mars 2011, le Parlement européen (PE) a pris une délibération concernant le calendrier de ses travaux pour les années 2012 et 2013. Les députés y ont majoritairement décidé de regrouper, pour ces deux années consécutives, les deux sessions plénières prévues par les traités en octobre en deux mini-sessions fusionnées en une seule semaine. Les instigateurs de ce changement, notamment les « anti-Strasbourg » et leur chef de file, l’eurodéputé britannique Edward McMillan Scott, un des doyens et vice-présidents du Parlement, et son association Single Seat, invoquaient des raisons rationnelles (organisation du travail, coût,...) pour cette modification, qui, pour un externe du PE, pouvait sembler minime.
Or, deux mois plus tard déjà, la République française saisit la Cour européenne avec une demande d’annulation de cette délibération, estimant qu’elle viole le traité d’Édimbourg de 1992, où les États membres ont adopté une décision sur le siège de différentes institutions, dont le PE. Ce traité dit, dans son article premier, que le siège du Parlement est à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes plénières mensuelles, y compris celle qui concerne le budget ; que des sessions plénières additionnelles ainsi que les réunions des commissions se tiennent à Bruxelles et que le secrétariat général ainsi que ses services restent installés au Luxembourg. Il est de tradition que la session plénière du mois d’août soit déplacée vers le mois d’octobre, durant lequel se tiennent alors deux sessions plénières. En réduisant ces deux sessions d’octobre sur une durée plus courte et en les réunissant sur une semaine, comme ce fut le cas cette année, le Parlement a donc enfreint les traités européens en vigueur, la Cour suit en cela l’appréciation de la France. Et du Luxembourg, qui s’est joint au recours.
Car voilà : les deux pays, solidaires dans leur lutte contre les militants pour un siège unique du Parlement à Bruxelles, estiment que cette légère modification du calendrier qu’on pourrait croire interne, et comme l’affirment certains députés, du ressort de l’organisation autonome d’une institution souveraine de sa propre gestion, était une faille inacceptable dans un cadre strictement réglé par des textes négociés jusqu’à la dernière virgule par les gouvernements des États-membres. La laisser s’ouvrir serait accepter de s’y voir engouffrer tous les accords et remettre en cause la situation actuelle. Or, pour les trois villes, Strasbourg, Luxembourg et Bruxelles, l’installation du Parlement européen est un enjeu de taille sur les plans politique, géostratégique et même économique : 754 députés et leurs équipes respectives ainsi que plusieurs milliers de fonctionnaires – comme les 2 500 employés contractuels du back-office au Luxembourg – consomment, mangent, dorment sur place. Il s’agit donc de les défendre avec la même énergie que celle engagée pour sauver une usine ou une banque.
Pour les eurodéputés derrière l’initiative Single Seat pourtant, bien qu’ils se soient attendus à cet arrêt, il est temps de changer ces traités négociés par les gouvernements et qui imposent beaucoup trop strictement son cadre du travail au Parlement européen. Y compris ces déménagements mensuels entre Bruxelles et Strasbourg, qui coûteraient 180 millions d’euros et 19 000 tonnes de CO2 par an au PE, « indefensible » dans le climat de crise économique actuel, écrivent-ils dans un communiqué publié suite à l’arrêt.
« Certes, ces déménagements ont un coût, concède Charles Goerens, DP (et donc dans le même groupe parlementaire européen libéral, l’Adle, qu’Edward McMillan Scott), mais on peut le réduire en les optimisant, en les gérant ‘en bon père de famille’ ». Pour lui, c’est le pacta sunt servanta qui prime : il faut avant tout respecter les traités. Et il souligne que, si Strasbourg est affaibli, le Luxembourg comme siège du secrétariat risque de tomber aussi. Pour Claude Turmes des Verts, la question de la rationalité de ces migrations mensuelles de 4 000 à 5 000 personnes entre Bruxelles et Strasbourg, pour trois jours de travail effectif, se pose effectivement, surtout parce que les liaisons entre les deux capitales européennes sont si mauvaises et peuvent facilement prendre sept à huit heures. Il y aurait de la marge pour faciliter le travail des eurodéputés et de leurs fonctionnaires : de meilleurs connections ferroviaires ou aériennes, un recours plus systématique aux vidéoconférences, etc..
« Mais les députés doivent voyager de toute façon ! rétorque Robert Goebbels, LSAP. Qu’ils fassent le trajet Rome-Bruxelles ou Rome-Strasbourg ne change pas grand-chose pour eux. » Grand défenseur du siège strasbourgeois – « Strasbourg est une ville-symbole de l’Europe et de la réconciliation franco-allemande » – et des traités, et donc par ricochet aussi du Luxembourg – « tout cela s’explique par l’histoire de la construction européenne » –, il soupçonne que les confrères anti-Strasbourg, notamment les Britanniques, suivent en fait les intérêts du lobby immobilier britannique, qui contrôlerait le parc des surfaces de bureaux à Bruxelles. « Mais la Cour européenne de Justice a simplement confirmé qu’un traité est un traité, et qu’il s’agit de le suivre. Seuls les États-membres peuvent modifier ces traités, et pour cela, il faut des négociations intergouvernementales, des ratifications par les parlements nationaux... et probablement même un référendum en Irlande... Ce n’est pas facile. »
Frank Engel pour sa part, qui partage l’engagement pro-Strasbourg de ses collègues – « Strasbourg est pour moi tout simplement la capitale parlementaire du continent, comme en ont aussi d’autres continents » –, ainsi que les réserves sur la lourdeur de l’entreprise de déménagement mensuel, souligne encore les problèmes pratiques comme le manque de place dans le bâtiment du Parlement à Strasbourg, qui ne fut pas conçu pour ces plus de 750 députés, ou de vétusté et de sécurité : des plaques du plafond qui s’effondrent dans la salle plénière à Strasbourg ou les fissures constatées dans celle de Bruxelles et qui ont entraîné une fermeture provisoire de cette salle rendent plus difficile le travail des eurodéputés. Mais il est le seul des Luxembourgeois interrogés pour cet article à aller plus loin : « Pour moi, il est évident que le siège européen, on l’a entièrement ou on ne l’a pas du tout, estime-t-il. Je trouve aberrant – et ça, vous pouvez l’écrire ! – que des centaines de personnes qui travaillent pour le secrétariat du Parlement européen à Luxembourg, n’aient jamais vu un député, qu’ils n’aient pas de contact avec nous. »
Le secrétariat général du Parlement européen au Luxembourg est actuellement éparpillé entre le bâtiment Konrad Adenauer, le bâtiment Schuman, place de l’Europe, et les deux tours de la Porte de l’Europe. Le chantier pour le bâtiment Konrad Adenauer 2, futur site unique pour le secrétariat, entamé l’année dernière, devrait être achevé d’ici 2017. Les syndicats toutefois fustigent aussi la perte d’attractivité du Luxembourg pour les fonctionnaires, vu la baisse de pouvoir d’achat qu’ils ont subie suite aux changements de statut et aux baisses de salaires d’entrée de carrière, qui, avec les coûts de la vie au grand-duché, font que certains se retrouvent à travailler pour des revenus qui se situent sous le seuil de pauvreté. Le Luxembourg pourtant fait tout son possible, en coulisses et en dehors, pour défendre les sièges de ses institutions : il met à disposition le terrain au Kirchberg pour un euro symbolique et a conclu, en décembre 2011, un « accord de réalisation » avec le Parlement pour apporter son soutien « politique et moral » à la réalisation de son nouveau bâtiment. Il était donc normal aussi qu’il dépose un mémoire en intervention au soutien des conclusions de la France. Même si la Cour européenne de Justice, tout en annulant les décisions du Parlement sur son calendrier et en donnant donc raison à la France, n’a pas suivi les arguments luxembourgeois et a condamné le grand-duché à assumer ses propres dépens du procès, il aura profité de l’occasion pour montrer sa solidarité (et en avoir en retour à une prochaine attaque contre les sièges luxembourgeois ?) et à articuler ses droits à chaque occasion.
« Il ne s’agit pas en l’occurrence (pour le Luxembourg, ndlr.) de la défense d’intérêts particuliers, mais de celle de la primauté du droit, qui elle seule peut garantir l’acquis de l’Union européenne, » écrivait l’europédutée CSV Astrid Lulling le jour même du prononcé de l’arrêt.

josée hansen
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